Chapitre 1
« Bonnes vacances ! Je vous enverrai les devoirs d'ici la fin de la semaine », annonça le professeur à l'instant même où la sonnerie retentit. Dans un brouhaha euphorique, les élèves rangèrent leurs affaires et quittèrent la salle de classe, certains en trombe, d'autres plus calmement, mais en grande discussion avec leurs amis. A l'extérieur, le soleil chaud d'un après-midi d'avril brillait sur la cour tandis que je sortais à mon tour de la pièce. Je pressai le pas après avoir salué mon professeur de mathématiques : mon père avait pu sortir plus tôt de son travail et il m'attendait à la sortie ; j'avais hâte de le retrouver.
Mes parents s'étaient séparés une dizaine d'année plus tôt, car mon père reprochait à ma mère des absences de plus en plus répétées. Après une discussion sérieuse, ils avaient choisi de mettre un terme à leur relation, et ma mère avait laissé ma garde à mon père. Du moins c'était la version qui était remontée jusqu'à moi : à peine âgée de quatre ans à cette période, je ne gardais aucun souvenir de leur séparation. Je ne voyais ma mère que pendant les vacances, à l'appartement qu'elle louait en Drôme. Elle vivait avec ma grande sœur, Elléonora, dans une ville peu réputée, sinon pour son musée de la Chaussure auquel je n'avais jamais mis les pieds. Ma sœur n'était pas beaucoup plus âgée que moi... Si nous nous ressemblions par nos traits, dans notre caractère comme dans notre façon d'être, nous étions comme le Ying et le Yang. Mais malgré nos différences, le lien du sang que nous partagions nous rendait inséparables, de sorte que chacune de nos retrouvailles était dignement célébrée. Or il se trouvait que j'allais me rendre à Romans-sur-Isère dès le lendemain pour la retrouver, et rien ne pouvait me rendre plus heureuse.
Je marchais à présent dans le hall d'entrée, ayant tout juste récupéré les affaires qui trainaient encore dans mon casier, pour rejoindre mon père à l'extérieur. La cour se trouvait de l'autre côté du collège de sorte que la porte principale donnait sur le parking de la grande rue. Après de rapides salutations, je sautai dans la voiture, bien vite suivie par mon père, qui s'installa au volant. Tandis qu'il démarrait le moteur, j'allumai la radio :
« Un groupe de randonneurs a été retrouvé massacré dans le Vercors, quelques heures à peine après le signalement de leur disparition. À ce jour, les autorités ne disposent d'aucun indice quant à l'origine de l'attaque. Le site a été bouclé et une enquête pour homicide a été ouverte. »
C'était la troisième fois ce mois-ci. Des gens étaient retrouvés morts dans toute la France, souvent de façon brutale, et sans aucun indice sur les meurtriers. Aux journaux télévisés, on disait même que des meurtres semblables étaient commis dans plusieurs autres pays, mais à une fréquence moindre. Des enquêtes étaient toujours ouvertes, mais elles n'aboutissaient jamais. L'affaire était si inquiétante que le président lui-même avait réagi de façon officielle, par le biais d'une allocution largement rediffusée. Refusant d'en écouter davantage, mon père changea de fréquence, et une musique vive se fit entendre à travers le véhicule.
Aussitôt arrivés à la maison, je posai mon sac dans un coin de ma chambre, où il serait oublié jusqu'à la fin des vacances, et je courus presque jusqu'au garage pour y chercher mon arc. Quelques années auparavant, mon père m'avait assisté dans sa fabrication, puis m'avait appris à tirer. Depuis, c'était un passe-temps auquel je me consacrais régulièrement. L'arc en question était assez grand : il m'arrivait à l'épaule. De couleur crème, fait en bois de noisetier soigneusement écorcé, je l'avais bandé avec une ficelle blanche, qui désormais ne l'était plus. La branche faisait l'épaisseur de mon pouce, et elle était gravée par endroits de quelques arabesques fantaisistes. Pour accompagner mon arc, j'avais également taillé des flèches, mais celles-ci se cassant régulièrement, je n'en disposais que d'un nombre limité.
Munie de mon arc et de mes quelques flèches sans carquois, je gagnai le jardin, vérifiai la tension de la corde, et décochai un premier trait. Puis j'ajustai de nouveau la corde et je fis un nouvel essai, visant le centre d'une cible de fortune, maladroitement peinte sur le tronc du cerisier qui poussait là. Je tirai ainsi un long moment, visant plus ou moins loin, parfois de biais, en ajustant mes trajectoires. Mon père m'observa un moment par la fenêtre avant de retourner à ses occupations, un sourire aux lèvres. Enfin, ma séance terminée, je retirai la ficelle pour la préserver, et je rangeai mon arc et mes flèches avant d'aller prendre une douche bien chaude.
Il me semblait n'avoir que trois passions essentielles dans mon quotidien : le tir à l'arc, l'astronomie, et l'équitation. Cette dernière était sans aucun doute la plus onéreuse, mais elle était aussi la plus intense. Je montais en club, une ou deux fois par semaine, et j'essayais de m'ouvrir à un maximum de disciplines, le saut et le dressage autant que le travail à pied. Je n'étais pas propriétaire, cependant, étant une habituée du club, j'offrais parfois mes services pour m'occuper des chevaux, ce qui m'avait permis d'apprendre à les côtoyer en sécurité, dans des circonstances parfois difficiles. Je tenais cette passion pour les équidés de ma mère, qui avait elle-même été une cavalière confirmée par le passé, et qui montait encore de temps en temps en loisir.
Quant à ma passion pour l'astronomie, je ne me l'expliquais pas. J'avais toujours eu la tête dans les étoiles, et le système solaire n'avait plus aucun secret pour moi. Certains soirs d'été, mon père m'emmenais dans les Vosges, sur une étendue déboisée, et nous restions là de longues heures, à observer le mouvement des étoiles en les nommant une par une.
Enfin, il y avait encore une thématique qui suscitait mon intérêt, même si je ne la considérais pas non plus comme une passion. Depuis quelques temps, les mondes merveilleux éveillaient mon imagination de la meilleure des façons : à travers les livres et les légendes. Dragons, fées, elfes... je me surprenais quelques fois à espérer les voir s'animer et s'extirper des pages des livres, ou plus encore, à me réveiller un matin avec des oreilles pointues.
* * * * *
Je me levai tôt le jour suivant. Après m'être habillée avec un jean bleu clair et un tee-shirt jaune, je m'étais tressée les cheveux en deux nattes qui se joignaient en une à l'arrière de ma tête. Ceci fait, j'avais soigneusement brossé les cheveux restants, dont les deux mèches à l'avant, que je n'avais pas jointes aux tresses.
Je m'observai alors dans le miroir : prise dans mes songes merveilleux, je me trouvai presque un air elfique, avec mes longs cheveux châtains, et mes yeux gris-kaki. Mais mes oreilles étaient toujours aussi rondes, et ma taille fine ne trahissait que l'absence de musculature...
M'arrachant à mes pensées rêveuses, j'allai prendre mon petit déjeuner, car il me restait encore quelques préparatifs à finaliser avant de partir. Mon père dormait encore, mais il ne tarda pas à se lever avec le bruit que je faisais malgré moi. Il ne prendrait pas le train à mes côtés, cela n'était pas nécessaire. Il se contenterait, comme à chaque trajet, de m'accompagner à la gare et de me souhaiter bon voyage, avant de rentrer à la maison.
Auparavant, je voyageais encore accompagnée d'animateurs, mais depuis mes quatorze ans fêtés en début de mois, je pouvais enfin voyager seule. Mon trajet se fit donc dans la solitude, mais dans une solitude agréable, prompt aux rêveries.
Assise sur une place individuelle à côté d'une fenêtre, je voyais défiler les paysages à travers la vitre. Pendant un instant, j'imaginai mon arrivé, quelques heures plus tard, à la gare de Valence TGV, où m'attendrait ma mère et ma sœur. Nous prendrions la voiture pour rentrer à l'appartement, et je serai, comme à mon habitude, accueillie par les aboiements du petit chien que nous avions là-bas.
Malgré mes songeries rêveuses et l'impatience qui m'agitait les tripes, je finis par me perdre dans les décors éphémères qui se succédaient devant moi. Le ciel était dégagé, les fleurs et les bourgeons fleurissaient déjà dans les arbres qui poussaient en bosquets. Tout appelait à la bonne humeur. Les champs qui s'étendaient à perte de vue étaient accompagnés de quelques villages au loin, sur de petites collines. Du bétail et des chevaux paissaient dans des prés, rendant les paysages plus beaux encore. Puis, petit à petit, le décor changea pour une gare. Je me détournai alors.
Bientôt, je fus déjà à mi-chemin. Les passagers affluaient et refluaient au fur et à mesure des haltes du train. Il n'en restait que trois avant celle de Valence TGV. Environ une heure et demie, pensais-je, une heure et demie avant d'être assaillie de câlins et de bisous. C'était là mon dernier temps de quiétude avant les émotions puissantes qui prennent le pas sur toute raison.
J'aimais, certes, ces émotions-là, même si je manquais quelques fois de tact dans les relations sociales ; ma famille ne m'en tenait, bien heureusement, pas rigueur. Malgré tout je ne pouvais m'empêcher de savourer cet instant de solitude propice à ces rêveries dont j'étais si friande...
À Romans-sur-Isère, j'allais aussi retrouver quelques amis, dont l'un en particulier, que je partageais avec Elléonora. Plutôt de son âge que du mien, il nous accompagnait souvent dans un parc, où nous nous baladions en discutant longuement. Du nom de Mathéo, il possédait une carrure athlétique, et il était bien plus sportif et téméraire que ma sœur et moi ne pouvions l'être. Malgré tout, nous nous entendions bien.
Quand nous nous étions rencontrés, il avait mis un temps fou à retenir mon prénom, se bornant à m'appeler Kiara ou Kara plutôt que Kyra. Depuis, il lui arrivait encore de mal orthographier mon prénom, dans le seul but de me taquiner.
Finalement, après quatre heures de trajet, mon voyage touchait à sa fin. Les minutes passèrent, de plus en plus longues dans l'excitation qui précédait l'arrivée. Tandis que le train commençait à ralentir, je me levai. Il restait cinq minutes. Puis quatre. Trois. Et le train ralentit encore. Deux. Il s'arrêta dans un sifflement. Un. Je sortis enfin sur le quai, savourant l'air frais. Zéro. Maman était là. Ma sœur aussi. Plus que quelques pas... Puis nous nous étreignîmes avec bonheur, avant de se diriger tranquillement vers le parking, déjà en vives conversations, prenant chacune des nouvelles des autres.
Cela faisait deux mois que je ne les avais pas vues et nous avions beaucoup de choses à nous dire ! En deux mois, beaucoup de changements peuvent survenir. Par exemple, j'avais quasiment rattrapé ma sœur en taille alors qu'elle avait deux ans de plus que moi. Mais je n'étais pas la seule à avoir grandi. Remus, le petit chien que Maman avait récupéré depuis déjà un an, avait encore pris quelques centimètres, et son poil s'était assombri. J'avais toujours partagé avec lui un lien particulier. Ma mère disait parfois que j'avais un don avec les animaux ; je préférais pour ma part parler d'affinités. En ce qui concernait Remus, je le choyais chaque fois que j'en avais l'occasion, et c'était forcément un facteur de renforcement de notre lien, quel qu'il soit. Il me considérait sans doute plus comme une compagne de jeu que comme une deuxième maîtresse. Aussitôt arrivée, il me sautait déjà dessus pour quémander des câlins.
L'après-midi fut tranquille. J'avais passé de longues heures à discuter avec ma sœur, et nous avions été promener Remus le long de l'Isère, le large fleuve qui traversait la ville. Il n'y eut donc rien d'étonnant à ce que, le soir venu, je m'écroulasse au creux dans mon lit, d'un sommeil sans rêve.
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