Chapitre 23

Ni moi, ni Haldir n'avions l'envie de dormir. Mon esprit était traversé par une multitude de questions sur les évènements on ne peut plus étrange dont j'avais été témoin. C'est ainsi, avec Haldir à mes côtés, que j'allais dans la bibliothèque entreprendre des recherches. Le but étant de trouver une explication, rationnelle ou non, sur les phénomènes aperçus, on essayait de repérer des livres traitant d'énergie ou de phénomènes paranormaux, tels l'Energie au cœur de la nuit, ou Phénomènes inexpliqués au XIXe siècle... Mais notre première heure de recherche aboutit sans résultats.

Encore une demi-heure plus tard, alors que notre lecture s'avérait toujours aussi vaine, je finis par fermer mon livre en soupirant.

« J'ai bien peur qu'on ne trouve rien dans ces livres... Je reviendrai ce soir et demanderai de l'aide à Silla ! Mais j'ai assez lu pour le moment. »

Je regardai le soleil, qui était bien monté depuis qu'on était entrés dans la bibliothèque, tandis que mon partenaire fermait son livre à son tour en acquiesçant.

« Allons seller les chevaux » Dit-il. « Voilà un bon moment que je n'ai pas monté Viadro... »

*****

Un peu plus tard, alors qu'on finissait de panser nos montures à l'écurie, on entendit Johan descendre depuis le QG. Il nous salua, visiblement fatigué et moins motivé que d'habitude.

« Vous sortez ? Je pensais sortir Fhreya en dehors du campus aujourd'hui... »

Tout en parlant il attrapa les brosses de sa jument et ouvrit son box.

« Vraiment ? On pourrait vous accompagner ? »

Je jetai un coup d'œil à Haldir à qui l'idée semblait plaire également.

« Oui bien sûr ! Allez juste prévenir Stephan que vous venez aussi, qu'il ne vous cherche pas partout plus tard ! »

Je souris et acquiesçais. Je finis de brosser Dagorian et gravis rapidement l'escalier pour avertir mon mentor. Par chance, je n'eus pas à le chercher longtemps. Il était assis dans la Taverne avec Yonan et Elène, en silence.

« Stephan ? » L'interpellai-je en m'approchant. « Haldir et moi sortons avec Johan. Il m'a demandé de te prévenir... »

Il acquiesça. Son expression était toujours aussi sombre.

« Très bien. Profitez bien. »

Sa voix était particulièrement lasse mais il me sourit doucement lorsque je repartis, ce qui apaisa un peu mes inquiétudes vis-à-vis des récents évènements. Je regagnai rapidement les écuries, où Haldir et Johan était déjà entrain de seller, et leur signalai que Stephan était prévenu. Puis j'attrapais le harnachement de Dagorian et lui posait la selle sur le dos sans sangler.

Il ne bougea pas d'un poil tandis que je lui mettais son filet et que je lui attachai ses guêtres. Ensuite, je fixai la sangle sans serrer et je me préparai moi-même. Quand tout le monde fut prêt, on sortit et on regagna la cour. Là, Johan saisit son médaillon et je frissonnais d'excitation. Depuis notre arrivée, je n'étais sortie du quartier général que deux fois, et jamais avec Dagorian. Il semblait d'ailleurs tendu, comme s'il se doutait qu'il se tramait quelque chose d'inhabituel. Je le caressais doucement pour le calmer et regardait le portail s'ouvrir avec un léger sourire. De l'autre côté, j'apercevais quelques arbres, et de vastes terrains d'herbes. Johan nous fit traverser à pied et nos montures, si elles hésitèrent à passer dans le cercle de lumière bleu, se détendirent quand il fut refermé. On put ensuite mettre le pied à l'étrier et commencer la balade.

Les chevaux étaient assez excités par la sortie, de sorte qu'ils marchaient plus vite que jamais. Cependant ils n'étaient pas peureux, ou assez peu, ce qui était franchement agréable. Le ciel était dégagé, mais la température était douce malgré tout, grâce à une légère brise.

Au début, nous marchions en silence, mais assez vite, Haldir remit sur le tapis le sujet que l'on évitait tous soigneusement depuis un moment déjà.

« Qu'est-ce qu'il s'est passé exactement cette nuit ? »

L'atmosphère devint soudain plus lourde. Je restai silencieuse alors que mes souvenirs défilaient à nouveau devant mes yeux. Johan soupira et attendit qu'on ait franchit une dizaine de mètre supplémentaire pour parler.

« Je ne sais pas trop ce que j'ai le droit de vous dire... » Hésita-t-il. « Mais en temps que nos successeurs, surtout avec les rôles qui vous incombent, je pense que vous méritez de savoir. Je vais donc être honnête avec vous et vous raconter ce que j'en sais. »

Il fit une pause alors qu'on l'écoutait attentivement. La nature autour de nous continuait paisiblement sa vie, sans se soucier de nous et des phénomènes inexpliqués. Réalisant la quiétude de mon environnement, je pris un temps pour regarder autour de moi et me détendre un peu. Dagorian sembla se détendre également sous ma selle.

« Quand je suis arrivé sur le terrain ce matin, la situation était déjà en partie maitrisée. Je ne suis donc pas au fait de tous les évènements, et Stephan m'a semblé assez fatigué pour me dissuader de l'interroger. Sa position est déjà assez difficile comme ça. »

Donc Johan n'était même pas au courant de mon implication... J'avais eu quelques doutes quand il avait commencé à parler, mais à présent j'en étais sûre.

« Voilà donc ce que je sais. Un portail s'était ouvert quelques heures plus tôt, et des orcs ont commencé à déferler par dizaines. A mon arrivée, le portail avait déjà été verrouillé et il ne restait que quelques orcs encore en vie, mais le sol était maculé de sang, et recouvert de cadavre d'une centaine de ces monstres. C'était une scène d'horreur. Nous n'avions jamais subi une telle attaque depuis la Grande Guerre. »

On garda le silence, Haldir baissa les yeux. Avec un sourire triste, je rapprochai ma monture de la sienne avant de reporter mon attention sur Johan. Je repensais à ses mots et me replongeais dans mes propres souvenirs. Un grand froid s'emparait doucement de moi alors que je réalisais l'ampleur des évènements. Johan continua d'une voix sombre.

« Le plus inquiétant pourtant, c'est que ces orcs n'étaient pas une meute... Ils portaient tous une marque, toujours la même, infligée au fer rouge, une larme couleur sang dans un cercle percé de pointes. Et si c'est si inquiétant, c'est que c'était trop sophistiqué pour être un symbole tribal. Ce même symbole à été relevé sur le corps des orcs retrouvés près de nos caches. En somme, cela nous confirme que nous avons affaire un nouveau sorcier, plus habile encore que celui de la Grande Guerre, et qui dispose de grands moyens. C'est du moins ce que j'en ai déduit, et Elène en est arrivée à la même conclusion. »

Il s'arrêta enfin, mais je ne l'écoutais déjà plus. Dagorian était à nouveau prêt à bondir au moindre danger, mais je ne m'en rendais pas compte alors que je luttais pour réfréner une phrase qui tournais en boucle dans ma tête : j'ai causé tout ça. Je savais pourtant que je n'avais pas créé le phénomène, que le portail se serait très certainement ouvert, même sans mon intervention. Je savais que, le portail et les orcs maitrisés, la situation avait permis de confirmer, sinon de comprendre un certain nombre d'informations de grande ampleur. Mais je ne pouvais empêcher mon esprit d'émettre des suppositions à base de si je n'avais pas interagi avec le portail...

La main d'Haldir se posa soudain sur mon épaule, me faisant sursauter. Mais son intervention avait fait taire le combat qui faisait rage entre ma raison et la culpabilité.

« Hey... » Son visage était inquiet, mais dans ses yeux brillait la confiance. « Il s'est passé quelque chose dont tu ne nous as pas parlé ? »

Je le regardai, au bord des larmes, même si je me ressaisissais doucement grâce à son intervention. J'ai vécu bien pire au Mémorial, et je n'ai pas bronché depuis que j'en suis ressortie inconsciente... Il n'y a rien de différent ici, sinon que je peux agir et empêcher un aggravement plus terrible encore... Mon assurance me revint au fil des pas de Dagorian, assez pour me donner le courage de parler.

« Quand Nicolas a trouvé le portail, il est venu me chercher... A ce moment il ne savait rien de ce que c'était. La seule chose visible à l'œil nu était une légère distorsion de l'air que les animaux évitaient comme la peste. Il s'est trouvé que j'étais, à ce moment-là, la personne la plus susceptible de l'aider à déterminer la nature de ce phénomène. Il m'a donc emmené en Allemagne et m'a prudemment demandé de l'observer d'un point de vue énergétique. Comme cela ne nous apportait pas grand-chose de nouveau, on a décidé de tenter une interaction. Le portail était extrêmement instable, et un transfert d'énergie indirect n'a rien donné, j'ai donc tenté un contact plus étroit en créant un lien. »

Je fis une pause en respirant un bon coup.

« Johan, cela ne signifie sans doute pas grand-chose pour toi, mais seulement que l'instabilité du portail rendait ce contact assez dangereux, et en y réfléchissant à froid maintenant, je m'estime très heureuse de m'en être ressortie indemne. La suite s'est passé très vite. Malgré un contact ténu, le portail a pompé mon énergie à la manière d'un trou noir, et la chose la plus étrange était qu'il semblait animé d'une conscience, suffisamment pour me compliquer considérablement la fermeture du lien. »

Haldir était pensif, presque effrayé.

« Quand j'ai finalement réussi, le portail s'était suffisamment stabilisé pour permettre le passage d'un membre. Nicolas m'a ramené dès qu'il a compris la nature du phénomène. »

Haldir me regarda à nouveau avec compassion, mais sa voix était ferme et assurée.

« Mes connaissances en portails sont restreinte, pour ne pas dire quasiment nulles, mais je suis pratiquement sûr que le portail se serait ouvert de toute façon. Ton intervention a permis que son ouverture se fasse de manière contrôlée et surveillée, et Stephan et les autres ont pu agir très rapidement. Tu n'as rien à te reprocher. »

J'acquiesçai avec plus de détermination qu'auparavant. Et Johan indiqua qu'il était content d'en savoir plus, mais qu'il ne souhaitait pas en discuter davantage.

« Nous ne sommes pas ici pour nous prendre la tête, au contraire ! Et nous arrivons sur un chemin de galop. Qu'est-ce que vous en dîtes ? »

Je rangeai mes inquiétudes dans un coin de ma tête et souris largement.

« J'en dis que ça nous ferait le plus grand bien ! »

Haldir approuva, et la minute d'après, nous galopions à travers les prairies vertes dans un pur sentiment de liberté.


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