Chapitre 40
Stephan était entouré d'orc. Il était à bout de souffle, et couvert de sang et de sueur. Le combat s'éternisait et le Gardien craignait que le sorcier ne vienne à bout de la confrérie à l'usure.
Il sentit soudain une nouvelle énergie, à la fois inconnue et familière. Il se tourna vers sa source et vit avec effroi Kyra, traversant un portail sur le dos d'Asfaloth pour rejoindre le combat. Sa distraction lui valut une profonde entaille à la cuisse, et il fut soudain motivé par une détermination nouvelle. Il refusait de mettre Kyra en danger. Si les Gardiens devaient périr au cours de cette bataille, elle aurait pu relever la confrérie et bâtir une nouvelle génération. Or elle venait d'arriver au seul endroit où Stephan ne voulait pas la voir ! Il refusait un nouvel accident comme le sacrifice de Philippe, il serait incapable d'y assister.
Pris d'une fureur soudaine envers les orcs, il libéra une grosse décharge d'énergie qui tua brusquement les orcs jusqu'à trois mètres autour de lui. Ils s'effondrèrent comme des mouches. Le chef des Gardiens siffla alors Felaróf et lui sauta sur le dos avant de se précipiter vers Kyra. Hélas il n'eut pas parcouru dix mètres qu'une cohorte d'orc lui barra le chemin. En plusieurs coups habiles portés entre les interstices de leur armure, il tua trois des monstres et son étalon se cabra, piétinant une autre des créatures en lui retombant lourdement dessus. S'aidant d'énergie qu'il puisait dans le corps des orcs qu'il tuait, il en extermina quatre autres en un clin d'œil. C'étaient cependant des centaines d'orcs qui grouillaient à travers la forêt dévastée et des dizaines d'entre eux le séparaient encore de Kyra.
Johan vint alors lui prêter main forte, lui aussi monté sur sa ténébreuse jument. Son visage était plus concentré que jamais, et Stephan savait qu'il songeait lui-aussi à Philippe, qui avait été son meilleur ami à l'époque. Il l'avait vu mourir sans pouvoir rien faire, et il refusait lui aussi qu'un tel évènement ne se reproduise avec Kyra.
Quand le flux d'orc s'apaisa et que Stephan pu relever la tête, il vit avec horreur que Kyra se déplaçait. Elle semblait en revanche avoir changé : une énergie phénoménale émanait d'elle, et elle tenait son épée élevée au-dessus d'elle, dressée sur la selle de l'étalon noir de Philippe. Sa lame brillait d'un éclat stellaire fantastique, et cette lueur qui parcourait tout le champ de bataille instilla de l'espoir dans le cœur de Stephan. Ses bras en furent ranimés d'une force nouvelle et il acheva d'un coup deux orcs de plus.
Il ignorait si Kyra était Kyra, car elle ne semblait pas être Kyra. Une sensation étrange le traversa alors, une sensation qu'il n'avait pas ressentie depuis longtemps, depuis qu'il était ressorti de la Salle du Chef. Un fait s'imposa alors à lui : en cet instant, Kyra ne combattait pas seule. Plus que violacée comme devrait l'être toute énergie elfique, la puissance que la jeune fille diffusait brillait d'une lumière blanche éclatante, une lumière divine.
Asfaloth se mit alors à galoper. Kyra ne quittait plus son objectif des yeux, et son regard reflétait une sagesse ancestrale digne des plus grands vétérans. Le sorcier non plus ne la quittait plus des yeux. Il la toisait alors qu'elle galopait à vive allure vers lui.
Le temps sembla s'arrêter. Les deux adversaires dégageaient une aura si forte que le temps lui-même semblait suspendu à leurs yeux. Stephan vit sa protégée approcher toujours plus le sorcier qui avait arrêté de sourire pour prendre au sérieux la jeune Gardienne.
Puis leur énergie se frappèrent de plein fouet, libérant une énergie détonante qui obligea les combattants les plus proches d'eux à reculer de plusieurs mètres pour s'abriter du choc. Kyra leva son épée, le visage illuminé par l'éclat qu'elle dégageait, et, bondissant sur l'être en lévitation, lui porta un coup violent, provoquant une nouvelle détonation. Les autres combats s'interrompirent et les orcs cherchèrent à fuir, et désertèrent la zone pour se cacher dans ce qu'il restait de bois. Stephan sonna lui aussi une retraite temporaire, et rappela donc tous les Gardiens et apprentis derrière un rocher intact, à quelques centaines de mètres de Kyra et du sorcier.
Samia entreprit de soigner les apprentis les plus atteints tandis que Stephan se planta bien en vue du combat, pour surveiller son déroulement.
« Haldir manque à l'appel », fit soudain remarquer Johan.
Les Gardiens se regardèrent entre eux et Stephan les passa tous en revue : aucun signe de son deuxième apprenti.
« Il a galopé à bride abattue vers la forêt quand Kyra est apparue... », indiqua alors Florian. « Je crois qu'il avait une idée en tête mais j'ignore où il se trouve à présent. »
Stephan acquiesça et remercia Florian, qui tenait fermement sa monture par les rênes.
« Je ne m'inquiète pas pour lui, il s'en sortira. », dit alors le chef des Gardiens en reportant son attention sur le combat.
Le premier coup d'épée de Kyra n'avait pas atteint le sorcier, mais avait brisé l'équilibre nécessaire à la lévitation ce qui avait projeté son adversaire à terre. Il se releva, brûlant de rage. Il dégaina une longue lame aux rebords acérés et para ainsi un nouveau coup de Kyra dans un tintement retentissant. Les armes se rencontrèrent trois fois avant de se séparer à nouveau. Le combat commençait à peine, mais il était difficile à observer. Chaque choc libérait des éclairs qui se répandaient à travers le champ de bataille, faisant frémir les rares êtres qui s'y trouvaient encore.
Kyra redoubla alors d'adresse en couvrant de coups habiles et puissant le sorcier qui ripostait sans trahir aucune fatigue. Elle l'atteignit alors au bras, le blessant légèrement. Hélas, le contrecoup fut brutal. Elle reçut une pluie d'attaque qui la fit reculer de plusieurs pas et lui valurent une coupure à la joue.
« C'est Haldir ! », s'exclama soudain Ella.
Le bruit des sabots d'un cheval au galop se fit en effet entendre et Haldir arriva en trombe, directement sur Stephan. Il lui tendit un plan, une carte de France et de ses pays frontaliers, parsemée de centaines de petites croix rouges. Certaines d'entre elle, entourée et plus grosses se démarquaient par le triangle qu'elles formaient. Dans son autre main, Haldir tenait un appareil métallique étrange semblable à une lettre grecque.
« Qu'est-ce que... » commença Stephan.
Haldir secoua la tête et désigna la carte. Dagorian, sous sa selle, piaffait d'impatience.
« Le temps presse pendant que Kyra affronte le sorcier, il me faut donc abréger », commença le jeune Gardien. « Ces dispositifs sont des amplificateurs énergétiques et ce sorcier en a installé suivant un schéma précis pour se rendre invulnérable. En d'autres termes, Kyra n'aura aucune chance tant que nous n'aurons pas brisé le schéma formé par ces amplificateurs. »
Il désigna les points entourés sur la carte.
« Détruire les amplificateurs à ces emplacements précis dans une intervalle restreint nous permettra d'affaiblir le sorcier sans faire sauter la moitié du pays. Cependant il faut se hâter. »
Stephan ne demanda pas plus d'explication. Il se tourna vers les Gardiens qui avaient tout entendu et ordonna à chaque guerrier et à chaque apprenti de détruire par le feu les dispositifs aux endroits précis qu'il leur assigna en moins de deux minutes. Quelques dizaines de secondes plus tard, il n'y avait plus aucun Gardien présent, sinon lui-même et Haldir.
« Je dois y aller... » dit ce dernier. « Je ne peux pas la laisser combattre seule. »
Stephan acquiesça, sentant une force croître à l'intérieur de son apprenti : lui aussi était soutenu.
Le blond fit alors volte-face et s'élança sans détour vers le combat qui faisait rage, galopant à toute allure pour soutenir Kyra. Celle-ci peinait à tenir tête au sorcier.
Stephan ferma les yeux. Il entreprit alors de transmettre à sa successeure tout la force qu'il lui restait, ne gardant que le strict nécessaire à sa survie. Elle se releva alors, et dégaina sa deuxième lame. Bientôt rejointe par son compagnon de toujours, elle riposta de toute son âme contre le sorcier, soutenue et presque métamorphosée par l'esprit elfique avec qui Gaïa elle-même l'avait associée. Unies ainsi, elles revêtaient une aura divine, fantastique, qui commença alors à recouvrir le sorcier.
Arrivé à deux douzaines de mètres de l'affrontement, Haldir ne put plus s'approcher davantage. Glissant alors au bas de sa monture, il s'assit en tailleur au sol, ferma les yeux, et libéra toute l'énergie qu'il put pour attaquer sans relâche le sorcier et faire tomber sa défense.
Le combat continua encore ainsi plusieurs minutes, puis finalement, le sorcier recula. Bientôt, les Gardiens et apprentis commencèrent à revenir. D'abord Emilie, puis Elène, Yonan, Nicolas et tous les autres. Les amplificateurs étaient détruits, le schéma aussi ; la défense du sorcier tomba.
La lueur qui émanait de Kyra se renforça, jusqu'à l'envelopper complètement. L'esprit qu'elle abritait s'affirma davantage, et deux visages semblaient alors se superposer sur un seul. Dans une ultime attaque, Kyra leva l'une de ses lames, et transperça le sorcier en plein cœur. La lâchant alors, elle saisit à deux mains l'épée qu'elle avait nommé « Salmare » et l'abaissa sur son ennemi, lui tranchant net la tête. Celle-ci tomba au sol avec une expression de stupeur évidente ; le sorcier était mort. Un ouragan énergétique déferla alors sur le champ de bataille masquant toute la scène par sa violence qui souleva la terre et le sang. Premier frappé par cette déferlante, Haldir hurla de douleur, et il apparut soudain à Stephan que ce tsunami d'énergie s'apprêtait à tous les tuer.
Mais avant même qu'il puisse réagir, une autre force se déploya, et l'ouragan se résorba. Le chef des Gardiens aperçut Kyra, dans une forme elfique manifestée par une aura divine, qui se tenait juste derrière Haldir. L'énergie entra en elle à son appel, et l'éclair qui en fut la conséquence aveugla Stephan le temps que l'énergie se dissipe. Il sentit alors l'énergie diffusée par Kyra diminuer, lui rendant une apparence plus humaine et moins fantastique. Elle vacilla et s'effondra alors dans les bras d'Haldir, évanouie.
Stephan, de même que tous les autres membres de la confrérie des Gardiens, se précipita vers eux. Il ordonna qu'on poursuive les orcs, et resta seul auprès de ses apprentis. Il regarda les yeux d'azur d'Haldir, puis Kyra. Elle allait bien, et ne présentait pas la moindre blessure. Ses yeux s'ouvrirent alors doucement, mais ce ne furent pas les iris de Kyra qui fixèrent Stephan dans un calme sage. Au cours de quelques secondes qui le marquèrent profondément, il contempla des pupilles violettes, fortes d'une expérience de plusieurs millénaires.
Il se rappela alors les dernières paroles de Philippe :
« Les vieilles légendes disent que, quand tout serait perdu, quand le monde sera sur le point de sombrer dans le chaos, Elle reviendrait, munie de son épée, et qu'elle conduirait les troupes au combat sous l'apparence d'une jeune elfe aux pouvoirs démesurés... »
Il prit conscience, guidé par son instinct ou quelque esprit qui sommeillait en lui, de l'ampleur de ce court échange : c'était un message d'espoir qui lui était transmis.
« Lainceleg... »,souffla-t-il alors en levant le regard vers le ciel.
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