Chapitre 24
De retour au quartier général, Stephan, qui avait retrouvé son assurance et sa fermeté, m'intercepta pour m'indiquer qu'une nouvelle séance au Mémorial était prévue dès l'après-midi. Il m'annonça également que je pouvais librement rendre visite à Maman en restant prudente. A cette deuxième nouvelle, je répondis avec une joie non feinte que j'irai donc la voir dès le lendemain !
La conversation terminée, j'étais montée me reposer dans ma chambre où m'attendait un énième livre traitant des phénomènes énergétiques. Je passais quelques temps à le lire avec intérêt, mais en regagnant la Taverne pour le déjeuner, je n'avais toujours aucune idée de la nature des étincelles.
Après le repas, Stephan m'emmena directement au Mémorial. Il ne me parla pas sur le chemin mais son expression était sereine. Quand je m'en rendis compte, je me détendis spontanément. Il me sourit avant de me laisser pénétrer la pièce.
Presque heureuse de retrouver la pièce brumeuse malgré mes expériences passées, je refermais la porte un peu trop précipitamment. Je grimaçais en l'entendant émettre un bruit sourd avec le choc, mais je ne pu empêcher un léger sourire de flotter ensuite sur mes lèvres. Quand je me retournais, Philippe et Andrea m'attendaient déjà.
Les silhouettes brumeuses qui erraient près des murs me semblèrent plus pressantes que les deux premières fois, et Andrea arborait un air grave et concentré qui me mis légèrement mal à l'aise. Cependant l'expression chaleureuse de Philippe ne l'avait pas quitté et je m'efforçais de me détendre à nouveau.
« Bonjour Kyra ! » M'accueillit le guerrier blond.
Son collègue se contenta d'incliner la tête. Je les saluai en retour.
« Qu'y a-t-il de prévu aujourd'hui ? » Leur demandai-je avec une curiosité mesurée.
Philippe eut l'ai un peu gêné tandis qu'Andrea semblait plutôt pressé qu'ils en viennent au fait.
« Des souvenirs un petit peu plus agréables que la dernière fois » Dit-il « Mais nous y viendrons en temps voulu. Nous avions une requête à te faire concernant les évènements qui ont survenus récemment en Allemagne... »
Immédiatement, je pris malgré moi une expression inquiète.
« Pourquoi ? » Ce fut le seul mot que je parvins à exprimer sans risquer un manque de respect ou une question indiscrète.
Que Philippe et Andrea se fasse également du souci m'inquiétait plus que nécessaire.
« Nous voulons simplement accéder à tes souvenirs » Me rassura Philippe. « Stephan nous a tout expliqué, mais les images valent souvent mieux que des mots... »
J'acquiesçai avec une légère tension. J'ignorai tout du processus.
« Comment procède-t-on ? » Leur demandai-je en tâchant de me calmer.
« De ton côté, tu as simplement à te concentrer sur le souvenir pour le rendre le plus vif possible. Le Mémorial fera le reste. Si tu le souhaites, tu peux fermer les yeux. »
J'acquiesçai et me concentrai sur le souvenir de la Forêt Noire, à partir du moment de ma matérialisation avec Nicolas. Je fermai les yeux quand la brume nous transporta dans le souvenir. Ainsi je m'assurai que ma concentration ne défaillirait pas. La scène s'achevant, je me retrouvai à nouveau dans la pièce brumeuse.
Les deux Gardiens étaient songeurs et Andrea devint un moment un peu plus immatériel alors que ses yeux étaient perdus dans le vide. Quand ils revinrent à eux quelques minutes plus tard, Philippe s'excusa sans pour autant me livrer ses pensées et m'adressa un nouveau sourire.
« Prête ? »
Quand je confirmai, la brume se remit à nous entourer et à tourbillonner. Plus j'expérimentais cette sensation, plus elle m'était supportable et le transfère se fit sans aucune douleur exacerbée.
Mon mentor commença par me montrer des scène fixes. La première me plongea dans une forêt aérée, où les arbres fins et peu hauts m'intriguèrent par leurs couleurs variées. Les troncs semblaient être chacun ceux de deux arbres qui se seraient enroulés pour former une torsade et les fines feuilles comparables à celles d'un frêne étaient teintées différemment d'un arbre à l'autre. Certaines tiraient sur un rouge violacé tandis que d'autre étaient plus orangées et d'autres encore, de diverses teintes de vert.
Passée la surprise de l'analyse des feuilles, je m'aperçue que les arbres étaient plantés à intervalle régulier, comme on l'aurait fait avec un verger.
Philippe m'apprit que c'en était justement un, entretenu par des fées sur Eltaria.
« Les fées fonctionnent avec le travail de groupe. » M'expliqua-t-il. « Souvent déterminé par la famille dans laquelle elle naît, une fée conserve le même métier toute sa vie. Son peuple n'a pas de chef désigné. Quand il y a des décisions à prendre, elles le sont par les fées les plus anciennes de chaque famille, réunies en un groupe. Plus la décision à prendre est importante, plus le groupe est grand, car les fées possèdent toutes un pouvoir de décision plus ou moins égal. Cependant, ce genre de mesure est très rare et ce conseil ne s'est jamais réuni plus de quelques fois en un siècle. La grande majorité des fées -il y a toujours des exceptions- n'a même aucune idée de la notion de pouvoir et n'ont aucun intérêt à assister au conseil qu'elles considèrent comme ennuyeux. »
J'observai le verger avec fascination. Un tel fonctionnement me semblait irréel. Il m'apparut alors que la soif de pouvoir pouvait être une caractéristique spécifique aux humains.
Je fis part de ma pensée à Philippe.
« Non. » Me dit-il. « Toutes les espèces ont montrés un orgueil ou une vanité motivée par la soif de pouvoir. Les fées ont simplement trouvé un équilibre qui à permis de faire disparaître ce défaut au fil des générations jusqu'à rendre la politique quasiment inexistante et pour le moins inintéressante. Les humains ne sont pas plus à blâmer que d'autres. Les nains, les vampires, les centaures, et même les elfes qui sont pourtant de nature pacifique ont connu des guerres d'une violence inouïe, motivées par la soif de pouvoir. »
J'acquiesçai, et alors que mon regard errait au milieu des arbres, une nouvelle réflexion me vint à l'esprit.
« Est-ce que les fées sont végétariennes ? »
Philippe secoua la tête.
« Elles ne se cantonnent pas aux fruits et aux légumes, bien au contraire ! Elles mangent de la viande et du poisson, certes dans une moindre mesure que les Hommes, mais elles mangent également certains types d'écorce ou de baies qui seraient mortelles pour nous. »
Je fronçai les sourcils.
« Comment le sait-on ? Un humain est déjà allé sur Eltaria ? »
Il rit doucement.
« Par physiquement, non. Mais Eltaria a déjà été témoin de la matérialisation d'êtres supérieurs sur son sol, et ces êtres supérieurs se sont trouvés incapables de manger certains des aliments que les fées consommaient pourtant régulièrement. »
J'allais le questionner sur ces êtres supérieurs qu'il venait d'évoquer, mais il m'interrompit.
« Ce sujet sera pour une autre fois. » Sourit-il. « Il y a un autre décor que je dois te montrer. »
Et sans plus tarder, la brume revint et le décor changea à nouveau.
Ainsi on en arriva au deuxième souvenir, qui était aussi le dernier de la séance. C'était une scène fixe, comme celle d'Eltaria, mais elle me frappa car elle ne m'était pas inconnue.
J'avais vu en rêve ces mêmes contrées après mon incident au Mémorial, d'un point de vue légèrement différent. Contrairement à la première fois, j'observai à présent le territoire depuis le sol, où les conifères me paraissaient beaucoup plus haut que depuis les airs. Une autre différence était la fixité du souvenir, qui m'empêchait d'apercevoir à nouveau les créatures ailées ou quelque autre animal. Les coulées de lave des volcans étaient immobiles, mais très proches cependant, à moins de dix kilomètres. Le fleuve d'un rouge carmin ne s'écoulait pas non plus, ce qui était assez perturbant. J'avais l'impression de visiter mes rêves. J'en étais un peu déboussolée. Je regardai mes mains pour vérifier que je ne rêvais pas et découvris avec stupeur que mon corps était légèrement transparent, d'aspect décharné, comme ceux des Gardiens du Mémorial.
Philippe me calma immédiatement alors que je commençais à paniquer.
« Tout va bien Kyra » Dit-il. « Ton corps est toujours au Mémorial, puisque seul ton esprit est affecté par le Mémorial. Cette apparence n'est qu'un effet secondaire parce que tu n'appartiens pas au souvenir original. »
J'acquiesçais et me détendais en tentant de me convaincre malgré cette sensation affreuse que je devenais un fantôme.
« Je connais cette endroit... » Lui confiai-je. « Je l'ai vu en rêve il y a peu. »
Philippe, comme Andrea, parût sincèrement étonné.
« Vraiment ? Voilà qui est... inattendu. Mais pas inexplicable. »
Puisqu'il semblait avoir des hypothèses sur la question, je fus tentée de les lui demander, mais je n'en eu pas le temps. Le Gardien me demandait si je connaissais la localisation et le nom de ce lieu. Je secouais la tête, je n'en avais aucune idée, même si en y réfléchissant, ces contrées ne pouvaient pas faire parties de n'importe quel écosystème de manière cohérente...
« Nous sommes sur Danrar, au cœur du lieu que l'on appelle la Vallée Ardente. A cette période, il existait déjà un certain nombre de tribus disséminée tout autour de la planète, mais elles ignoraient chacune l'existence des autres, car la famine tout juste résolue les avaient empêché d'explorer sur de grandes distances. Ce n'est que peu à peu, après la fin de cette famine, que des relations vont se créer entre les tribus. »
J'observais la plaine déserte en tentant d'imaginer à quoi pouvait y ressembler la vie en tribu.
« Comment fonctionnent les tribus vampires ? »
J'étais sincèrement curieuse. Pendant que je posais la question, je songeais à Elléonora et Mathéo qui étaient associés à des vampires.
« Le fonctionnement variait selon l'époque et les groupes. Durant les périodes de famines, les lois étaient souvent très dures. La moindre bévue pouvait être punie de la peine capitale. Faute de nourriture, ils vivaient sur le fil du rasoir, ce qui nécessitait de la rigueur de la part de tous. Le plus souvent, chaque groupe était dirigée par unique chef, qui s'affirmai par son sang ou par la force. Cependant quelques rares tribus avait adopté un gouvernement plus monarchique avec une attitude sensiblement plus pacifique. Malgré tout, au sein d'une tribu, même si les relations entre les vampires étaient souvent tendues, la cohésion du groupe occupait une place importante, et était aussi solide que le respect que les vampires avaient pour leur chef. »
Toutes ces informations étaient passionnantes, mais on ne resta pas longtemps. Bien vite, Philippe me ramena au vestibule. Comme je me rendais compte qu'il ne parlait pas, je levai mes yeux sur lui et surprit un regard curieux.
Notre échange de regard dura un moment, chacun ayant l'air de vouloir percer l'esprit de l'autre pour en deviner les pensées. Je n'avais jamais réalisé l'étendue de l'expérience que trahissaient ses pupilles.
Il finit par me poser la question, source de sa curiosité, à savoir, si je connaissais l'identité de l'elfe auquel j'étais liée. Je fus contrainte de lui répondre négativement. Je fus surprise de me rendre compte que je ne m'étais jamais demandée qui ce pouvait être.
« En vérité je ne connais même aucun nom d'elfe. » Avouai-je. « Mais j'aimerai volontiers en savoir plus maintenant que ma curiosité est attisée... »
Philippe sourit, et Andrea, qui était toujours dans un coin, parût vivement intéressé par la tournure de la discussion.
« Voyons... » Réfléchit mon mentor. « Parmi les plus influents, il y a bien sûr les dirigeants et les principaux protagonistes de la guerre contre Raucaran... La plupart d'entre eux se sont d'ailleurs liés à des Gardiens. »
Mon attention était tout entière à Philippe.
« Raucaran ? » Répétai-je avec incompréhension.
« Comme tu le sais peut-être, Gaïa, avant de fusionner définitivement avec notre planète, et une entité puissante, que d'aucuns appelleraient déesse, qui était à l'origine de la création du système solaire. De tout temps, son plus grand rival a toujours été Raucaran. Elle le considérait d'ailleurs comme son Némésis. Aujourd'hui, il est vaincu, mais son passage a laissé des traces indéniables sur chacun des mondes où il est passé. »
J'acquiesçai pour signifier que j'intégrais ses paroles au fur et à mesure qu'il parlait.
« Pour en revenir aux figures importantes du peuple elfique, je peux sans hésitation parler de l'elfe affilié à Andrea, Rodnor, ou encore mon propre partenaire, Glorfindel, qui aidèrent tout deux Gaïa à de nombreuses reprises. Parmi les autres elfes déjà liés aux Gardiens, il y a également le partenaire de Stephan, ou tout simplement Anardil, Nolofinwë et Ainimathar qui furent de grands et puissants seigneurs elfes... »
Philippe me parlapendant un long moment encore des personnages elfes les plus influents et je l'écoutaiavec une avidité non feinte. Quand enfin il me libéra, malgré la temporalitédifférée du Mémorial, l'après-midi était déjà bien avancée.
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