Chapitre 9
Je regardais par la fenêtre de ma chambre d'un air absent. Les arbres avaient pris leurs couleurs automnales depuis des semaines, mais je ne me lassais pas d'admirer ces dégradés flamboyants. Le parc était de toute beauté à cette saison de l'année et c'était ma période préférée pour aller courir.
Mon humeur morose ne s'était pas arrangée durant les quinze jours qui venaient de s'écouler.
Ma résurrection avait donné naissance à une version de moi qui me perturbait : tourmentée, à fleur de peau et agressive. Je me sentais extérieure à moi-même et ma santé mentale m'inquiétait de plus en plus. J'avais toujours des visions dérangeantes et des hallucinations. Et cela me mettait sur les nerfs. Je ne comptais plus les douches de sang et les délires auditifs qui peuplaient mes journées. De quoi me rendre cinglée ! À croire que j'avais irrémédiablement basculé dans la schizophrénie. Les voix ne me laissaient pas tranquille, baragouinant des choses que je ne comprenais pas, malgré leur insistance.
J'étais complètement pommée et inutile. Les jours défilaient selon le même schéma, ponctués d'heures de méditation, de visites chez mes parents et d'entraînements guerriers. Ces derniers avaient au moins le mérite de me défouler physiquement ! Ma relation avec le reptile n'avait pas évolué depuis notre prise de contact puisqu'il avait déserté les séances. À croire qu'il était de nouveau inanimé. J'en étais convaincue, car j'avais poursuivi ma grève du sang et que tout allait bien.
Mon plus gros souci venait du fait que plus le temps passait, plus la demeure des sentinelles m'apparaissait comme une prison dorée où j'attendais désespérément un déclic. J'avais beau faire partie des gardiens, je me sentais mise à l'écart des activités officielles du groupe, sans en connaître la raison. J'avais vraiment besoin que ma nouvelle vie démarre !
A contrario, mes rapports avec Seti et Alrick s'étaient approfondis, évoluant vers une certaine complicité. Ces amitiés naissantes me permettaient de regarder l'avenir avec optimisme. Les moments partagés m'apportaient beaucoup, m'ancrant dans la réalité, même si je surprenais parfois Seti à m'observer d'un air étrange qui me gênait.
Alrick me proposait souvent des soirées DVD, et certaines fois, des sentinelles se joignaient à nous, ce qui me permettait de développer un peu ma vie sociale. Je m'habituais peu à peu à l'idée d'être du côté des guerriers, mais je n'étais pas libre pour autant. Je sentais bien que les gardiens me tenaient à l'écart et qu'on me surveillait. Les messes basses sur mon passage, les regards en coin... tout cela m'agaçait prodigieusement.
Je me levais tous les matins pour courir plusieurs kilomètres, et j'avais souvent le bonheur de voir Max me rejoindre, quel que soit l'endroit où je me trouvais. Mon chien semblait prendre un malin plaisir à me pourchasser partout dans le domaine et je me prêtai au jeu avec amusement. Je lui facilitais un peu la tâche en alternant trois itinéraires et il avait vite compris mon manège ! J'avais eu plusieurs fois la surprise d'apercevoir des loups évoluer avec nous, mais je ne m'étais pas vraiment sentie menacée. Je n'étais plus aussi vulnérable qu'avant. Je pouvais me défendre et ils ne s'étaient pas montrés agressifs, juste curieux. Au début, excité par leur présence, Max avait fini par se calmer en constatant qu'ils maintenaient toujours une certaine distance.
Si j'avais tendance à ressasser les côtés négatifs de ma situation, certaines choses étaient vraiment positives : j'étais beaucoup plus forte et rapide, et cela malgré la diète de sang. Étrangement, les aliments avaient gardé leur goût habituel et j'en avais déduit que ce sevrage était une réussite : plus de basilic en vue !
Au quotidien, je voyais peu les membres du groupe. Alistair, Imriel, Delwyn et Nini étaient souvent absents, totalement focalisés sur leur nouvelle quête.
Je souris avec ironie. Les disparitions de bestioles en tout genre s'étaient multipliées et même si le concept m'amusait, je soupçonnais qu'elles cachaient des conséquences autrement plus graves. Au-delà des animaux morts, ce type d'attaques était une atteinte au pouvoir de Sehen et à la sécurité de notre lieu de vie. Ils ne pouvaient pas laisser passer cela. J'aurais juste voulu que l'on m'intègre ! J'étais une bonne pisteuse. J'aurais pu être utile ! Mais non ! On préférait me cantonner à l'intérieur. Certes, j'étais nouvelle au sein du groupe, mais je suivais un entraînement physique poussé depuis des années et j'étais douée avec les armes !
Je ne savais même pas si l'enquête progressait. La piste des métamorphes avait été abandonnée quand les chevaux avaient été retrouvés exsangues. Les recherches s'orientaient maintenant vers le Rebellium, un mouvement alternatif de sangsues qui refusaient de boire du sang humain au profit de sang animal. Le parc était donc un lieu idéal pour ces prédateurs. Cela leur permettait également de faire un pied de nez aux institutions vampiriques tradionalistes.
Cette nouvelle piste avait eu le mérite de rassurer les habitants du domaine. Même mes parents avaient commencé à manifester leur inquiétude après ces disparitions en série. La rumeur avait enflé jusqu'à ce que l'hypothèse du Rebellium apaise les esprits, rendant nulle la probabilité d'une attaque sur les humains. Des tours de garde avaient été organisés, mais malgré tous les moyens mis en œuvre, aucun renégat n'avait été appréhendé.
Je croisais régulièrement Delwyn qui me traitait, à chaque fois, avec un mépris inaltérable. Je prenais d'ailleurs un malin plaisir à échanger des sarcasmes et des insultes avec lui. Ces joutes verbales égayaient mes journées. Comme prévu, mes relations avec Chih-Nii se détérioraient lentement. Je n'avais aucune affinité avec elle et vu sa réserve glacée quand nous étions en présence l'une de l'autre, elle ne m'appréciait pas non plus. Je me trompais peut-être, mais j'avais l'impression qu'elle avait le béguin pour Imriel. Sa manière de lui parler, respectueuse à l'excès et remplie d'attentes, nourrissait mes soupçons amusés.
Je m'éloignai de la fenêtre et me débarrassai de ma nuisette que je jetai sur le lit. J'ouvris ensuite la porte de mon armoire et attrapai un bas de jogging gris foncé que j'enfilai en sautillant. Il était vieux comme Mathusalem, mais il était confortable. J'accrochai mon soutien-gorge de sport et passai un tee-shirt par-dessus. Je saisis ma veste sweat fétiche, mes baskets de course et me dirigeai vers la salle de bain pour mes ablutions matinales.
Mes yeux dorés brillaient d'un éclat un peu fiévreux aujourd'hui. J'avais du mal à m'habituer à cette couleur. J'avais toujours un temps d'arrêt à chaque fois que je croisais mon reflet dans le miroir. Avec un soupir, je pris la brosse et démêlai mes boucles rousses. Je les rassemblai ensuite en une queue-de-cheval haute. Une fois mon visage nettoyé, je passai une crème hydratante et terminai de m'habiller.
Je quittai la pièce en empoignant mon sac à dos au passage. Il contenait mon kit de course et une bouteille d'eau. J'ouvris la porte et me dirigeai avec entrain vers la sortie, tout en sélectionnant une playlist sur le lecteur que m'avait offert Damarisse pour mon vingtième anniversaire.
Je conservais cet objet comme un trésor : certaines technologies étaient proscrites pour les humains vivant au domaine. C'était un moyen de nous couper du reste du monde et de nous garder sous contrôle. Heureusement, les lecteurs vidéo et musicaux étaient autorisés, ainsi que les téléphones internes. Je ne pouvais pas surfer sur internet, visionner les actualités ou communiquer avec l'extérieur, mais je pouvais écouter des mp3 et regarder de bons films !
J'enfonçai les écouteurs sans fil dans mes oreilles et la mélodie d'Elastic heart de Sia s'éleva, me projetant immédiatement dans un autre univers. Je battis le rythme sur ma cuisse et sautillai dans une pseudo chorégraphie qui amena un grand sourire sur le visage de Walter que je croisai au détour du hall. Le domestique qui passait son temps à m'orienter était devenu mon pote attitré. Je lui accordai une risette complice et un signe de la main auquel il répondit avec bonne humeur.
Une fois dehors, je longeai la maisonnée jusqu'à la lisière du parc et m'enfonçai dans la forêt pour suivre un petit sentier familier. Une brise fraîche soufflait doucement, emplissant mes narines d'une multitude d'odeurs vivifiantes. Le mois de novembre s'achevait et les feuilles commençaient à tomber.
Winter is coming!
Je débutai mon échauffement, effectuant des mouvements répétitifs, puis me mis à trottiner. J'appréciais beaucoup ce parcours qui faisait le tour du domaine et permettait d'en admirer la splendeur. J'avais souvent eu le plaisir d'observer des cerfs et d'autres animaux lors de mes courses matinales. Il fallait faire preuve de patience, car la faune avait bien conscience des prédateurs qui l'habitaient. Elle restait donc très prudente.
J'accélérai mon allure, concentrée sur ma respiration. La musique se mélangeait aux bruits étouffés de mes foulées sur le sol terreux et aux battements sourds du sang dans mes oreilles. Partout autour de moi, des feuilles flamboyantes tombaient du haut des branches, et virevoltaient dans la brise. C'était magnifique !
J'adorais ces moments solitaires où je ne faisais qu'un avec la nature. Quand je pénétrais dans la forêt, j'avais le sentiment d'accéder à un monde végétal vaste, étendu et organisé, étrangement sécurisant. Il offrait une multitude de couleurs et d'odeurs qui me montaient à la tête comme un mélange capiteux. Des arômes de mousses et de champignons à peine éclos se mêlaient à l'effluve citronné des aiguilles de sapins. Ces stimulations olfactives m'apaisaient autant que l'effort lui-même.
Je courrais depuis dix kilomètres quand j'arrivai sur mon petit pont fétiche qui marquait la moitié de mon parcours. Je ralentis ma foulée. Les rayons du soleil filtraient à travers les arbres et les feuilles s'agitaient doucement au gré de la brise. Je pris une profonde inspiration et marchai sur les planches de bois, laissant glisser mes doigts sur les rebords noueux. J'enlevai mes écouteurs et stoppai la musique. Je passai ensuite sur le côté pour quitter le sentier et descendre le petit accotement qui longeait le ruisseau. Les sons de la nature se mêlaient aux bruissements des feuilles mortes sous mes pieds.
Arrivée au bord du cours d'eau, je m'assis sur un gros rocher couvert de mousse épaisse et retirai mon sac à dos. Je sortis ma bouteille et en avalai lentement la moitié. Je soupirai d'aise en sentant le liquide couler dans ma gorge. L'air était frais et rempli du parfum des arbres. Le clapotis de l'eau qui serpentait joyeusement entre les cailloux était reposant. Quelques rayons de soleil parvenaient à traverser les feuillages et leur douce chaleur me réchauffait agréablement.
La paix m'envahit et je fermai les paupières, attentive aux sons. Le chant des oiseaux, le murmure des feuilles qui s'agitaient et les jacasseries d'un écureuil brisaient le silence.
La sensation d'être observée me fit ouvrir les yeux. Je rencontrai un regard jaune pâle. Mon cœur accéléra ses battements. À seulement quelques mètres, de l'autre côté du ruisseau, un magnifique loup me fixait. Je reconnus aussitôt le meneur de la meute qui me suivait parfois, lors de mes sorties matinales. Je le contemplai, sans trop m'inquiéter, étonnée de le voir s'approcher aussi près d'un être humain.
Je me demandai s'il s'agissait d'un métamorphe, mais je n'étais pas sûre de moi : les métamorphes lupins étaient identifiables à leur taille supérieure à la normale. Le loup en face de moi était assez grand, au moins quatre-vingt-dix centimètres au garrot. Il devait bien peser quarante-cinq kilos et sa puissance ne faisait aucun doute. Sa robe grise et claire était magnifique et son poil long et dense me faisait penser aux loups de Sibérie.
Qu'est-ce qu'une meute de ce genre ferait ici ?
Je souris, me moquant de mes conclusions. Après tout, je n'étais pas une spécialiste !
Je le regardai un moment quand les gargouillis de mon estomac me rappelèrent à l'ordre. Je n'avais rien avalé avant de partir parce que je préférais jogger le ventre vide. Il était donc temps de rentrer. Je fis un petit geste à l'attention du loup en signe d'au revoir et me redressai lentement pour ne pas l'inquiéter. Je ramassai mon sac et lorsque je me relevai, il avait disparu.
Je repris ma course et décidai de couper à travers les bois. Parcourir un terrain plus accidenté ferait du bien à mes muscles. J'accélérai le rythme en réponse au tempo de Paint It Black des Rolling Stones, l'esprit totalement déconnecté, concentrée sur mon effort physique.
J'arrivai bientôt dans une petite clairière ensoleillée et m'immobilisai net à la vue d'une forme qui gisait un peu plus loin. Une odeur pestilentielle agressa mes narines et un haut-le-cœur me saisit. J'inspirai profondément par la bouche et glissai mon nez dans l'encolure de mon tee-shirt pour me protéger de la puanteur ambiante. J'étudiai un instant la scène, évaluant le danger, puis m'approchai, contournant la silhouette étendue sur le sol.
C'était un corps.
Je luttai contre la furieuse envie de prendre mes jambes à mon cou et me penchai. Le cadavre était nu. Il ne semblait pas avoir subi de dommage. La peau claire n'était marquée par aucune blessure même si son état de décomposition paraissait avancé vu les effluves qu'il dégageait.
C'est étrange ! Il a l'air intact !
Mon regard remonta vers son visage et je retins un hoquet horrifié. Plus que la grimace de souffrance pure qu'exprimaient ses traits et ses yeux vitreux, j'étais choquée de découvrir Judicaël Avery. Déstabilisée, je fis volte-face et m'enfuis pour retrouver le chemin que j'avais abandonné quelques minutes plus tôt.
Je parcourus les kilomètres de retour à un rythme effréné. Haletante, je me précipitai chez les sentinelles à la recherche d'une aide quelconque. Le soulagement me saisit en apercevant Imriel dans le hall, en pleine conversation avec Alrick. M'avisant, il s'élança, alerté par mon état. Les mains sur les genoux, la tête penchée, je tentai de reprendre mon souffle.
— J'ai... j'ai trouvé un corps dans la forêt. Je... quelqu'un que je connais. Un...serviteur.
— Respire, m'intima-t-il. Où est-il ?
— À environ dix kilomètres d'ici, sur la gauche, à la sortie du petit pont. Il faut avancer tout droit en direction de l'étang. Il est dans une clairière.
— Alrick, reste avec elle. Je vais voir !
Le vampire disparut instantanément et je tournai la tête vers le géant. Je ne reconnus pas son visage tendu et dur. Ses yeux froids se posèrent sur moi.
— Ça va aller ?
— Oui, je crois.
— Tu connaissais bien ce garçon ?
— J'ai fait une partie de ma formation avec lui.
— C'était un ami ?
— Non, pas du tout. Un petit con prétentieux, plutôt.
Je me mordis la langue. Ce n'était pas bien beau de parler ainsi d'un mort. Avant que je puisse ajouter un mot, il reprit :
— Tu ferais bien d'aller prendre une douche pour rassembler tes esprits. On discutera après.
Je hochai la tête. Si quelqu'un s'attaquait aux habitants du domaine, les choses allaient se corser ! Un frisson me parcourut l'échine au souvenir de l'expression de Judicaël. Je ne le portais pas dans mon cœur, mais il ne méritait pas de finir comme cela.
Je montai dans ma chambre, hantée par ma découverte. Une heure plus tard, vêtue de mon sempiternel jean brut et d'un pull gris, je pénétrai dans la cuisine pour manger un morceau. Ma mésaventure ne m'avait pas coupé l'appétit. Je ne savais pas si je devais en avoir honte !
J'adorais cet endroit. Il était immense : un mélange de modernité et de tradition. Le plafond était fait de hautes voûtes en pierre et une grande cheminée occupait presque tout un pan de mur. Autrefois, elle en était la pièce maîtresse ! Même si des pianos de cuisson rutilants lui volaient désormais la vedette, elle continuait d'en imposer et conservait une certaine utilité, que ce soit pour chauffer la salle ou pour cuisiner des aliments à l'ancienne.
J'avais fait la connaissance de Valentina et Andrei, les deux chefs cuisiniers lors d'une excursion nocturne où j'avais failli avoir la main coupée pour vol de fromage. Andrei n'était pas commode, mais il avait consenti à me laisser indemne suite à l'intervention musclée de Valentina, un cordon bleu de renom. Je les avais regardés s'invectiver en russe et en italien dans une joyeuse cacophonie d'insultes tout en grignotant mon brie. Cette expérience m'avait conduite à revenir le lendemain pour le petit-déjeuner et je ne perdais jamais une occasion d'abandonner la salle à manger officielle pour me glisser dans ce lieu chaleureux et vivant. Nul doute qu'Imriel m'aurait sermonnée s'il avait eu connaissance de ma présence ici.
À cette heure matinale, c'était l'effervescence. Joseph, le boucher était occupé à désosser une demi-carcasse de bœuf.
Sans doute le repas d'Alrick !
Je ricanai et le saluai d'un signe de tête auquel il répondit en ronchonnant. Il faisait semblant de détester me voir rôder dans les parages. Je regardai autour de moi : des tas de commis s'activaient dans un joyeux brouhaha de casseroles et d'ustensiles de cuisine, mais il n'y avait nulle trace des amants terribles !
J'évitai de réfléchir en passant devant la porte qui débouchait sur la pièce des donneurs. C'était le lieu où on récoltait le sang de dizaines de personnes pour pouvoir subvenir aux besoins des sangsues. Cela permettait d'avoir du sang frais à toute heure du jour ou de la nuit. Je trouvais ça dégoûtant !
Les donneurs étaient tous consentants et généreusement rétribués, mais rien que l'existence de cette pièce me faisait frémir. C'était toujours mieux que de laisser les vampires attaquer des innocents dans les rues, comme cela se passait souvent. Mais savoir qu'on se servait de gens comme des vaches à lait me révoltait.
L'odeur des croissants qui sortaient du four me fit saliver et je furetai l'air de rien à la recherche de viennoiseries. Une corbeille généreusement garnie m'attendait sur un plan de travail en granit, avec un post-it libellé à mon prénom. Je souris, ravie de l'attention et croquai dans une brioche sans prendre le temps de m'asseoir. Je m'accoudai nonchalamment et regardai tout ce petit monde s'activer.
— Bambina ! roucoula une voix chantante.
Deux bras vigoureux m'étreignirent avec force.
— Tomber sur un cadavre de bon matin ! Che disgrazia* !
Les nouvelles vont vite !
— B'jour, Valentina ! marmonnai-je en mâchant.
Je la laissai m'étouffer avec plaisir, heureuse de son soutien et de son affection.
— Oh ! c'est tellement d'émotions pour une petite chose aussi fragile !
Je rigolai.
Fragile ? Moi ?
— Prends des forces ! Mangia, il mio bambina ! Mangia !
Sa bouille ronde me fixait gravement. Valentina était la mama italienne typique : toute en courbes généreuses, brune, le teint mat et le regard chaleureux. Elle me pinça les joues avec un sourire bienveillant.
— Je vais te faire un bon minestrone pour le déjeuner ! La soupe, il n'y a que cela de vrai pour se remettre ! Cela te réchauffera, bella !
— Merci ! C'est gentil !
Elle s'éloigna en hurlant des ordres et je souris, le cœur plus léger.
— C'est donc là que tu te caches, tonna la grosse voix d'Alrick.
Je tournai la tête, inquiète de le retrouver aussi fermé que quand je l'avais laissé. Je me détendis aussitôt en découvrant son air amusé.
— Imriel est revenu ?
— Oui. Il est en plein débriefing avec les autres.
— Tu n'y participes pas ? m'étonnai-je, en croquant dans une brioche.
— Si ! Mais on m'a demandé de venir te chercher.
— OK, j'arrive !
***
Nous fîmes le trajet jusqu'à la bibliothèque en silence. Les gardiens aimaient se retrouver dans cette pièce confortable qui regorgeait de sofas et de canapés pour faire leurs réunions. Mes camarades étaient tous installés quand nous arrivâmes, leurs visages impassibles. Je notai l'absence de Nini, mais ne fis aucun commentaire.
Je m'avançai timidement et m'assis dans un fauteuil, incapable de me glisser entre Alistair et Delwyn qui occupaient le grand sofa. Je soutins les regards, agacée d'être le centre d'intérêt. J'attendis patiemment qu'on me mette au courant. Mes yeux se posèrent sur Seti qui me fixait d'un air étrange. Je tentai un sourire penaud pour détendre l'atmosphère.
Il n'y a pas mort d'homme ! Ah ben si ! me rappelai-je avec une grimace.
— Voici ce que nous savons, commença Imriel. Le cadavre de Judicaël Avery a été trouvé dans la forêt par Alanna, à huit heures trente. Son décès est estimé entre deux heures et quatre heures du matin. D'après son état cadavérique, il n'a subi aucune blessure ni agression physique. Il n'y a eu aucune perte de sang. Seti a établi que sa mort était due à un sort de torture.
Je retins un sursaut à cette nouvelle et regardai le mage avec stupéfaction. Ce type de sortilège ne pouvait avoir été accompli que par un magique. C'était un acte extrêmement grave. Si mes souvenirs sur le sujet étaient bons, il était d'une grande cruauté et infiniment complexe à réaliser. Il était obligatoirement le fait d'un surnaturel très puissant. Qu'un magique en ait fait usage au sein du domaine pourrait mettre en péril leur pacte de paix avec les vampires.
— Y a-t-il des indices qui incrimineraient une maison en particulier ? questionnai-je, vu qu'ils restaient silencieux.
Tout le monde me fixa.
Pfuuu, ils communiquent entre eux par télépathie ! Merci pour la confiance !
— Aucun pour le moment, intervint Alistair.
— C'est préoccupant, dit Imriel. Il faut envisager la possibilité d'une alliance entre surnaturels.
J'interceptai un échange de regards entre Seti et lui.
Qu'est-ce qu'ils cachent ?
— Est-ce qu'un détail t'a frappée lorsque tu as découvert le corps ? reprit le vampire. Une odeur particulière ? Un reste de magie dans l'air ?
Je le fixai, un peu perdue.
— Rien de spécifique, mis à part les relents de putréfaction. Il n'y avait personne dans les parages. Aucune marque récente. J'ai vérifié, je suis une bonne pisteuse.
— Je te remercie, répliqua-t-il, avant de se lever.
— Je pourrais peut-être vous aider à...
— Tu es attendue chez Sehen, m'interrompit Seti.
— Mais...
— Tu peux y aller, nous avons d'autres sujets à l'ordre du jour, intervint Imriel.
— ...
Je le fixai, abasourdie d'être mise dehors de cette manière. Je serrai les poings, exaspérée d'être encore une fois traitée comme une quantité négligeable. Je lui adressai un regard plein de reproches, puis fis demi-tour et sortis en bougonnant.
Je pris la porte de service et coupai à travers bois, marchant un bon quart d'heure avant de parvenir à destination. Une fois sur place, je m'arrêtai un instant pour admirer l'édifice.
Ham house m'avait toujours fascinée. Elle avait été accordée à Sehen en 1626 par Charles II, suite au décès de John Ramsay, premier comte d'Holderness. Le vampire avait jeté son dévolu sur la majestueuse demeure et son parc lors d'une partie de chasse dans Richmond Park. Il avait récupéré l'ensemble comme un dû, et le temps faisant son office, plusieurs siècles plus tard, la contrée était devenue l'un des bastions vampiriques les plus renommés du monde.
Le joli palais de briques rouges était splendide. J'adorais arpenter ses couloirs quand Sehen était absent, admirant les œuvres qui l'ornaient. Petite, je m'étais imaginée en princesse ou en espionne, me faufilant secrètement dans les pièces richement décorées, rêvant d'aventures plus rocambolesques les unes que les autres. La réalité avait cependant dépassé mes fantasmes et les vampires avaient vite remplacé les dragons.
La majestueuse bâtisse avait évolué à travers les siècles pour devenir un véritable bijou architectural. Sehen avait dépensé sans compter pour faire de sa demeure un témoignage des temps passés, mais équipée de toutes les commodités.
Je pénétrai dans le grand hall, un peu anxieuse de me retrouver là. Un garde m'attendait et il me guida en silence jusqu'à la porte de la bibliothèque. J'admirai au passage les sculptures anciennes et les tableaux de maîtres qui se mélangeaient, alliant modernité et histoire. La collection était impressionnante et de nombreuses œuvres étaient en prêt au British Museum. Je m'immobilisai soudain, un frisson désagréable me parcourant l'échine. Des effluves vaguement familiers d'herbes et d'épices me parvinrent. Ces émanations reconnaissables entre mille ne pouvaient vouloir dire qu'une chose : il y avait des sorceris à l'intérieur.
*« Quelle honte ! »
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top