Chapitre 21

Encore très tôt, un matin, je fus réveillée par des coups légers frappés à ma porte ; le nom de Mathéo se dessinait sur ma porte. Je clignais plusieurs fois des yeux en fronçant les sourcils, ensommeillée.

« Entre... » Grommelai-je.

Je me redressai tant bien que mal et remarquai que l'aube n'était même pas en passe de montrer le bout de son nez. Aucun doute là-dessus, l'heure était, où très tardive, où extrêmement matinale. Trois ou quatre heures du matin, à en juger par l'éclat blanc de la lune descendante qui se reflétait sur le sol de ma chambre. Mathéo entra, parfaitement réveillé, et s'arrêta devant mon lit alors que je m'asseyais. Sans la lune, je n'aurai pu le discerner avec sa tenue de chasse noire qui se fondait dans l'obscurité.

« Ça va ? » Me demanda-t-il.

« Oui, même si je dormais bien... » Lui répondis-je avec une pointe de sarcasme ; j'émergeais à peine.

« Excuse-moi... » Dit-il d'un air contrit. « Nicolas m'a demandé de venir te chercher... Je crois qu'il veut te parler. »

« Vraiment ? Pourquoi ? » M'étonnai-je.

« Aucune idée. Ceci-dit, c'est sans doute insignifiant. Il est aussi calme que la nuit... »

Mon ami haussa les épaules avec indifférence. Sans doute était-ce un comportement normal de la part de son mentor.

« Dans ce cas laisse-moi m'habiller et j'irai le voir... Où est-il ? » Soupirai-je en me levant péniblement.

« Dans la Taverne. »

J'acquiesçai et il sortit. J'enfilai rapidement une tenue de chasse et descendis le plus silencieusement possible ; malgré tous mes efforts, je me fis l'effet d'un éléphant boiteux dans les escaliers.

Quand j'entrai dans la grande pièce, ma vue s'étaient quelque peu habitués à l'obscurité, et ainsi j'aperçus sans trop plisser les yeux mon interlocuteur. Sans préambule ni mots superflus, fidèle à lui-même, le vampire se leva et fit mine de sortir, m'invitant à le suivre. Dans la nuit, il m'intimidait bien plus. L'ombre faisait ressortir un éclat sanguin dans des yeux insondables, son pas ne faisait aucun bruit. Ses mèches rampaient sur ses épaules et dans son dos comme de terrifiants serpents, presque immobiles malgré le pas vif du Gardien. Il avait de quoi faire frissonner.

Nicolas me tendit un paquet tandis que je me hâtais pour marcher à sa hauteur.

« Prends » dit-il. « Tu pourrais en avoir besoin »

Enveloppés de tissu pour faire taire leurs tintements métalliques, je trouvais dans le paquetage mon épée dans son fourreau et trois dagues. J'attachais ces dernières le long de ma cuisse, grâce aux lanières qui ornaient mon vêtement. Quant à mon épée, elle prit rapidement place à mon côté.

Pendant que je nouais tout cela fermement, le Gardien m'avait conduit à l'extérieur, dans la cour. Là, il s'arrêta, et s'adressa à moi avec sérieux.

« J'ai quelque chose à te montrer, mais ce n'est pas sans danger. Tu dois te montrer prudente, et quoi qu'il arrive, tu ne dois pas engager le combat. S'il m'arrive quelque chose, contacte Stephan et cache-toi »

Pour moi qui ne m'attendais qu'à une discussion tranquille dans la Taverne, ces brusques avertissements me faisaient l'effet d'une douche froide, et le stress montait en moi pour me nouer les tripes.

« Ou allons-nous exactement ? » Demandai-je.

« En Allemagne »

Sur ce, malgré le peu de précision, il s'assura d'avoir mon assentiment quant aux directives, et nous téléporta.

*****

On atterrit dans un sous-bois, à quelques mètres d'un daim qui prit la fuite à notre vue. Nicolas m'attira derrière un gros rocher.

« Il y a, à cent mètres, deux orcs massifs. Mais ce n'est pas ce qui nous intéresse dans l'instant, Pierre et Elène viendront s'en occuper plus tard. Nous allons de l'autre côté. »

J'observais les alentours pendant que nous marchions discrètement dans le sens indiqué par le Gardien. Malgré tous mes efforts, je ne parvenais pas à discerner les orcs dont m'avait parlé le vampire, pas plus que je ne les entendais. La nuit était calme, mais les sous-bois étaient pleins de vie. Des rongeurs furetaient sur le sol mousseux, trottinant entre les petits champignons. Des noisettes tombaient de temps en temps, provoquant des craquements fréquents et une légère brise venait agiter les feuilles dont le dégradé automnal se distinguait malgré l'obscurité.

Mais plus on avançait, plus la nature autour de nous se taisait, laissant régner un calme plat et malaisant. Je m'agitai... Sans forcément me rendre compte de ce qui me dérangeait, mon instinct me soufflai que quelque chose n'allait pas.

Soudain, Nicolas me fit signe de m'arrêter et de me baisser pour nous dissimuler. Ceci fait et en m'intimant le silence, il écarta les branches d'un bosquet feuillu et, prise de curiosité, je m'approchai pour mieux voir.

A première vue, je n'aperçue rien de particulier. L'espace entre les branches me laissait entrevoir un simple espace découvert, trop peu large pour être appelé clairière, et trop peu dense pour faire partie des sous-bois. Cependant, en observant mieux, je trouvai l'air bizarre, comme distordu, juste au centre de cet espace. C'était très discret, presque indétectable si le déroulement du temps ne m'avait pas semblé figé à cet endroit précis. Aucun vent, aucun mouvement. Je remarquai même qu'en dessous de l'étrange phénomène, les pétales d'une petite fleur ne s'étaient pas refermés.

« Qu'est-ce que c'est ? » Demandai-je, intriguée.

Je fixai toujours l'espace, comme si quitter des yeux le phénomène aurait pu le faire disparaître.

« C'est ce qu'on essaie de savoir... Et je ne sais pas détecter l'énergie. Donc à toi de me dire. »

A moi ? Il comptait sur moi pour lui dire ce qu'était cette chose ? Il risquait d'être déçu car je n'en avais pas la moindre idée...

« Pourquoi me demander à moi ? »

J'avais détourné mes yeux du phénomène pour lui poser la question, analysant son expression qui ne laissa, malgré moi, rien transparaître.

« Il se trouve que Stephan est... disons indisponible ; et Silla et Samia étaient occupées à une autre tâche... Elles m'ont conseillé de venir te voir. Une telle chose ne peut pas attendre le retour de Stephan... »

Je restais perplexe devant ses explications.

« Et pourquoi pas Haldir ? »

« Parce qu'il a beau être le fils de Philippe, toi tu es la fille de... »

Il s'interrompit brusquement, pareil à une personne manquant de révéler une information secrète, ce qui eut pour effet de m'intriguer encore plus. Je fronçai les sourcils.

« Enfin ce que je veux dire, » se reprit-il, « c'est que ton talent pour la manipulation de l'énergie est connue de tous les Gardiens ; donc venir te voir nous a apparu être un bon plan. »

Sauf que je ne savais absolument pas comment m'y prendre pour déterminer la nature de cette chose... Je commençai à stresser. En déglutissant péniblement, je me tournai à nouveau vers l'ouverture dans le bosquet et fermai les yeux. Je vidai mon esprit pour mieux me concentrer sur l'instant et projetai mon esprit vers le phénomène ; sans toutefois risquer l'imprudence. Les points lumineux se matérialisèrent peu à peu.

Vu ainsi, le phénomène se discernais plus clairement : l'absence de vent gardant les particules d'air visible, d'une telle façon que la concentration en énergie se matérialisa par une lumière plus ou moins intense. Et là où ces particules d'énergies auraient dues être réparties uniformément dans l'espace, une bande plus sombre se voyait là où l'air se distordait.

« C'est étrange... » Soufflai-je pour Nicolas. « Je n'ai jamais appris quoi que ce soit à propos d'un tel phénomène. »

Nicolas réfléchit un instant, l'air hésitant.

« Est-ce que tu peux interagir avec sans risquer de te mettre en danger ? »

Je respirai un grand coup ; je connaissais déjà la réponse.

« Le danger est partout face à l'inconnu, mais je peux tenter sans trop de risque je crois... »

Nicolas ne répondit rien, et préféra me laisser me concentrer.

Je savais ma pratique un peu maladroite sur ce plan-là, et je fis d'autant plus attention à la précision de mes inductions. Je me décidai à tenter un contact léger, à distance pour me protéger d'une éventuelle réaction. Les particules d'énergie grésillèrent au contact et disparurent. Je réitérai l'expérience avec une dose plus forte et obtint le même effet.

Si je voulais en savoir plus, je devais tenter un contact direct.

J'avançais donc mon esprit pour me faciliter la tâche lors de la création d'un lien. Ce genre de lien pouvait être considéré comme un pont entre le phénomène et moi, et c'était pourquoi je m'efforçais d'être aussi prudente que possible. Ainsi, au lieu d'un pont, j'obtenais un lien plus ténu, qui se comparait plus à un fin tronc tendu entre deux rives... Mais j'eus à peine établi ce lien que le briser devint une idée des plus attractives.

Maintenir le lien me demandait un effort colossal, car ce qui se trouvait devant moi était l'élément le plus instable qu'il m'avait été donné de rencontrer. Un moment, le phénomène quel qu'il soit était d'une ampleur démesuré, et le suivant il disparaissait totalement, et ces changements se faisaient en une fraction de seconde. Je sentais cependant qu'un échange d'énergie se faisait, bien qu'il me parût infime.

Hélas je fatiguai vite, et je devais mettre un terme au lien sous peine de m'évanouir dans quelques minutes. J'analysais une dernière fois les étranges sensations qui me parcouraient et mémorisai au mieux ce que tous mes sens pouvaient détecter de ce phénomène inconnu avant de rompre le lien. Cette dernière action me demanda plus d'énergie qu'escompté et je titubai un instant, soutenue à l'épaule par Nicolas, sans quoi je me serais déjà écroulée au sol. Je respirai et fermai mes yeux dont la vision se brouillait.

Quand le malaise se dissipa un tant soit peu, je remarquai immédiatement que quelque chose n'allait pas. Là où la chose était auparavant à peine discernable, des éclairs incolores apparaissaient par à-coup, produisant des grésillements inquiétants. Le visage de Nicolas devint soudainement inquiet et ne se détachait plus du phénomène.

« Allons-nous en... » dit-il. « J'ai compris de quoi il s'agit, et nous ne sommes absolument pas en mesure de l'affronter. »

Il chuchotait, comme s'il craignait que quelque mot prononcé à vive voix ne put déclencher un cataclysme.

Mais avant même la fin de sa phrase, un craquement retentit, et les éclairs qui m'évoquaient de plus en plus une fissure s'élargirent. J'entrevis ce qui semblait être un membre, rugueux et sale, de couleur foncée. Je fis plusieurs pas en arrière, et Nicolas s'empressa de murmurer des mots à une vitesse ahurissante à son médaillon, qui clignota vivement, bien vite suivi par le mien, sans quitter des yeux la fissure dans l'air.

Le membre réapparut avec un nouveau craquement, mais je n'eus pas le temps d'en voir plus, car les médaillons nous téléportèrent dans un éclat bleu.

Quand on se matérialisa dans la cour du quartier général, Nicolas me regarda d'un air étrange qui me fila la chair de poule en me disant ces mots, juste avant de s'élancer à toute vitesse vers le bâtiment. Ses mots résonnèrent en moi comme un cauchemar, accompagnant des images glaçantes de ce à quoi je venais d'assister.

« Ne parle à personne de ce que tu viens de voir. »

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