Chapitre 8 : Ella

Alors que le Soleil se levait et éclairait petit à petit le pôle équestre d'une lueur bleuté, Ella brossait patiemment le poil noir de jais de sa monture, dont elle aimait comparer la couleur à celle d'une panthère. Sa robe était douce et soyeuse, bien que clairsemée par endroit par quelques petites blessures bénignes, conséquences d'une vie essentiellement en extérieur. Ella ne s'embarrassa pas à tresser sa crinière : elle la préférait largement détachée, et cela lui permettrait de s'y accrocher en cas de problème d'équilibre sur les sauts.

Mais avant l'épreuve de saut en terrains variés, il y avait une épreuve, dite de liberté. Celle-ci était comparable à une épreuve de dressage, qui se déroulait néanmoins sans matériel, c'est-à-dire sans selle ni filet, ni quelque autre objet. Pour les apprentis seulement, la cordelette était autorisée. La reprise en elle-même comportait une partie montée, et une partie à pied. Ne disposant pas de montoir, les cavaliers devaient donc être à même de grimper sur leurs montures sans aide, sans regard sur la taille de l'équidé.

Dionosis, l'étalon d'Ella, était justement plutôt grande, sans être non plus gigantesque... Elle mesurait un mètre soixante-trois environ au garrot, c'est-à-dire au niveau de la jonction du dos et de l'encolure du cheval. La jeune fille s'était donc longuement entraînée pour pouvoir grimper sans selle sur le dos de sa monture, et même si son mouvement restait maladroit, elle était en mesure de l'effectuer correctement.

Au cours de l'heure suivante, les cavaliers participants aux épreuves équestres achevèrent de préparer leurs chevaux, et de les échauffer tranquillement. Enfin, les Gardiens de la sixième génération commencèrent un par un à dérouler la reprise imposée. Ella en profita pour les observer, et vérifier qu'elle avait bien mémorisé l'enchainement.

Le couple devait arriver à pied et au trot, puis s'arrêter au centre de la carrière. Ensuite, le cavalier devait faire reculer sa monture sur cinq pas, puis lui décaler les épaules pour lui faire faire demi-tour. C'est là que le cavalier enfourchait son cheval, et prenait le galop à gauche avant d'enchainer avec un cercle de vingt mètres. Le tout sur ce passage, était de ne pas tomber, car une chute, bien qu'elle ne soit pas éliminatoire sur cette épreuve en particulier, était tout de même très pénalisante. Même en reprenant le trot pour effectuer un slalom, le cavalier ne devait en aucun cas perdre l'équilibre, au risque de perdre de nombreux points. Enfin, le couple devait repasser au pas, puis remettre pied à terre, et saluer le jury, composé d'Elène et d'Haldir.

La plus belle prestation fut signée Johan, avec sa jument Fhreya. Ils étaient suivis de peu par Stephan et Felaróf, leurs éternels rivaux depuis la création du tournoi. L'une des particularités des épreuves équestres était la participation par équipe. Elle n'était pas obligatoire, mais elle offrait une récompense supplémentaire à l'équipe victorieuse, sans leur imposer d'épreuve supplémentaire, puisque chaque cavalier concourrait en individuel. Les trois meilleurs scores de chaque équipe de quatre étaient additionnés pour former le score de l'équipe. Celle qui avait le moins de point de pénalité à la fin des trois épreuves l'emportait.

Cette année, les équipes mélangeaient la sixième et la septième génération. Ella faisait partie de la deuxième des trois équipes, avec Stephan, Nicolas et Tara. La première équipe, menée par Kyra, comprenait Florian, Silla et Elléonora, ce qui faisait d'eux des adversaires redoutables, au même titre que la troisième équipe, dirigée par Johan, et où se trouvaient Shayna, Mathéo et Romain. Les équipes étaient donc plutôt équilibrées, aucun cavalier ne devait ménager ses efforts au risque de faire couler l'équipe.

Ella et Dionosis furent les derniers à dérouler leur reprise. Malheureusement, sa reprise ne se passa pas du tout comme prévu. Son étalon, d'ordinaire calme, s'excitait de plus en plus, et la jeune apprenti d'Aeglar peina à le contenir, et failli chuter lors de la phase de galop. Dans l'ensemble, ce n'était pas si mal, mais la jeune cavalière n'était pas fière de sa prestation. Son score était le moins bon de l'équipe, et le surplus d'énergie de son étalon amenait avec lui son lot d'appréhension pour la prochaine épreuve : le saut d'obstacle.

Les chevaux furent sellés et harnachés, et bien vite, les concurrents se mirent en selle pour détendre leurs montures en carrière. Le verdict tomba assez tôt quant à la difficulté de l'épreuve : parmi les vétérans, seuls Stephan et Johan firent un sans-faute, c'est-à-dire un parcours sans faire tomber de barres, ni dépasser le temps imparti. La hauteur et le parcours était ajusté pour les apprentis, qui n'avaient pas autant d'expérience, mais à nouveau, les sans-fautes se firent rares. Florian en boucla un sans surprise, mais Kyra, qui était pourtant bonne cavalière, acheva son parcours avec une barre à terre, qui lui couta quatre points de pénalité.

Sa sœur en revanche, surpris tout le monde en faisant elle-même un parcours parfait, avec Nivacrin, un étalon bleu rouan. Tara, qui était dans l'équipe d'Ella, fit elle aussi tomber une barre, et termina malheureusement avec cinq secondes de trop. C'était à présent au tour de la jeune cavalière d'Aeglar de se lancer.

Avec un nœud dans l'estomac, elle lança Dionosis au galop. Celui-ci partit comme une flèche, ce qui eut le don de faire paniquer Ella, qui passa les premiers obstacles en catastrophe, faisant tomber une barre dans un bruit sourd. Peu fière de ce qu'elle faisait, elle donna un petit coup vers le haut avec ses rênes pour surprendre sa monture et la reprendre en main. La manœuvre fonctionna, et l'apprenti respira un bon coup avant d'aborder le prochain obstacle : un tronc assez épais, suivi d'un enchainement de deux obstacles rapprochés.

Passée cette frayeur, la suite se déroula sans encombre, mais la prudence d'Ella, qui ralentissait sa monture plus que nécessaire, lui coûta un petit point de temps. Ce fut avec soulagement qu'elle descendit de cheval, presque effrayée par sa monture qu'elle n'avait jamais vu si vive. Elle s'en occupa avant d'aller le ramener au paddock. C'était la pause déjeuner, et la jeune guerrière allait en profiter pour souffler un peu avant la dernière épreuve.

Avant d'aller manger, elle alla consulter le classement provisoire. L'équipe de Kyra était largement en tête, avec plus de dix points d'avance. Ensuite venait l'équipe d'Ella, menée par Stephan ; celle-ci était suivie de très près par la dernière équipe, celle de Johan. La première place par équipe semblait donc jouée d'avance, même s'il restait une épreuve décisive, qui permettait notamment de retirer des points de pénalité aux cavaliers.

En individuel également, le classement était déjà bien dessiné ; sur le podium provisoire se tenaient Johan, Stephan puis Florian. Mais les scores individuels se jouant au point prêt, la dernière épreuve pouvait tout chambouler. Il s'agissait d'une épreuve de tir à l'arc à cheval. Les cavaliers, sur leurs montures au pas, au trot ou au galop (avec une limite de temps au bout de laquelle les cavaliers arrêtaient de tirer), devaient tirer sur différentes cibles, comme lors du tir à l'arc classique. Une cible manquée donnait des points de pénalité, tandis qu'une cible frappée en son centre en retirait deux. Les concurrents n'avaient droit qu'à un tir par cible, donc il valait mieux tirer au pas, au risque de ne pas tirer un grand nombre de flèches, que de se dépêcher et d'en manquer un grand nombre.

C'est la stratégie qu'avait décidé d'adopter Ella, puisqu'elle n'avait pas non plus un niveau exceptionnel en tant qu'archère.

Elle fut très peu attentive aux prestations de ses adversaires, profondément concentrée sur son échauffement, avec un étalon qui montait toujours plus en tension, excité par l'ambiance du tournoi. Johan avait donné quelques conseils à l'apprenti, mais rien n'y faisait, Dionosis était toujours plus agité. Les Gardiens de la 6e génération achevaient chacun leur épreuve, et Ella commençais à paniquer : elle n'avait toujours pas réussi à exécuter un galop dans le calme. Elle était au bord des larmes quand Johan accourut pour l'aider, son parcours terminé.

Toujours aussi calme, le vétéran pris en main la monture, qui piaffait toujours. Il proposa à Ella, qui était descendue, de lui laisser finir la détente de Dionosis, et d'aller observer ses camarades passée le temps de revenir au calme. Elle accepta gracieusement son aide, et escortée par Emilie, compatissante devant l'angoisse de son amie, elle regagna le Bosquet, où les Gardiens s'exerçaient traditionnellement au tir à l'arc.

« Dis donc, je ne savais pas Tara si adroite à l'arc, surtout à cheval ! » S'exclama Emilie.

Ella leva les yeux vers le couple en action. Tara, ses cheveux blonds noués en une tresse serrée, chevauchait sa petite jument palomino avec adresse, la dirigeant aux jambes tandis que ses doigts de fée faisaient chanter son grand arc. Elle avançait à vive allure, sa monture au petit galop, et pourtant elle ne manquait presque aucun tir. Plusieurs de ses traits se fichaient en plein centre de ses cibles ; elle améliorait ainsi son score global de façon significative, et en même temps celui de l'équipe de Stephan et d'Ella. A la fin du parcours, c'est un total de huit points de pénalité qu'elle avait pu retirer de son score, il s'agissait de la meilleure performance, toute génération confondue.

Lorsqu'elle descendit de cheval, Tara vint voir Ella pour l'encourager. Celle-ci s'était quelque peu apaisée, et les encouragements de ses amies lui avaient rendu une part de sa confiance. Stephan lui-même, la voyant fébrile, vint lui donner ses conseils et la rassurer. Le comportement de Dionosis n'avait rien d'anormal, et il n'y avait aucun enjeu, sinon leur fierté personnelle. Il intima à Ella d'avancer à son rythme, quitte à ne pas aller loin sur le parcours. Après la performance de Tara, le plus important était de ne pas manquer de cible.

Rassénérée, Ella retourna à la carrière de détente, où Johan l'attendait tranquillement, tenant Dionosis par la bride. L'étalon semblait beaucoup plus calme. Son poil était trempé de transpiration, mais l'écume séchait doucement à mesure que la tension descendait chez l'animal.

« Prête ? » Demanda Johan, un sourire aux lèvres pour encourager l'apprenti.

Ella acquiesça, et récupéra sa monture, la gorge un peu nouée. Johan la fit trotter un peu, et tirer une ou deux flèches avant de la laisser rentrer en piste. La jeune Gardienne respira un grand coup, et prépara son arc et ses flèches.

Elle visa ses premières cibles au pas, tranquillement, et les atteignit toute. Elle sentait que Dionosis s'était calmé, même elle-même était toujours tendue, et ses bras tremblaient légèrement. Néanmoins, la suite du parcours se déroula calmement, tant et si bien qu'elle trotta sur une ligne droite pour tirer. Au virage suivant, elle abordait un segment plus compliqué, et repassa au pas, un peu essoufflée. Elle se pencha pour récupérer des flèches dans un carquois placé dans le virage, mais l'une des flèches resta coincée, et Ella du forcer un peu pour la récupérer. Le carquois tomba alors sur les membres de Dionosis, qui bondit de frayeur avec un petit hennissement.

La jeune Gardienne perdit l'équilibre, surprise par le mouvement brusque, et sa monture partit au galop. Ella essaya d'attraper ses rênes, et les flèches qui étaient toujours dans sa main lui échappèrent, effrayant d'autant plus sa monture qui fit un gros écart pour les éviter. Elle se sentit basculer ; ses pieds glissèrent des étriers, et sa tête heurta lourdement le sol. A moitié assommée, elle n'arrivait plus à respirer. Les yeux grands ouverts sous le choc, elle commença à paniquer, et vit à peine les Gardiens accourir vers elle, inquiets. Elle sentit alors la douleur perçante à l'arrière de son crâne, et elle s'évanouit.


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