Chapitre 16
Deux jours plus tard, il y avait peu de faits notables à raconter, du moins rien qui ne sortait de la vie ordinaire d'un Gardien, à laquelle je commençais à me faire. Haldir, avait retrouvé son comportement habituel, même s'il passait presque tout son temps libre à l'entraînement.
Il avait fini par passer un accord avec Stephan : il se tenait tranquille jusqu'à la distribution des rôles, et ensuite, le chef le laisserait participer à certaines missions. Alors Haldir n'avait plus fait de de vagues. Il était allé s'excuser auprès de Florian, et s'était même entraîné avec lui, ce qui les avait rapprochés. Il m'accompagna aussi plusieurs fois lorsque j'allais moi-même m'entraîner, et me prodigua de précieux conseils. Quand il le pouvait, il assistait également le chef dans ses tâches, avec sérieux et application. Cependant, celui-ci semblait toujours faire preuve de mécontentement, ou tout du moins ne s'était pas radouci à l'égard de mon coéquipier. Je le trouvais un peu dur, mais c'était lui le chef.
Mais aujourd'hui, Haldir était particulièrement sérieux et attentif, car c'était aujourd'hui la distribution des rôles. Très tôt à mon goût dans notre formation, car c'était un jour important pour notre avenir, étant donné que les activités liées au rôle constituaient une très grosse partie des occupations des Gardien.
Stephan nous avaient tous réunis dans la Taverne, Gardiens et apprentis. Nous étions tous assis tandis qu'il nous parlait en ces mots.
« Voici venu le premier tournant de votre formation de Gardien ! Clama-t-il. Cette réunion constitue une première intronisation à la confrérie, puisqu'aujourd'hui, vous saurez quel rôle vous allez y jouer ! Ainsi, vous recevrez en plus de votre entraînement habituel, une formation adaptée à votre rôle. Dès que vous le connaîtrez, vous apprendrez à l'exercer, en théorie et en pratique !
Il attendit que tous les apprentis aient acquiescé pour continuer. Nous étions tous un peu tendus, certains plus que d'autres. Personnellement, je savais que le nœud qui me nouait l'estomac était surtout dû à l'excitation et à l'impatience
- Bien, dit-il ensuite en écrivant sur une feuille de papier le nom des différents rôles. Je pense que nous devrions commencer par nommer un ou une chef. Qui souhaiterait être nommé à ce poste ?
Personne ne leva la main ou ne répondit, la plupart semblaient gênés, et je jouais moi-même avec l'ourlet de ma tunique pour me détendre. Si je devais nommer un chef à notre génération, j'aurais sans doute choisi Haldir, ou Florian. Mais les deux étaient aussi restés passifs. Le dernier ne semblait d'ailleurs nullement intéressé.
- Eh bien. S'exclama Stephan. Personne ne veut être chef ? J'ai si mal vendu ce rôle ?
- Je crois plutôt que personne ne se sent à la hauteur. Répondis-je fébrilement. C'est une grosse responsabilité.
Plusieurs apprentis approuvèrent mes mots d'un signe de tête. Quelques sourires flottaient sur les lèvres des Gardiens qui observaient en silence, et notamment chez Nicolas, alors qu'ils me regardaient. Cela me surprit.
- Il va pourtant falloir désigner quelqu'un ! Annonça Stephan, qui souriait aussi. Vous n'avez qu'à dire le nom de qui vous voulez voir au poste ! On fera un vote, en accord avec votre temps.
La dernière phrase fut accompagnée d'un clin d'œil rieur.
- Pourquoi pas Florian ou Haldir ? Proposai-je en réponse.
Florian me regarda d'un œil calme et secoua la tête.
- Je préférerais, si personne ne convoite ce poste, être nommé responsable du pôle équestre. Dit-il. Je n'ai nullement envie d'être chef.
Je me tournais donc vers Haldir, qui était sans expression. Puis il fixa ses yeux bleus dans les miens, avant de se retourner vers l'Assemblée.
- Je pense que Kyra devrait être notre cheffe. Lâcha-t-il.
Je perdis l'espace d'un instant ma capacité de réflexion, et regardais Haldir avec des yeux de merlan frit. Moi ? Cheffe ?
- Je suis d'accord ! Approuva Elléonora.
Je cherchai le signe d'une quelconque plaisanterie, mais ils étaient on ne peut plus sérieux. Tara et Émilie exprimèrent elles aussi leur approbation d'un signe de tête.
- Mais ... Pourquoi ? M'étonnai-je Je suis loin d'être la meilleure ici... Alors pourquoi moi ?
- Premièrement. Commença Haldir, l'œil pétillant. Je te rappelle que ta maîtrise de l'énergie surpasse tous les records enregistrés !
Je ne pus que le confirmer. Stephan m'avait complimenté souvent à ce sujet, et en avait visiblement parlé à mon compagnon.
- Deuxièmement. Continua Mathéo au nom de tous. Ta prise de parole de tout à l'heure prouve que tu sais t'exprimer en faveur de nous autres.
- Et tu as largement l'intelligence et l'assurance nécessaire pour tenir ce rôle ! Renchérit Ella. Ton seul défaut à ce propos est que tu ne t'en rends pas compte.
Personne ne protesta. Tous semblaient même plutôt d'accord sur ma nomination au poste de cheffe.
- Eh bien voilà ! On y arrive ! Sourit Stephan. Donc Kyra sera votre cheffe ! Ensuite, personne ne s'oppose à ce que Florian soit responsable du pôle équestre ? »
Je secouais la tête de droite à gauche, encore sous le choc. Pourtant, je devais avouer que les autres apprentis n'avaient pas tort... J'avais les capacités pour être une bonne cheffe, mais je m'étais toujours vu dans l'ombre d'Haldir, inconsciemment. À force de me reposer sur lui, j'en étais sans doute venu à me sous-estimer...
La suite de la réunion se déroula rapidement et sans litiges. Florian nommé comme responsable du pôle équestre, et moi comme cheffe, le rôle de Maître d'armes fut attribué de manière unanime et quasiment automatique à Haldir. Les deux places de garde nocturne furent également données à Elléonora et Mathéo d'un vote expéditif. Ella se présenta pour le rôle de responsable de la surveillance, et Emilie pour celui de responsable du quartier général. Elles furent toutes deux nommées selon leurs envies, ainsi que Tara qui souhaitait devenir responsable de l'approvisionnement alimentaire et de la cuisine. Ce qu'Émilie lui accorda volontiers.
En revanche, départager Romain et Julien fut moins aisé. Après plus d'un quart d'heure de réflexions et de discussions animées, Julien céda finalement le rôle de responsable de l'armurerie à son frère, Romain.
Il fut donc nommé successeur de son mentor au poste de responsable de l'approvisionnement en matériel.
« Parfait ! S'exclama finalement Stephan. Voilà qui clôture cette réunion de distribution des rôles ! Je...
- Stephan ! L'interrompit brutalement Elène d'un ton urgent, mais les yeux complètement vides.
- Où ? Demanda expressément le chef des Gardiens, qui s'inquiéta sans que je ne comprenne quoi que ce soit.
- Près de notre cache au Liban. Répondit péniblement la Gardienne, qui retrouvait des yeux normaux. Ils sont beaucoup, mais il n'y a que des gobelins.
Stephan réfléchit un instant, puis distribua ses ordres.
- Très bien. Dit-il. Elène, tu restes là, repose-toi. Samia, Nicolas, je vais avoir besoin de vous. La région est montagneuse, on n'emmène donc pas les chevaux. Yonan, Pierre, vous venez aussi.
Sur ces mots, il fit volte-face, et les guerriers qu'il avait appelé le suivirent. Je sentais Haldir à l'aguet à côté de moi.
Au dernier moment, Stephan se retourna d'un air grave.
- Haldir ! Appela-t-il, et celui-ci releva vivement la tête. Je sais que tu as beaucoup travaillé le combat en terrain difficile dernièrement. Ton aide nous serait précieuse. Si ta cheffe est d'accord... »
Je hochai vivement la tête avant même d'avoir aperçu le regard suppliant de mon ami. Aussitôt, Haldir bondit, et, en gardant tout de même un minimum de retenue, il suivit Stephan à l'armurerie.
Le calme qui suivit était lourd d'inquiétude, même si les Gardiens restants paraissaient détendus. Les minutes passèrent. Johan finit par se lever, la mine sombre.
« Un coup de main pour sortir les chevaux ? » Demanda-t-il.
Florian acquiesça et se leva à son tour. Je suivis le mouvement, désireuse de me changer les idées. Les autres restèrent.
*****
« Vous pourriez monter Dagorian et Nahar. Suggéra Johan après que les autres chevaux eurent été sortis. Ça leur fera du bien. »
Nous approuvâmes l'idée et les ramenâmes dehors pour les préparer. Florian semblait préoccupé.
« Pourquoi Stephan est-il si inquiet ? Demanda-t-il à Johan. Les interventions ne sont-elles pas censées être monnaie courante chez les Gardiens ?
- Si. Répondit Johan, adossé à la barrière. Mais ces derniers temps, les attaques sont plus organisées et souvent proches de nos caches, ce qui est quelque peu inquiétant. Les orcs et les gobelins sont brutaux et impulsifs, la stratégie ou la discrétion n'est pas leur fort. Pourtant, leurs récentes attaques étaient ciblées et ne laissaient pas de traces ou peu, de sorte que nous en découvrions certaines que tardivement. Certains meurtres ont d'ailleurs fuité ainsi sur les médias humains.
- Stephan a-t-il une hypothèse sur la raison de ce changement ? Demandai-je à mon tour.
- Il craint le retour d'un sorcier. Avoua Johan. Comme celui qui a tué Philippe et sa femme il y a un peu moins de trois ans. Peut-être est-ce le même.
Je frissonnai.
- Mais alors ! M'effrayai-je. S'ils tombent sur un sorcier, ils sont en danger !
- Ne t'inquiète pas trop Kyra. Me calma Johan. Stephan a emmené Haldir, c'est donc qu'il ne craint pas trop cette opération, et il a un très bon instinct. Mais n'oublie pas que le danger fait partie intégrante de la vie d'un Gardien. La mort de Philippe nous l'a bien rappelé. Le risque zéro n'existe pas, mais il est dans notre devoir de protéger Gaïa et ses habitants.
J'acquiesçai, un peu rassurée, en enfilant son bridon à Dagorian.
- Allez, en selle ! » S'exclama Johan.
Après un signe de tête pour exprimer mon accord, je me hissai sur le dos de ma monture et pris en main mes rênes. Florian fit de même avec son étalon blanc et comme le temps était clément. Johan accepta que l'on reste à l'extérieur. Il nous mena donc à la carrière.
Arrivés, on vérifiait les sangles, puis je procédai, imitée par l'autre cavalier, à une détente rapide de Dagorian. Johan nous regarda enchaîner les courbes et cercles au pas, au trot, puis brièvement au galop. Il nous appela ensuite au milieu de la carrière, et installa un slalom composé d'une demi-douzaine de piquets.
« Bien. Dit-il. L'exercice que je vais vous demander d'exécuter est le suivant. Au pas, en passant par le coin de la carrière, vous viendrez sur le slalom, puis passerez les barres au sol.
J'attendais qu'il continue, mais il avait fini.
- C'est tout. Demandai-je. Ce n'est pas un peu trop simple ?
- Ce n'est que le début Kyra ! Rétorqua le Gardien. Après, vous recommencerez, mais les mains sur la tête !
- Là pour le coup, c'est peut-être un peu trop difficile. » Dis, je en gémissant.
Florian se lança en premier et je ne tardai pas à le suivre. Pour me préparer, et préparer Dagorian à la suite, je m'efforçai de ne pas trop utiliser mes mains, mais plutôt mes jambes et mon poids du corps. Seulement ce n'était pas un exercice aisé.
Puis au second passage, je dû lâcher mes rênes. Florian se débrouillait bien. Il semblait avoir déjà effectué un exercice de la sorte. Moi ? Je loupais plusieurs piquets et ne réussis à traverser correctement les barres que grâce à l'éducation réussie de mon cheval.
Celui-ci commençait d'ailleurs un peu à s'énerver à cause du flou de mes aides. Je ne cessais de regarder le piquet en pressant ma jambe interne pour tourner mais rien n'y faisait, Dagorian ne comprenait pas et il passait du mauvais côté. Petit à petit, je m'énervais aussi.
Florian vint finalement me voir, sans doute par pitié, pour me donner quelques conseils à la place de Johan, qui assistait à la séance en spectateur.
« Redresse-toi et détend tes muscles. Me dit-il. Ton regard va fixer l'orientation de ton buste et donner la direction à ta monture. Si tu regardes le sol, Dagorian le fera aussi, et toutes les poussées de jambes n'y changeront rien, puisque ton poids du corps donnera une indication contradictoire. »
J'essayai donc de suivre ces conseils, levai la tête et... ne loupai qu'un seul piquet !
Une quinzaine de minutes plus tard, je comprenais beaucoup mieux la technique, et parvenais à terminer le parcours sans faute. À partir de là, tout se passa sans grandes difficultés, même quand Johan nous demanda de le faire au trot.
Enfin, pour clôturer la séance, il nous fit sauter, toujours sans l'aide des rênes, un petit vertical, au trot, qui passa sans problème. En même temps, il fallait avouer que Dagorian était plutôt confortable. Puis Johan nous laissa nous occuper tranquillement de nos chevaux et rentra au QG.
« J'espère tout de même qu'il ne se passe pas quelque chose de grave pour inquiéter Stephan. Confiai-je à Florian alors que nous brossions nos montures.
- Je l'espère aussi. » Me répondit l'apprenti centaure, chez qui un pli barrait les sourcils.
Moi aussi la mine inquiète, je caressai le poil gris pommelé de Dagorian dont les nuances variaient du gris souris au noir orageux. Ce même gris que celui des nuages qui s'amoncelaient à l'est.
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