Chapitre 7
La lueur de la lune baignait le couloir d'une douce lumière et les ombres de la nuit s'étendaient sur le tapis de velours. Les plafonniers étaient éteints, ce qui était étrange à une heure aussi tardive. J'avançai silencieusement, me fondant dans l'obscurité comme une voleuse. Je me faufilai le long du mur pour ne pas être vue. La faim me tenaillait le ventre impitoyablement. Un appétit comme je n'en avais jamais connu et qu'il me fallait satisfaire immédiatement. C'était un besoin vital et dévorant. Je me glissai à l'extérieur et m'enfonçai dans les bois ténébreux à la recherche d'une proie.
Il me fallait du sang à tout prix...
***
Sang, sang, sang !
Je m'éveillai en sursaut, le cœur battant à tout rompre. Je haletai, incapable de m'arracher aux brumes d'un cauchemar terrible. Je m'obligeai à prendre des inspirations profondes pour me calmer quand la porte s'ouvrit à la volée.
— Alanna ! Tout va bien ? demanda Chih-Nii depuis le seuil. Je vous ai entendue crier. Mes appartements sont justes en face de votre chambre.
Elle t'espionne... chuchota une petite voix.
— C'était un mauvais rêve, soufflai-je.
— Je suis là si vous avez besoin de quoi que ce soit, dit-elle en me couvant d'un œil suspicieux.
Dehors, bon sang !
— Non, c'est bon. Je vais bien. Vous pouvez me laisser. Merci, ajoutai-je, avec un sourire forcé.
Elle me jeta un dernier regard avant de s'éclipser, à regret. Je la vis fermer la porte avec soulagement. Il allait falloir que je pense à la verrouiller pour que tout le monde arrête de se croire dans un moulin.
Je me levai péniblement et allai dans la salle de bain. J'étais en miette, l'esprit hanté par des cauchemars terrifiants et des baignoires remplies de globes oculaires. J'appuyai sur l'interrupteur et croisai mon regard égaré dans le miroir. J'avais une mine de déterrée : mes yeux étaient cernés et mon teint livide. Je me passai de l'eau sur le visage et adressai une grimace à mon double.
J'ai une tête qui fait peur !
J'allais devoir investir dans plus de maquillage au train où allaient les choses. Glissant une main tremblante dans mes cheveux, je les rassemblai en un chignon flou et sortis m'habiller.
***
Un quart d'heure plus tard, je pénétrai dans la salle à manger, vêtue d'un pantalon noir et d'un pull bleu foncé. La chance était avec moi parce qu'elle était vide.
Génial !
Je m'installai et me servis généreusement en café. J'avais une faim de loup ! Je portai la large tasse à mes lèvres avec méfiance et je gémis d'aise alors que les arômes d'arabica envahissaient ma bouche. Super ! Les effets de ma diète ne se faisaient pas sentir. Je sautai donc sur un croissant que je dévorai avec délice. Mâchouillant consciencieusement, je soupirai en faisant le vœu que ma journée soit meilleure que ma nuit.
La porte s'ouvrit. Je tournai la tête, curieuse de voir qui venait me rejoindre. La vision d'Alistair faillit m'arracher une grimace, mais je me retins. Il n'allait pas gâcher mon festin !
— Bonjour, douce Alanna, me salua-t-il avec son sourire toujours aussi inquiétant.
— B'jour, marmonnai-je, la bouche pleine, en le dévisageant avec méfiance
Son visage long et émacié me troublait désagréablement. Ses yeux profondément enfoncés dans leur orbite étaient d'une teinte dorée étrangement éteinte, comme fumée.
Il est glauque, ce type.
— Tu as un appétit d'ours, ce matin, constata-t-il.
— Parce que tu as déjà vu des ours petit-déjeuner ? questionnai-je avec ironie.
— Cela s'appelle faire la conversation, expliqua-t-il avec hauteur, en s'asseyant à son tour. Tu devrais essayer !
Il n'esquissa pas un geste pour se servir et me sourit calmement. La vision de ses dents m'arracha un frisson.
On dirait le grand méchant loup...
— Où sont les autres ? m'enquis-je alors, en croquant dans une viennoiserie.
Oui, je sais être polie.
— À l'extérieur, ils s'occupent d'un contretemps.
— Lequel ?
— Deux chevaux ont disparu des écuries.
— Les gardiens gèrent ce genre de cas ? Super cool ! Mes futures missions vont déchirer ! commentai-je avec ironie.
— Ce ne sont pas n'importe lesquels. Ce sont les favoris du maître.
— Ah bon ? Je ne l'imaginais pas féru d'équitation !
— Cela n'est pas anodin. Celui ou celle qui a osé les voler a commis un crime grave, dit-il sans me lâcher des yeux.
Il m'observait mâcher avec fascination.
— Tu regardes quoi ?
— Toi, en train de savourer ta nourriture. C'est un si charmant spectacle ! Cela me donne envie !
— Envie de quoi ? répliquai-je, sentant bien que je n'aurais pas dû poser la question.
— De croquer dans ces si jolies lèvres, répondit-il galamment.
— ...
Est-ce qu'il me drague ?
— Si tu as faim, pourquoi ne manges-tu pas ?
Un éclat de rire retentit. Un son à la fois rauque et inquiétant. Un frisson remonta le long de ma nuque, j'en eus la chair de poule.
— C'est une invitation ? susurra-t-il, d'un ton presque sensuel.
— Euh...
— Parce que si c'est le cas, je ne vais pas la décliner...
— Ce n'était pas une allusion sexuelle ! protestai-je.
— Non ? Comme c'est dommage ! De mon côté, je ne parlais pas non plus de sexe, je te rassure !
— Tant mieux !
— C'est juste que vu ma nature, il est divin de t'entendre me demander aussi innocemment si j'ai faim...
Je le dévisageai fixement, n'osant plus ouvrir la bouche. Un mauvais pressentiment m'en empêchait.
— Vas-y, ma douceur ! Demande-moi ce que je mange, réclama-t-il en se penchant vers moi.
— Euh... je ne pense pas le faire, en fait !
— C'est vraiment exquis, s'émerveilla-t-il plus chaleureusement. Aussi délicieux que doit l'être ta chair parfumée...
— Plaît-il ? murmurai-je, figée sur ma chaise.
Je jetai un œil vers la porte.
Est-ce que je pourrai courir plus vite que lui ?
— Odorante, tendre, goûteuse... continua-t-il sans s'interrompre. Comme ton arôme ! Si fleuri !
— Plaît-il ? répétai-je plus fort, malgré la sourde angoisse qui me tenaillait.
— Je suis un zombie. Je mange de la chair humaine, expliqua-t-il enfin avec une certaine perversité. Je bois aussi du sang... celui que tu as ingéré hier matin était pour moi !
— Euh... désolée ?
— Je t'en prie, je ne suis pas un goujat ! Je sais partager !
Un zombie !
Je frissonnai rien que d'y penser. C'était la première fois que je me retrouvais face à quelqu'un de cette espèce. Pouvait-on parler d'espèce, d'ailleurs ? Il s'agissait de morts-vivants. Ils étaient pourtant très rares dans la chaîne surnaturelle ! Ils avaient assez mauvaise réputation en général, même parmi les Autres.
L'idée d'être dévorée me répugnait plus que celle de me faire vider de mon sang. S'il fallait se décider entre la peste et le choléra, je choisirais plutôt de succomber sous les dents d'une sangsue plutôt que sous celles de ce « machin » !
Je cherchai une répartie pour lui prouver qu'il ne me faisait pas peur, même si c'était tout le contraire ! À vrai dire, il me terrifiait plus que tous les vampires ou autres surnaturels réunis !
Et si je le menaçais ? Oui, mais bien sûr !
— J'ai un basilic qui peut me défendre, répliquai-je à toute vitesse pour lui faire passer l'envie de me goûter.
— Je suis au courant, ma douceur ! répondit-il les yeux pétillants ! Ne t'alarme pas. Je ne vais pas te croquer. Je te taquinais...
Sincèrement inquiète, je tendis le bras pour me servir une coupe de sang que j'avalai avec application, sans le quitter des yeux. Autant nourrir illico le monstre pour me le mettre dans la poche en cas d'attaque zombie. Alistair m'observait avec des étoiles plein les yeux.
Il est fou ce type !
Je reposai lentement le verre et soutins son regard ambré.
— Tu es vraiment quelqu'un de spécial, murmura-t-il soudain sérieux, et je ne parle pas seulement de tes capacités. Je suis heureux de t'avoir enfin en face de moi.
Je le dévisageai : ses propos me troublaient. Il avait l'air différent tout d'un coup, comme s'il abandonnait son apparence inquiétante et précieuse pour révéler un visage amical et beaucoup plus humain. Je n'eus pas le temps d'ajouter un mot, notre petite tête à tête fut interrompu par l'entrée bruyante de trois des nôtres. Leurs mines sombres n'étaient pas encourageantes et je préférai me reconcentrer sur mon petit-déjeuner. Même Alrick semblait avoir perdu de sa superbe.
— Alors, la chasse a été bonne ? demanda Alistair qui avait remis son masque.
— Nous ne les avons pas retrouvés, mais vu certains éléments, nous pensons qu'ils ont été tués. Il y avait des morceaux de chair disséminés vers les écuries.
— Une intrusion dans l'enceinte du domaine ? s'étonna Alistair. Animaux sauvages ou métamorphes ?
— Des métamorphes ne s'amuseraient pas à provoquer Sehen de cette manière, ce serait suicidaire, répondit calmement Chih-Nii.
— En même temps, ce n'est pas comme si nous croulions sous les prédateurs ! ironisa Alrick.
— Attaque de zombies ? glissai-je, pince-sans-rire.
Un ange passa. Alistair me fit un clin d'œil complice.
— Le maître n'est pas content ! intervint Nini, après m'avoir lancé un regard torve. Les sentinelles recherchent le reste de leurs carcasses. Nous en saurons plus dans l'après-midi.
À ma grande honte, j'avais donné ce petit surnom à Chih-Nii. Cette femelle se prenait vraiment trop au sérieux pour moi et sa condescendance m'exaspérait. Elle avait quelque chose de pas net.
Imriel et son frère apparurent sur le seuil.
— Del ? As-tu eu une vision à ce sujet ? demanda Alrick.
— Rien de probant, répondit l'autre d'un ton absent.
— Peut-être est-ce un coup des sorceris pour tester notre sécurité ? suggéra le métamorphe.
— Tu sais bien que rien ne peut entrer sans que nous en soyons avertis ! contra l'Asiatique.
— Quoi que ce soit, c'était déjà à l'intérieur des murs, indiqua Imriel. Del, va avec Chih-Nii faire un rapport à Sehen. Alrick, emmène Alanna à son premier entraînement. Je vous rejoins sous peu avec Alistair. J'ai quelques mises au point à faire avec lui.
Je surpris les yeux froids d'Ersatz fixés sur moi et je lui adressai une grimace puérile par provocation. Son air se fit plus glacial encore et il se détourna pour suivre l'Asiatique. Je ris doucement et emboîtai le pas à Alrick. Une fois dans le couloir, je trottinai à ses côtés pour m'accorder à ses grandes enjambées.
— ... une attaque de zombies ! rigola Alrick. Elle était bien bonne celle-là ! Alors, prête pour ton premier jour, guerrière ? me taquina-t-il.
— Ouaip ! Je commençais sérieusement à m'ennuyer, répondis-je avec un regard en coin, heureuse que quelqu'un partage mon humour noir. J'étais en train de rouiller !
— Tu es vraiment un sacré numéro ! Je sens que tu vas égayer mes journées ! Il était temps qu'une deuxième femme rejoigne les rangs.
— Nin... Chih-Nii ne te suffit pas ? me repris-je, ayant failli lâcher son surnom.
— Chih-Nii, c'est Chih-Nii. Ce n'est pas une marrante. Pourtant, vu son espèce, elle devrait être plus... sanguine. Ça doit venir de sa bestiole !
— C'est quel genre de métamorphe ?
— Ah ah ! Essaie de deviner !
— Une panthère ?
— Bien tenté, mais non !
— Une hyène ? proposai-je, en me prenant au jeu.
Alrick éclata de rire.
— Elle est bonne, celle-là. Je vais le lui répéter.
— Non ! m'écriai-je, horrifiée. Si tu me mets à dos la seule fille du groupe, je vais faire quoi, moi ?
— OK, OK ! Allez, dernier essai !
— Voyons voir... j'ai trouvé ! Un panda !
L'amusement d'Alrick ébranla les murs et je m'esclaffai à mon tour jusqu'à avoir les larmes aux yeux.
— Un panda, hoqueta le colosse, en se tenant les côtes. Quand je vais raconter ça à Alistair...
Je me figeai à l'évocation du zombie. Alrick me regarda avec gaieté.
— Il a craché le morceau ? Je suis sûr qu'il a été mélodramatique. Il a le sens du spectacle, notre Zomb ! J'aurais aimé voir ta tête ! Ne te fais pas de bile, moi aussi je mange de la chair fraîche et je suis un mec sympa !
Je me renfrognai. Ce n'était pas pareil !
— Bon alors, de quelle nature est-elle ?
— C'est une polymorphe. Je t'avais un peu induite en erreur.
— Elle a des facultés particulières ?
— Oui, elle peut prendre n'importe quelle forme animale ou humaine. Rien d'inanimé, par contre.
Je le considérai avec attention, fascinée. Un don aussi poussé était impressionnant. Je ne connaissais que les transformations uniques s'étendant à une espèce ou à un groupe. Les polymorphes canins et félins étaient assez répandus, tandis que les reptiliens étaient assez rares, alors une version tout-terrain !
— C'est Mystic, en fait !
Un grand sourire me répondit.
— En quelque sorte. Pourtant, elle a un animal de prédilection ! C'est sa forme sauvage la plus courante.
— Laquelle ?
— Un dragon !
— Waouh ! Ce n'est pas rien !
— C'est quelque chose à voir, j'avoue ! Elle me filerait presque les jetons !
— J'imagine bien ! murmurai-je, impressionnée. Est-ce qu'elle pourrait prendre ton apparence ou la mienne ?
— Non. Elle est limitée aux humains et aux animaux. Elle ne peut pas se faire passer pour un autre surnaturel. Comment voudrais-tu qu'elle arrive à imiter ce degré de perfection, questionna-t-il, en me désignant son visage.
Je secouai la tête avec amusement.
Nous descendîmes les escaliers menant aux salles de sport.
— En quoi va consister mon entraînement ? demandai-je, abordant un sujet plus sérieux.
— Pour commencer, nous allons faire un peu de relaxation et de méditation. Le but de l'exercice est de te faire prendre conscience de ta magie.
— Vraiment ? questionnai-je, abasourdie.
— Elle n'est pas seulement l'apanage des sorceris. Ils ont le don de la pratiquer à loisir à un niveau supérieur, mais les surnaturels appartiennent tous au monde magique. Je suis un métamorphe, je peux maîtriser ma transformation sans en être l'esclave, j'ai appris à me dissocier de mon animal et à nous fusionner quand j'en ai besoin. Nous sommes à la fois liés et indivisibles. La leçon numéro un à retenir, c'est que le savoir, c'est le pouvoir. Le contrôle est primordial pour déterminer tes limites et pour survivre. Tu penses te trouver dans un environnement familier parce que tu l'as côtoyé, mais tu ne connais que ce que nous montrons aux non-magiques.
Je réfléchis à ses paroles et me demandai s'il était au courant pour ma soif de sang. Est-ce qu'Imriel et Chih-Nii lui en avaient déjà parlé ? Je ne voulais pas le blesser pendant les entraînements. Je cherchai un moyen d'aborder le sujet sans trop en dévoiler.
— Alrick, comment cela va-t-il se passer si jamais le basilic se matérialise et qu'il t'attaque ? questionnai-je nerveusement.
— Ne t'inquiète pas, ma jolie ! Seti a jeté des sorts un peu partout. Il a fait ce qu'il fallait pour assurer notre sécurité !
— Qui est Seti ?
— C'est un ancêtre, un vieux sorcier !
— Ses sorts vont-ils être assez puissants ?
— L'espoir fait vivre ! me répondit Alrick en riant.
Je soupirai devant son insouciance puis décidai de ne pas m'en faire. Après tout, il connaissait mieux que moi les dangers du monde surnaturel.
Nous débouchâmes dans le long couloir que j'avais arpenté la veille et après cinq minutes à trottiner à ses côtés, nous nous immobilisâmes devant une magnifique porte de chêne sculptée qu'il poussa sans attendre.
— Après toi, me dit-il galamment.
J'eus le souffle coupé en rentrant dans la pièce.
Waouh !
J'avais le sentiment de pénétrer dans un autre univers. L'espace était immense. De gigantesques colonnes décoraient circulairement les murs. Deux énormes cheminées en pierre habillaient les deux extrémités de la salle. Quatre Alrick auraient pu facilement tenir debout à l'intérieur. Le plus surprenant était l'incroyable luminosité qui semblait être réfractée par un mécanisme complexe de miroirs, disséminés le long des cloisons, et par la présence d'une rotonde factice donc les vitraux étaient composés de prismes colorés. Nous étions quand même censés être sous terre !
Un sol de pierre était implanté en courbe et les différentes variétés de roches formaient un emblème compliqué. L'alternance des gris et de blanc du marbre légèrement veiné était un régal pour les yeux. Des marqueteries d'albâtre parsemaient avec régularité le granit, égayant l'ensemble.
J'étais une nouvelle fois fascinée par les trésors qui se cachaient dans ces sous-sols. Des armes de toutes sortes et de toutes les époques tapissaient les murs.
Un vrai musée ambulant !
Je m'avançai lentement, Alrick sur mes talons. Il se dirigea sans hésiter vers un homme qui se tenait en retrait, au fond de la pièce. Le fameux Seti, sans doute, puisqu'il n'y avait que lui.
Il n'est pas si vieux que cela ! pensai-je, en reluquant le grand corps souple et tatoué. Je croisai un regard noir énigmatique, et considérai le mage. Il semblait avoir une trentaine d'années bien tassée, mais je me doutai, à la profondeur de ses prunelles, que les apparences étaient trompeuses. Son visage carré mettait en valeur des traits bruts et masculins. Ses cheveux sombres et crépus étaient coupés court. Sa bouche généreuse ne souriait pas alors qu'il ne se privait pas de me dévisager.
Mes yeux descendirent sur le tatouage de Nehebkau* qui ornait son bras gauche. Un énorme serpent bleu s'enroulait autour de son biceps pour remonter jusqu'à son épaule où le reptile se divisait en deux, ses têtes jumelles me fixant avec hauteur. La reproduction du dieu était saisissante de réalisme.
C'est un peu inquiétant.
Un camaïeu azur se mélangeait à des éclats dorés qui trouvaient un écho dans le superbe collier égyptien qu'il portait autour du cou et qui retenait une espèce de toge outremer. Elle descendait le long de son corps musclé et drapait ses hanches fines. Une large ceinture de cuir souple la maintenait en place.
— Elle fait souvent cela ? demanda une voix grave.
— Tout le temps, mon vieux ! Elle semble apprécier les belles choses de la vie, rit Alrick.
Je piquai un fard et me détournai de ce corps chocolat. Je me raclai la gorge avec gêne.
— Bonjour, lançai-je d'une voix cassée qui me ridiculisa un peu plus.
— Bienvenue Alanna ! Je suis Seti, murmura-t-il en s'inclinant dans un salut respectueux. Je suis honoré de faire ta connaissance.
Je rougis de plus belle et décidai de me taire pour m'épargner une humiliation supplémentaire.
— Nous allons prendre place et commencer une séance de méditation. Tu n'as rien à craindre ni pour ta sécurité ni pour la nôtre. J'ai lancé quelques sorts pour éviter que le basilic ne fasse des dégâts. Il est jeune, mais il ne faut pas le sous-estimer. L'exercice que nous allons faire va t'aider à lâcher prise. Cela te permettra de te connecter à la magie.
Je haussai les épaules, peu convaincue.
— La création des liens, ce n'est pas trop mon truc !
— Ce problème semble en effet récurrent d'après ce que j'ai entendu dire, dit-il calmement, mais c'est différent cette fois. Rien ne pourra arrêter cette connexion une fois qu'elle sera établie.
— Pourquoi pensez-vous que j'ai la magie ? Je suis humaine !
— C'est grâce à elle que tu as pu lutter contre le pouvoir de la marque.
— C'est ce que vous croyez ? Cela ne peut-il pas venir d'un dysfonctionnement du sortilège ?
— Absolument pas. Mais je t'en prie, assieds-toi, dit-il en désignant un tatami qui n'était pas là quelques secondes auparavant.
Je ne m'étonnai pas outre mesure de cette apparition. Les magiques passaient leur temps à modifier leur environnement. Je m'installai donc sagement sur le jonc tressé et me plaçai dans ma position habituelle. Je pratiquais la méditation après chaque entraînement et ce sentiment de familiarité me rassura un peu. Le tatami était épais sous mes fesses. Je redressai le dos, les jambes pliées devant moi en tailleur et joignis les doigts sur mes cuisses. Je fermai les yeux et inspirai lentement pour détendre mes muscles, attendant patiemment la suite.
— Bien, continue ! Relaxe une par une toutes les parties de ton corps, murmura la voix grave et rauque de Seti. Concentre-toi sur les zones tendues et laisse-les se dénouer.
Je fixai mon attention sur le rythme hypnotique de sa voix et mon corps s'assouplit et s'ouvrit. Ma respiration régulière aidant, je sentis avec une agréable confusion mon esprit abandonner peu à peu les rênes. Mon imagination se débrida.
Seti parlait toujours, mais j'entendais sa voix de façon lointaine comme si je dérivai doucement vers des lieux encore indistincts. Un caléidoscope de couleurs passa fugitivement devant mes yeux clos et des sensations étranges prirent naissance dans mes doigts. Les picotements m'arrachèrent un froncement de sourcils. L'électricité qui crépitait sous la chair tendre était désagréable et je me détachai de cette sensation dérangeante pour me replonger dans une béatitude bienvenue. Une vague douleur au niveau de mon plexus solaire m'empêcha de m'enfouir dans mon petit nuage.
— Ne lutte pas, murmura une voix.
J'avais l'impression de l'avoir déjà entendue quelque part, mais je n'arrivai plus à me souvenir des circonstances exactes.
— Ouvre les yeux, ordonna-t-elle.
*Nehebkau est un dieu primordial égyptien, souvent représenté comme un serpent avec des bras et des jambes, parfois avec des ailes. Plus rarement, on le retrouve sous la forme d'un serpent à deux têtes.
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