Chapitre 28

Je trouvai Haldir en train d'achever le rangement de son matériel.

« Oh tiens... Tu te souviens que j'existe... » Lâcha-t-il dans un sarcasme évident.

Je restai interdite devant cette réaction abrupte et faillis m'énerver de ses paroles. Mais il était vrai que je passais de moins en moins de temps avec lui ces dernières semaines, préférant accorder mon temps libre à des visites à Maman ou aux études. Soudainement, je m'en voulais terriblement.

La première réaction passée, son visage redevint cependant plus doux.

« Laisse... » Dit-il. « Je m'emporte pour peu... Mais tu aurais pu me répondre quand je t'ai salué ce matin ! Tu es partie sans même me remarquer... »

En effet, ce matin encore, je m'étais rapidement rendue à Romans, sans même aller voir ma mère. Peut-être était-ce de l'espoir, peut-être autre chose, mais j'avais guetté la présence de Aaron, sans succès. Sans doute, dans mon empressement au départ, avais-je ignoré mon compagnon. Je m'excusai rapidement pour en venir au sujet qui m'amenait.

Haldir ne sembla pas apprécier mes excuses, qui manquait, avec le recul, de sincérité, mais il m'écouta parler en silence.

« Bref... Tout ça pour dire que Stephan nous attend ! »

Je lui avais résumé la situation en surveillant impatiemment l'heure. Quand j'eu achevé, il acquiesça simplement, et me suivi à une distance raisonnable.

*****

Quand on retrouva Stephan, il nous conduisit à travers les couloirs du sous-sol, bien moins loin cependant, que là où il m'emmenait pour mes séances au Mémorial. Ainsi la porte n'était pas en bois, ni même ancienne, et elle était dotée de deux serrures solides qui se déverrouillaient avec un médaillon.

La serrure produisit un déclic quand le Gardien l'ouvrit, et il nous fit entrer avant de nous suivre et de refermer la porte.

La salle était d'une taille semblable au Mémorial (sans pour autant être enfumée), et d'une clarté étonnante pour une salle du sous-sol. Au centre se tenait une immense table ronde, peinte en blanc, et encombrée par toute sorte de cartes et de plans complexes. En dessous de cette masse de documents, fixée directement sur la table, apparaissait un planisphère terrestre extrêmement détaillé, et muni par endroits de punaises comme marqueurs.

Autour de la table, il n'y avait aucune chaise. Le meuble était d'ailleurs surélevé jusqu'à un mètre quarante pour permettre un travail plus aisé. Stephan me confia que la hauteur de ce qu'il appelait « l'aire de travail » était ajustable.

Le long des murs de la pièce, je pouvais également apercevoir de nombreux bureaux, équipés pour certains d'ordinateurs haut de gamme et pour d'autres de simples feuilles blanches et cartes avec du matériel de dessin. Les murs en eux-mêmes étaient tapissés de cartes plus ou moins grandes et détaillées. Je remarquai que la plupart des cartes ne concernaient que l'Europe, et plus particulièrement l'Europe occidentale.

« Nous appelons cette pièce la salle de surveillance. » Nous expliqua Stephan. « Nous y venons après chaque intervention pour y consigner nos observations dans des rapports. Elène, en temps que responsable surveillance, et moi-même en temps que Maître d'armes, venons souvent ici pour travailler. Elle y prend note des signaux qu'elle capte à travers le monde, tandis que moi j'y travaille nos stratégies offensives comme défensives lorsque je ne le fait pas dans mon bureau. En tant que chef, Philippe y venait souvent également. »

La quantité astronomique de cartes visibles dans la pièce faisait s'égarer mes yeux le long des murs, hors d'état d'interprétation.

« Est-ce l'emplacement des portails ouverts ? » Demanda soudain Haldir, dont le visage était tourné sur l'aire de travail.

Stephan confirma tandis qu'en quelques pas, je les rejoignais autour de l'immense table ronde.

« Il y en a beaucoup plus que ce à quoi je m'attendais... » Soufflai-je en découvrant la carte en question, marquées en de nombreux endroits par des punaises rouges.

« Elles sont siruées autour d'un axe qui relie l'Alsace à la Suisse en passant par les Alpes... » Remarqua mon compagnon.

« Oui » Approuva Stephan. « Mais ce sont là beaucoup des plus récents. Avant ça les portails s'ouvraient dans toute la France et parfois à l'étranger, comme c'est encore arrivé il y a quelques mois. A ce moment-là on pouvait encore deviner un autre axe qui reliait plutôt l'Ardèche aux Alpes. »

J'analysai la carte en silence : plus d'une trentaine de punaises s'éparpillaient à travers la France, et près d'une dizaine d'autres s'ajoutaient dans les pays limitrophes, et quelques-uns encore plus loin. Le point dans la Foret Noire où j'avais assisté à l'ouverture du portail était marqué d'une punaise noire et non pas rouge.

« Ou est apparu le portail dont parlait Elène tout à l'heure ? » Demandai-je.

Mon mentor me désigna une marque à une vingtaine de kilomètre au sud-ouest d'Annonay. J'acquiesçai, mais malgré tout mes efforts, je ne parvenais pas à dégager un schéma dans l'ouverture des portails.

« A peu de choses près, le tiers des portails ont été ouverts dans l'Est de la France, mais il n'y a aucun motif. Pour un peu, on pourrait dessiner un troisième axe entre l'Ardèche et le Nord de la Suisse, et délimiter ainsi un triangle qui représente assez bien la zone de forte apparition de portail... »

Les déductions de Haldir étaient pertinentes et Stephan les approuva d'ailleurs.

« Il n'y a aucun portail au centre de ce triangle... » Remarquai-je.

C'était d'ailleurs une des zones les plus délaissées.

« C'est vrai » Admit Stephan. « Nous pensons que cette zone ne présente aucun avantage pour le déploiement des orcs. Mais peut-être ne sont-ils simplement pas en mesure d'y ouvrir des portails. »

J'observais à nouveau la carte et mon œil accrocha sur un autre détail : une petite croix bleue, quelque part entre la Suisse et l'Allemagne, au milieu d'une région déserte. En analysant à nouveau l'entièreté de la carte, j'en aperçu quelques autres à l'étranger.

« Qu'est-ce que ces croix représentent ? »

Stephan vérifia ce que je désignai avant de répondre.

« Ce sont nos caches. Nos bases avancées si tu préfères... Celle-ci, au sud-ouest de l'Allemagne, est celle dans laquelle nous vivons et travaillons. Le quartier général donc... »

Le Gardien nous livra encore quelques explications sur les activités qu'il pouvait exécuter dans la salle de surveillance, prit quelques notes qu'il laissa en évidence sur l'aire de travail, et nous indiqua que nous allions remonter.

« Tu veux faire un tour au Mémorial Kyra ? Je pensais t'y emmener demain mais tu peux déjà t'y rendre aujourd'hui si tu le souhaites... »

J'acquiesçai vivement, ignorant la mine intéressée d'Haldir.

Avec un sourire, Stephan m'accompagna jusqu'à la bonne porte et me laissa entrer avant de raccompagner mon partenaire.

*****

« Bonjour Kyra ! » Me salua la voix douce de Philippe, accompagné par la silhouette effacée d'Andrea. « Comment vas-tu aujourd'hui ? »

J'inclinai ma tête pour les saluer en retour et leur rendis compte de ma dernière découverte avec Stephan et Haldir. Philippe ne fit aucune remarque, et se contenta d'exprimer son contentement de me voir motivée. Je lui contais également ma séance de la matinée et de mes progrès en manipulation énergétique, qu'il salua avec une fierté mêlée d'amusement, car selon lui, c'était la seule discipline où lui-même surpassait Stephan.

« Bon... » Finit-il par dire. « Tu es prête ? »

J'acquiesçai en m'enquis du programme du jour.

« On va visiter deux nouvelles planètes en scènes fixes... » Me dit-il avec un clin d'œil. « Ou tout du moins, nous allons en visiter une, et te donner un aperçu lointain de l'autre avant d'en discuter. »

L'idée m'enchantait, même si je me demandais quelle planète serait notre second sujet d'étude, puisqu'il ne restait que Aeglar à visiter parmi les cinq écosystèmes.

La brume s'empara de nous pour nous transporter dans un lieu des plus étranges à l'atmosphère mystique. Nous étions dans une sorte de forêt, si tant est qu'on put appeler cela « forêt ». Les arbres semblaient faits d'obsidienne, enveloppés d'un lierre blanc aux tiges cinabres. Le sol était poussiéreux, mais la seule poussière qui s'envolait était constituée de minuscules particules d'eau, qui étincelaient d'un éclat lunaire, fait étrange puisque Aeglar, ou Mercure, ne possédait pas de lune.

Le ciel n'était pas visible, peut-être masqué par les plus grands spécimens d'arbres dont on voyait les troncs se perdre dans un océan d'ombre. Les sources de lumières étaient pourtant suffisantes pour y voir clair, malgré leur lueur tamisée. Mais leur position ou leur nature restait impossible à déterminer, impossible à cerner. Si la scène avait été vive, j'aurai juré que ces lumières mystérieuses auraient trembloté. De même, le son, absent par la fixité de la scène, ne donnait pas l'impression d'être absent, mais simplement d'être normal dans un tel lieu. Ce son se caractériserait alors par l'épaisseur de son silence. Pas une brise, pas signe de vie, mais peut-être une odeur typique, un effluve de mystère dans un air de surprenant.

Je n'osai pas bouger de peur de perturber la scène, d'éclipser sa magie, alors que je savais pertinemment qu'elle était fixe. Ce bois d'obsidienne semblait empli d'illusions et de magie, et s'imprimait dans ma rétine avec un aspect fantastique. Il réveillait un sentiment que je ne ressentais alors qu'en observant le ciel nocturne, illuminé d'étoile.

« Les centaures vivent le plus souvent en solitaire, et ne se rencontre qu'une fois par aperanton, qui durent chacun plus ou moins cent-soixante-seize jours terriens. Lors d'une réunion qui dure plusieurs jours, ils rendent alors compte de leurs observations depuis la dernière réunion. Cette durée n'est pas fixe, car elle n'est jamais mesurée, ceci n'étant pas une pratique de la culture centaure. A cause de la rotation très lente de la planète, et de sa révolution rapide autour de la planète, un jour dure environ la moitié d'une année terrienne, et c'est ce que les centaures appellent « aperanton ». En dehors de ceci, ils ne mesurent pas le temps, ni ne le décomposent outre mesure, sauf pour distinguer la période ensoleillée, astraios, de la période nocturne, pugolampis. »

Comme au cours des précédentes séances, j'étais fascinée par ses explications, et subjuguée par le décor irréel qui m'entourait.

« Que faisaient-ils le reste du temps ? Ils se nourrissaient ? »

Philippe secoua la tête. J'aperçu Andrea errer entre les arbres, la tête levée vers le ciel, et je devinai que ce lieu lui plaisait.

« Non. Les centaures se nourrissaient rarement. Ils consacraient tout leur temps à l'observation : l'observation de l'écosystème, des changements de température, de pression atmosphérique, de flux énergétiques... Ils possèdent un instinct phénoménal, de sorte qu'ils percevaient, sans forcément le comprendre, les grands bouleversements énergétiques, le plus souvent dus au passage d'entités, jusqu'à Unyan. »

J'aurai encore pu interroger Philippe pendant de longues heures, sur la faune, la flore, ou le fonctionnement de l'écosystème, mais il m'indiquait déjà que nous allions changer de scène, et le décor qui s'imposa à moi par la suite me fit oublier celui d'Aeglar.

Nous flottions devant une immense planète, aux couleurs magnifiques. Le sol était tantôt rougeâtre, tantôt d'un gris cendré qui tendait par endroit vers un brun terreux, le tout s'alternants en vagues superposées, qui formaient un magnifique dégradé. La planète possédait de nombreuses lunes, toutes inhospitalières, et elle-même semblait plutôt hostile.

« Voici Umùan. » Annonça gravement Philippe.

Andrea prit alors la parole, ce qui me surprit grandement. Je me tournai vers lui tandis qu'il parlait de sa voix de ténor.

« C'est le seul aperçu que nous ayons de la planète. Ni Gaïa, ni aucun Gardien ou allié n'y a mit les pieds, et nous ne savons donc rien d'elle, sinon que l'aspect qu'elle possède actuellement est dû aux tempêtes qui balayent en permanence son sol. Ce que tu vois n'est donc que de la poussière, soulevée par des vents violents. Umùan est la terre des orcs et des sorciers depuis la collision d'Ostrillan et d'Unyan en l'an 821 du calendrier terrien. Pour une raison mystérieuse, les flux énergétiques entre Umùan et Gaïa sont favorables à la création de portails, qui permettent aux orcs et à certains sorciers de passer. Heureusement la situation a été anticipée par Gaïa, et les Gardiens ont été prêts à temps pour défendre la planète. Ce que tu vois là n'est qu'une carapace impénétrable, source de tous nos maux. »

Malgré ce que je savais d'elle et les paroles d'Andrea, je me sentais irrésistiblement attirée par l'astre inatteignable. Je me forçai avec peine à détourner mes yeux des masses gazeuses qui formaient son enveloppe, et priait les deux Gardiens de nous ramener au vestibule.

« Cette planète produit chez moi un effet qui m'effraie... »

Intrigué, mais compréhensif, Philippe nous ramena dans la pièce embrumée, qui se transforma bien vite en un paysage montagneux, comme lors de ma première visite. Encore frappée des scènes aperçues, je m'assis pour mieux réfléchir à ce que j'avais vu.

Philippe m'expliqua encore quelques faits d'histoire et de culture sur Aeglar tandis qu'Andrea s'éclipsait, comme à chaque fin de séance, puis il me libéra, conscient que je n'avais pas écouté son dernier monologue, noyée dans les tréfonds de mes pensées.


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