Chapitre 15

Le lendemain arriva vite, et il fut temps pour Haldir et moi de finir notre enquête sur les rôles.

Samia était la responsable de l'armurerie. Voilà pourquoi c'était à elle que j'avais dû donner le nom de mon arc, la veille. Tout ce qui entrait où sortait de l'armurerie était consigné et approuvé par Samia, et elle gérait l'inventaire et l'entretien des armes et autres objets de la pièce. En dehors de ces tâches-là, elle s'assurait aussi de la bonne utilisation des armes, et aidait Silla dans l'entretien des salles d'entraînement.

Yonan et Pierre, eux, géraient l'approvisionnement et les déchets de tous les Gardiens, Ils étaient ceux qui avaient le plus de contacts avec le monde extérieur. Yonan s'occupait de l'approvisionnement en matériel et travaillait donc souvent avec Johan ou Samia pour se procurer des nouveaux harnachements ou de nouvelles armes. Quand l'équipement n'était plus utilisé, il passait à nouveau par Yonan pour être renvoyé.

Pierre s'occupait de l'approvisionnement du nécessaire alimentaire et des matériaux consommables, ainsi que de leur évacuation. Il gérait donc tous les déchets, et traitait avec de nombreux commerçants et vendeurs afin d'échanger les matériaux. Comme Silla s'occupait de la cuisine, il travaillait souvent avec elle pour regarnir les placards, et d'autant plus du fait qu'elle était responsable du QG ! Pierre me confia qu'il avait été fréquent dans l'histoire des Gardiens, que ce soit au responsable de l'approvisionnement alimentaire de cuisiner et que Silla avait convoité ce rôle pour cette raison. Les deux Gardiens avaient donc fait un compromis à la distribution des rôles : Pierre était responsable de l'approvisionnement alimentaire, et il laissait à Silla la responsabilité de la cuisine.

Enfin, venait le rôle d'Elène. Le dernier à recenser avant de retourner voir Stephan. Son rôle était celui de responsable de la surveillance.

J'avais d'abord cru qu'il s'agissait d'une sorte de concierge du QG, mais je compris que j'avais tout faux quand elle nous expliqua que son rôle était de surveiller les intrusions ennemies sur Gaïa. Son rôle était très difficile à maîtriser, comme à exécuter, et l'apprentissage en était long et dur. Elle devait en permanence garder une part de son esprit autour de Gaïa, par une technique particulière, ce qui était assez éprouvant. Mais elle m'avoua aussi que son rôle lui permettait de partir en intervention presque systématiquement, ce qui n'était pas négligeable. Cependant je me souvins qu'à ces mots, j'avais froncé les sourcils, me demandant quelle raison poussait la plupart des Gardiens . À l'heure actuelle, je n'avais toujours pas de réponse à cette question. J'avais regardé Haldir, mais il n'avait pas réagi, comme s'il trouvait cela normal. Elène nous laissa ensuite pour aller s'entraîner. Notre enquête était terminée, et il ne nous restait donc plus qu'à retourner voir Stephan.

Il attendait dans la Taverne, assis à la grande table, et il sourit en nous voyant arriver.

« Alors ? Sourit-il. Vous êtes arrivés à la fin de votre enquête ?

- Oui ! Annonça triomphalement Haldir tandis que je montrais mes notes à notre mentor. Et maintenant, c'est à vous de répondre à nos questions !

- Non... D'abord, je dois vérifier que vous ayez bien tout soulevé... Le coupa Stephan en feuilletant mes notes.

Il s'arrêta sur la dernière page, où était noté « Maître d'armes » au sommet d'une page vierge. Puis il releva les yeux sur nous avec un sourire satisfait.

- Très bien ! Dit-il finalement. Allez-y ! »

Ravi de pouvoir lui soutirer enfin les informations convoitées, je me lançais avec entrain dans l'interview.

Le rôle de Maître d'armes était un rôle très important dans la confrérie : non seulement il représentait le statut de sous-chef, ce qui lui conférait donc une autorité conséquente, mais le Maître d'arme était aussi le chef stratège des Gardiens. Il était responsable de tous les combats, et décidait avec le chef de la composition des équipes d'intervention, dont il faisait souvent partie. C'était également à lui d'établir les stratégies de groupe. Sur le terrain, ses ordres n'étaient pas contestables.

« Je ne vais pas vous le cacher, mais je vous vois tous les deux comme de potentielles recrues à ce rôle. Confia soudain Stephan. Même si Florian pourrait aussi prétendre au titre.

- Vraiment ? M'étonnai-je en relevant vivement ma tête de mes notes. Merci. »

Je réalisais alors qu'il parlait aussi de Haldir et lui lançai un regard heureux et fier.

Quant à Florian, je le connaissais peu, même si Stephan semblait le tenir en haute estime. Je le croisais souvent à l'entraînement, ses cheveux châtains ébouriffés par le vent et les mouvements complexes qu'il effectuait. Il était grand, toujours droit, et restait souvent seul avec les Gardiens, rarement avec les apprentis. Quand il n'était pas dehors ou avec un Gardien, il faisait des allers-retours à la bibliothèque, où il passait presque autant de temps que Tara.

Mais à part ce que j'avais observé de lui au quotidien, je ne le connaissais pas du tout. Quelle était sa façon de penser ? Comment se comportait-il avec ses amis ? Je l'avais vu quelquefois avec Ella, sa coéquipière. Ils avaient l'air de bien s'entendre...

« Kyra !

Haldir me regardait avec insistance, et Stephan avec amusement.

- Je disais que nous vous avions préparé quelque chose de sympa pour cet après-midi. Reprit Stephan plus sérieusement. Donc soyez au terrain d'entraînement à 14h ! »

Le chef partit quand nous eûmes acquiescé.

*****

La zone d'entraînement en question était un terrain sablé d'une grande taille, située juste à gauche du bâtiment, en sortant. Apparemment, tous les apprentis y avaient été invités. Les Gardiens presque au complet -il ne manquait que Shayna et Silla- arrivèrent avec nos armes dans les bras.

« Cette après-midi, nous avons décidé de vous dispenser un cours collectif ! Commença Stephan en distribuant les armes.

Il tendit une longue épée effilée à Haldir avant de remettre entre mes mains ma propre lame. Son épée à lui était rangée dans un fourreau qui pendait à son côté, attaché à un épais ceinturon.

- Vous allez vous mettre en duo pour les exercices qui arrivent ! » Reprit le Gardien.

Sans surprise, les duos se firent selon les partenaires planétaires de chacun. Les vampires, ensemble, les nains, ensemble ect... Je fis bien évidemment équipe avec Haldir.

Stephan commença par nous échauffer puis à nous aider à reprendre en main nos armes. Tout le monde ne portait pas d'épée : Elléonora maniait un bâton en bois à l'éclat métallique, une sorte de bô en aluminium. Curieusement, Mathéo aussi ; même si des dagues étaient glissées dans son ceinturon. Tara quant à elle, avait entre les mains une épée basique mais avec laquelle elle ne se sentait clairement pas à l'aise, contrairement aux autres apprentis.

Les plus habiles sortirent tout de suite du lot. Haldir et Florian notamment, faisaient preuve d'un talent toujours plus surprenant l'un de l'autre.

Après quelques exercices d'échauffement en duo, Stephan refit les groupes afin d'organiser des duels amicaux. Stephan me fit d'abord combattre avec Ella, et fit s'affronter Haldir et Florian.

J'en profitais pour les observer un peu, et tout particulièrement Florian. Je compris soudain pourquoi il avait tapé dans l'œil de mon mentor. Sa technique était assurée et parfaite, même si celle d'Haldir était plus travaillée, preuve d'une pratique plus ancienne et d'une plus grande expérience. Le brun semblait avoir une capacité d'assimilation à toute épreuve ; il s'adaptait avec aisance à la stratégie d'Haldir pour éviter ou contrer ses coups, et tenter tant bien que mal de riposter.

Cependant, l'elfe avait l'avantage sur le combat, et il le savait. Haldir adoptait donc une attitude plutôt offensive, tandis que Florian, de plus en plus poussé dans ses retranchements, se voyait obligé de prendre une posture défensive pour tenir.

Beaucoup des Gardiens, qui participaient peu au cours mené par Stephan, observaient le combat entre les deux apprentis avec attention. Certains d'entre nous aussi, comme Ella et moi, les regardaient, captivés par la démonstration. Haldir finit par mettre Florian hors de combat. Celui-ci se releva et tendit une main amicale vers celle d'Haldir. Mais mon partenaire l'ignora ; il fixait un point derrière moi d'un regard déterminé. Mais son regard abritait aussi autre chose, une flamme vive de chagrin et de rage que je n'avais encore jamais vue chez lui. Stephan passa à côté de moi pour s'approcher d'Haldir, et je compris que c'était lui que mon ami fixait. Florian, qui attendait toujours que le vainqueur lui serre la main finit par la baisser et ramassa son épée en fronçant les sourcils, vexé, avant de retourner à côté d'Ella.

Le regard étrange d'Haldir ne quittait plus Stephan, et les deux Gardiens se faisaient face, l'un avec l'épée au poing, l'autre les doigts reposant nonchalamment sur le pommeau de sa lame.

« Accordez-moi un duel. Demanda l'apprenti d'une voix distante. Accordez-moi un duel, et si je l'emporte, vous me laisserez partir en intervention.

- Tu es impatient Haldir. Le réprimanda Stephan. Impatient et têtu, mais soit ! J'accepte un duel. Cependant, si je l'emporte, tu suivras mes ordres sans sourciller, et ce, jusqu'à la fin de ta formation !

Stephan fixait mon ami d'un regard lourd de sens. L'attitude de son apprenti déplaisait au Gardien et il souhaitait que cela cesse, de gré ou de force.

- Très bien. » Accepta Haldir, en se mettant en garde.

Puis sans attendre, il bondit sur Stephan et lança son épée vers le flanc de son mentor, mais sans toucher sa cible car celle-ci ripostait déjà avec précision et vélocité. Haldir, écarquilla les yeux quand il vit la lame du Gardien pointé vers sa hanche, mais il la dévia d'un coup d'épée et parvint à se dégager de la portée de Stephan. Mais le brun reprenait déjà l'assaut par l'arrière en tentant de faucher les jambes du blond, qui esquiva d'un bond sur le côté. Haldir n'avait pas le temps de placer une seule attaque. Stephan n'y allait pas de main morte.

Mon partenaire effectua soudain une manœuvre qui surprit tout le monde. Il se figea et attendit que Stephan soit sur lui pour se baisser et rouler habilement à proximité de sa jambe droite, en profitant pour la marquer d'une longue et profonde estafilade. La plaie ne tarda pas à se mettre à saigner. Hélas, quand il se releva, son mentor le déséquilibra d'un coup d'épaule et il retomba lourdement au sol, en lâchant son épée dans sa chute. Stephan plaça sa lame sous la gorge d'Haldir avec un regard sévère.

« Tu es bon. Dit-il. Mais tu n'es pas prêt. Les monstres qui t'attendent dehors n'auront pas ma clémence.

Stephan se tu un instant, puis rengaina son épée.

- Cependant tu t'es bien battu. Continua le chef. Aussi, je vais te donner un conseil : utilise toutes tes compétences. Le jour où tu y parviendras, tu seras prêt.

Stephan se tourna vers les autres apprentis pour prononcer la suite de son discours.

- Et ce conseil est valable pour tous ! Dit-il, d'une voix forte. Même si son application change selon l'individu. »

Après ce duel marquant, la leçon reprit son cours. Mais Haldir était humilié, et je voyais ses poings se serrer de frustration chaque fois qu'il apercevait la jambe hâtivement bandée de Stephan. Je décidai que lui parler maintenant ne ferait qu'empirer son moral et me concentrai donc sur ma position et mes mouvements, sous l'œil aiguisé d'Elène, qui me conseillait au mieux.

Je progressais : je commençais à comprendre comment mon épée s'équilibrait en terme de poids, et parvenait petit à petit à me l'approprier.

Attaquez avec le plat de l'épée pour ne pas l'émousser, puis tourner, feinter et reculer pour esquiver une éventuelle riposte. C'était tout un art qui nécessitait d'être en perpétuel mouvement, et d'avoir un esprit ouvert à l'anticipation. À la fin de la séance, j'avais essuyé deux défaites : contre Florian, qui m'avaient laissé aucune chance, et contre Romain, qui avait tiré profit de sa petite taille pour se faufiler entre mes coups. Mais j'avais tout de même remporté mon duel contre Émilie, ce qui m'apportait une certaine satisfaction.

Le cours terminé, chacun alla ranger ses armes à l'armurerie. Puis certains rentrèrent au QG, tandis que d'autres, Johan et Florian en l'occurrence, préférèrent se rendre utile auprès des équidés. Haldir, lui, alla s'isoler dans les bois, emportant avec lui arc et flèches. Stephan allait pour s'approcher de moi, l'air de vouloir me confier quelques mots, Mais s'il se ravisa et rentra au QG.

J'allai pour ma part voir Dagorian dans son pré, en songeant, le moral un peu miné, au comportement de Haldir que je savais dû à une souffrance, bien que la cause de cette souffrance me fût encore inconnue. Le bel étalon gris m'accueillit en batifolant gaiement, et vint me chatouiller du bout de son nez lorsqu'il s'aperçut que je ne riais pas. Il renâcla doucement et posa sa tête sur mon épaule avant de hennir et de repartir dans un galop effréné, se figeant quelques fois pour vérifier que je le regardais.

Je fermai les yeux et tentai de réfréner une soudaine angoisse croissante vis-à-vis d'Haldir par des exercices de respiration. Des fourmillements commencèrent à se muer en points d'énergie autour de moi. Les nuées grisâtres m'apaisaient et je me perdis bientôt dans leur légère danse, l'esprit absent. Des poussières bleutées vinrent s'ajouter au gris.

Lorsque je repris pleinement conscience et relevais mes yeux toujours fermés sur Dagorian, qui broutaient des petits points verts à côté de moi, une autre silhouette cobalt, attira mon regard omniscient. Un cheval grand et fier, bien droit sur ses aplombs, qui me couvait au loin de ses yeux profonds.

Asfaloth. Songeai-je avantde replonger dans l'absence.


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