Chapitre 17
Malgré les signes annonciateurs de tempête, les deux mois qui avaient suivi s'étaient passés dans un calme étonnant. Les attaques étaient devenues moins fréquentes, et plus éloignées des caches des Gardiens. En somme, plus rien ne vint inquiéter les Gardiens au point de nuire aux entraînements, qui avaient grandement gagné en difficulté. Je maîtrisais à présent l'épée et l'arc, à pied comme à cheval, et Stephan avait commencé à m'enseigner les rudiments du bozendo. Quant aux entraînements du maniement de l'énergie, je ne cessais de surprendre Stephan.
Désormais, tout le monde se sentait à l'aise et intégré au QG. Chacun avait son rôle, qu'il apprenait à gérer, et certains même l'exerçaient déjà. Haldir, par exemple, allait de temps en temps en intervention, et Florian y avait déjà pris part aussi, en plus de s'occuper quotidiennement des chevaux avec Johan. Elléonora et Mathéo, eux, adoptaient peu à peu un rythme de vie décalé.
Je commençais finalement à me dire que la formation de chef n'avait rien de particulier, puisqu'aucun changement n'était intervenu dans ma formation depuis la distribution des rôles, deux mois plus tôt. À présent, les grandes vacances, et l'été avec touchaient à leurs fins, et même si nous ne retournerions plus à l'école, le retour des jours mornes me faisait me sentir comme à l'aube d'un cap important.
Peut-être était-ce le cas, puisqu'aujourd'hui, le dernier d'août, Stephan vint me trouver pour une leçon tout à fait différente.
« Bonjour Kyra » m'a-t-il saluée. « J'ai quelque chose à t'annoncer, mais ce sera pour plus tard. Aujourd'hui, tu vas réellement commencer ta formation de cheffe !
- Pourquoi avoir attendu si longtemps ? » avais-je demandé.
« Pour deux raisons liées » avait expliqué Stephan. « La première étant que n'ayant jamais suivi cette formation dans sa globalité, je ne suis pas en mesure de te la dispenser moi-même. La seconde, est qu'avant de te faire découvrir le lieu de ta formation, je souhaitais que tu aies convenablement pris tes marques au sein de la Confrérie, afin que tu aies des choses auxquelles te raccrocher, pour surmonter les émotions vives. »
J'avais dégluti, soudain, moins enthousiaste à l'idée de commencer ma formation.
« Cela sera long et difficile » m'avait confié Stephan. « Et tu ne pourras en parler à personne, pas même à moi. Mais tu accéderas à des pouvoirs et à des connaissances immenses, qui te donneront la sagesse afin de devenir cheffe. »
Je n'avais eu d'autre choix que d'accepter, et à présent, je le suivais alors que nous descendions les escaliers pour pénétrer au sous-sol.
Ce n'était pas tout à fait ce à quoi je m'attendais. Le sous-sol était un labyrinthe de longs couloirs gris terne, entièrement bâti en pierres, sol, murs, comme plafond. Quelques portes blindées étaient creusées par-ci, par-là, mais, plus, nous marchions, plus ces portes se métamorphosaient pour former des bâtons en bois de chêne, solides, mais plus rustiques et ancien. Lorsqu'enfin nous nous arrêtâmes devant l'une de ces portes de bois, je pus ressentir, par un léger contact avec la poignée, la concentration d'énergie puissante qui protégeait l'entrée.
Stephan me fit un signe de tête encourageant, et il m'indiqua qu'il m'attendrait devant l'entrée. Anxieuse, je tournais donc la poignée et entrai.
Dès que la porte se referma, la pièce pierreuse et vide se teinta, et les murs, plafonds et sols, tout disparut pour laisser place à un autre lieu qui m'évoquait l'intérieur d'un trou noir.
Des milliards d'images se mirent à apparaître et à virevolter autour de moi et les couleurs confondues et changeantes me déboussolèrent. Je fermai les yeux pour refréner un vertige puissant et attendis qu'il se calme. Quand je le rouvris, le flux s'était stabilisé et j'y voyais plus clair.
Je me trouvais dans une pièce vide et inconnue, construite de bois et dont les murs étaient baignés de brouillard. Parfois, je crus même y apercevoir des silhouettes floues. J'étais recroquevillée au sol, bien que je ne me souvienne plus comment j'y avais atterri, et, en levant les yeux du plancher, je vis face à moi quatre silhouettes troubles et vacillantes, que j'aurais dit faites de fumée.
La première silhouette, à gauche, se tenait un peu en retrait. Elle représentait un homme svelte, avec pourtant un charisme évident. Il avait des cheveux noirs coupés courts et de manière hâtive. Cette coupe, combinée à ses racines décolorées, lui donnait une apparence débraillée et pour le moins atypique, mais qui me plaisait. Il possédait des yeux bleus glacés qui semblaient presque blancs et qui paraissaient pouvoir percer n'importe quel esprit à se dévoiler, même les plus stables. Son teint était clair, mais pas non plus blanc, et une vieille balafre tachait sa peau à gauche de son nez droit. Il portait des vêtements simples, une version plus ancienne de la tenue des chasses des gardiens.
À sa gauche, me surplombant de sa taille imposante, se trouvait une femme aux cheveux d'un brun presque roux. Au-dessus de ses quelques taches de rousseur, ses petits yeux caramel étaient déstabilisant. Ses traits durs reflétaient son tempérament de fer, et ses bras étaient ornés de dagues prêtes à l'emploi.
Derrière elle, m'observait un homme aux épaules larges d'une grande taille. Son visage familier était encadré par de courtes mèches blondes. Ses iris étaient d'une couleur changeante, tantôt cobalt, tantôt bleu ciel. Il était songeur, mais loin d'être hostile. La dernière silhouette située à mon extrême droite, tout particulièrement, semblait venir d'une époque révolue depuis longtemps. Il avait des cheveux de miel qui n'étaient ni longs, ni courts pour autant, et des yeux auburn profond. L'homme avait une peau assez foncée et abîmée, avec des mains calleuses.
« Qui es-tu et que viens-tu faire ici ? » demanda ce dernier d'une voix caverneuse.
« Elle est élève et apprentie. » Observa le premier homme aux cheveux noirs devant mon silence abasourdi.
La femme se tourna vers les autres avec son air arrogant.
« Et qu'est-ce qu'elle fait ici ? » répéta-t-elle. « Seraient-ce ces imbéciles de la 6e qui l'auraient envoyée là en ignorant les dangers du sous-sol et de cette salle ? Stephan est-il devenu fou ? »
Je fus choquée du ton hautain qu'avait employé la Gardienne.
« Les Gardiens de ma génération ne sont pas des imbéciles, Morgane. » gronda le blond, qui sortit enfin de ses pensées. « Stephan est loin d'être fou. Cette apprentie est ici pour sa formation. »
« Elle est la future cheffe de la 7e. » Déduit celui aux cheveux noirs.
Le blond hocha la tête alors que celle qui s'appelait Morgan écarquilla les yeux.
« Vous... Vous êtes Philippe ? » demandai-je enfin. « Le père d'Haldir et le chef de la 6e génération ?
« Tu connais bien mon fils ? » S'enquit Philippe.
« Oui » acquiesçai-je. « Nous sommes très proches.»
Le gardien sourit paisiblement.
« Je te présente Andrea, Morgane et Gildas » me dit Philippe. « Andrea d'Akira était le chef de la 4e Génération, et Gildas de Danrar était celui de la première. Quant à Morgane d'Eltaria, elle était la Maîtresse d'armes de la 2e. »
Chacun des gardiens hocha la tête lorsqu'il fut présenté.
« Je crois que nous devrions vous laisser entre mentor et apprenti » proposa Andrea, l'elfe aux cheveux noirs.
Il me fit un signe de tête et disparut, ainsi que les deux autres. Seul Philippe resta.
Le brouillard près des murs disparus aussi, et le décor changea pour une vallée verdoyante entourée de montagnes. Je sursautai devant le changement brutal et Philippe rit de bon cœur, avant de me rassurer. Son rire semblait décalé, ailleurs, comme si le guerrier n'était pas vraiment là.
« Ce lieu n'est qu'une illusion » expliqua-t-il. « Tu le sais, nous sommes tous morts. En réalité, cette salle utilise un procédé énergétique complexe qui met en relation l'esprit et la mémoire des anciens gardiens avec l'esprit du visiteur. Nous l'appelons le Mémorial. »
J'acquiesçai avec attention, observant les monts verdoyants autour de moi.
« Je suis navré que la situation actuelle te force à suivre cette formation dans de telles conditions » continua-t-il avec un air peiné. « Ce sera difficile, mais j'espère sincèrement que ta force d'esprit t'épargnera les pires effets de ce lieu. »
« En quoi est-ce si difficile et éprouvant ? » ne puis-je m'empêcher de demander. « Qu'est-ce qu'il y a dans cette formation qui nécessite deux mois d'attente ? »
« Elle aurait nécessité bien plus que deux mois de préparation et d'attente, étant donné les conditions, si la situation n'avait pas été si pressante. Mais tu en découvriras le contenu au fur et à mesure. Je consentirai seulement à te dire qu'il te faudra porter sur tes épaules le poids d'un lourd passé. »
« Je ne comprends pas » avouai je.
« Tu comprendras. »
On marcha quelque temps dans la vallée illusoire, admirant des paysages qui n'étaient que souvenir.A ce moment-là, j'aimais bien le Mémorial, et je ne saisissais pas malgré tous mes efforts l'inquiétude des Gardiens. Puis Philippe reprit la parole.
« Bon. Tu sais déjà que les esprits auxquels les Gardiens sont couplés viennent chacun de l'un des cinq grands écosystèmes antiques du système solaire. »
J'approuvai.
« Tu sais aussi que ces cinq peuples sont respectivement les Elfes, les Vampires, les Fées, les Nains et les Centaures, et qu'ils vivent sur les écosystèmes d'Akira, de Danrar, d'Eltaria, de Morian, et d'Aeglar. »
Nouveau hochement de tête.
« Très bien. Tu dois à présent savoir, que, bien avant la création de la Confrérie en 821, les forces qui se disputent aujourd'hui Gaïa étaient déjà en mouvement. L'histoire des Gardiens commence donc bien avant 821. Il te faudra en avoir un aperçu pour devenir cheffe, et par là, j'entends qu'il te faudra la revivre un jour ! »
Il laissa planer un instant ses paroles, le temps que je les assimile, puis sa bouche se fendit en un large sourire bienveillant.
« Mais l'objectif aujourd'hui n'est pas de te surcharger ! » s'exclama-t-il. « Tu auras déjà bien assez à digérer avant notre prochaine rencontre. Je vais donc me contenter de te donner un aperçu du Système Solaire. À présent, à toi de voir par laquelle nous commençons ! Saturne ? Mars ? »
« Saturne ! demandai-je sans même réfléchir. « Je souhaiterais voir Akira. »
« Bien évidemment ! » rit Philippe.
Les montagnes et la vallée s'estompèrent et la brume se remit à tourbillonner autour de moi. Encore et encore. Mais le moment dura et il me sembla bien vite qu'il durait un peu trop...
Ça ne s'arrêtait plus et je commençais à paniquer. Je ne voyais plus Philippe à mes côtés et la brume de plus en plus glaciale et violente m'éraflait de toute part, m'arrachant quelques larmes de douleur. C'était sans fin alors que je n'en attendais que l'achèvement. Je me recroquevillais et fermais les yeux pour me protéger. Mais le vent hurlant parvenait à m'atteindre au point de déchirer ma détermination en lambeau.
Puis une main saisie la mienne d'une manière ou d'une autre et je revins à moi, soulagée de remarquer que la brume s'était dissipée. Mais en regardant autour de moi, je vis à peine, l'immense planète devant moi, incapable de détacher mes yeux du vide spatial. Je me mis soudainement à suffoquer jusqu'à ce qu'une voix douce me ramène à la réalité.
« Rappelle-toi. Ce décor n'est qu'illusion. »
Je me souvenais alors que je n'étais pas en manque d'air. Honteuse, j'étais pourtant tellement secoué que mon teint blanc comme un linge ne se colora pas. Mais je finis par me détendre avec les encouragements de Philippe, jusqu'à apprécier d'un œil neuf la vue sur Saturne que l'ancien chef m'offrait.
La gigantesque sphère était magnifique et ses anneaux étaient bien plus grands que ce que j'aurai pu imaginer. Le vétéran à mon côté, ne me laissa pas l'admirer beaucoup plus longtemps. Il m'entraîna doucement vers le noyau, me faisant traverser la couche protectrice gazeuse qui n'avait rien à voir avec la brume sanglante.
Une forêt pleine de vie et de couleurs se découvrit devant moi. Une forêt luxuriante, étonnamment familière. J'eus un air de déjà-vu. Mais on ne s'arrêta pas.
Brusquement, nous apparut au sommet d'un promontoire escarpé, une cité végétale, organisée en palier. Les bâtiments étaient conçus en accord avec les nombreux arbres alentour, qui étaient en eux-mêmes les structures des bâtisses qui s'ancraient dans la roche. De nombreuses cascades embellissaient le décor.
« Cette cité se nomme Molwecorda » expliqua Philippe. « C'est en réalité un institut destiné à l'apprentissage de la manipulation énergétique, soit aux multiples activités liées à l'énergie. »
« Incroyable... » soufflai-je.
On resta encore un peu, à observer la cité de loin, car Philippe ne m'autorisait pas encore à m'approcher des elfes. « C'est trop tôt » avait-il dit.
Le malaise s'était dissipé, aussi, lorsque Philippe me proposa d'aller voir Danrar, j'acceptai.
Presque aussitôt, le vent se leva. D'abord clément, puis de plus en plus violent, tandis que le décor s'estompait à nouveau. Il devint aussi de plus en plus froid et me cinglait de toutes parts comme des coups de fouet, qui m'empêchaient de respirer. « Ce n'est qu'une illusion » me rappelai-je, et la tempête devint un temps plus supportable.
Je sentis alors un éclair glacial s'insinuer dans mon cœur, et immédiatement, je cédais et je sentis mon corps se déchirer de l'intérieur, brisant toute ma détermination, abattant mes dernières défenses face à l'ouragan qui m'écorchait vive maintenant que je me trouvais à nu devant lui. Je ne pouvais même pas hurler de douleur alors que je brûlais en gelant, et que des larmes acérées découpaient chaque parcelle de mon âme en lambeaux. Je suppliais que ça s'arrête, encore et encore, promettant toute mon âme à une entité inexistante. Je croyais mourir. Je ne voyais plus et ne sentais rien d'autre que l'atroce torture de la brume, je n'entendais rien d'autre que les bourrasques déchaînées et parfois des syllabes qui n'avaient aucun sens. À bout de force, je sombrai.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top