Chapitre 12

— Comment j'éteins cela, alors ? finis-je par demander.

— Concentre-toi sur l'énergie et imagine-la en train de refluer.

— Je vais essayer.

Je fis ce qu'il disait et lentement les réseaux s'atténuèrent et disparurent. Je poussai un soupir de soulagement et me laissai tomber en arrière, dans l'herbe. Je fermai les yeux. Un long moment s'écoula avant que je parvienne à retrouver mon calme et la volonté de bouger. Seti était resté immobile et silencieux, me laissant le loisir de cogiter. Je ne savais pas comment renouer le dialogue entre nous ni même si j'en avais envie. Le lien que nous avions tissé était désormais fragile.

— Quand tu dis que je suis importante, je suppose que tu ne parles pas de notre relation, commençai-je, sans ouvrir les paupières.

— Non, en effet.

— Est-ce que tu m'as manipulée pour parvenir à tes fins ? demandai-je, en me redressant brusquement, le fixant attentivement.

— Pourquoi cette question ?

— Je m'interroge, c'est tout. Visiblement, tu me caches pas mal de choses. Ça, plus le fait qu'on me tient à l'écart, qu'on me surveille... je ne suis pas aussi naïve que vous l'imaginez, répliquai-je, les sourcils froncés.

— Et à ton avis, quels sombres desseins me conduiraient à t'utiliser ?

— À toi de me le dire !

— Je pense que ce n'est pas le moment d'avoir cette conversation.

— Cela ne l'est jamais, hein ? murmurai-je, sarcastique.

— Tu es perturbée. Tu as besoin de repos.

— Si tu le dis, répondis-je avec ironie. C'est tellement pratique ! « Alanna, va prendre une douche ! », « Alanna, va dans ta chambre ! », « Alanna, va voir ailleurs si on y est ! », scandai-je.

Je lui lançai un regard froid pour qu'il comprenne qu'un fossé s'était creusé entre nous. Il me rendit une œillade sans âme. Il était vraiment difficile à cerner ! Parfois si proche, et d'autres, si lointain !

— Rentrons-nous ? murmura-t-il, en poussant un soupir las.

— Comme si j'avais le choix !

— Écoute, je vais te faire une fleur et te donner du temps avant de parler à Imriel. Sehen étant parti pour Paris avec Damarisse pour peaufiner les derniers détails de notre bal annuel, cela devrait te laisser une petite semaine de répit pour digérer.

— C'est trop gentil de ta part !

— Ton insolence finira par te jouer des tours ! Je ne serai pas toujours là pour faire le tampon.

— Ah ! Parce ce que c'est ce que tu fais ? Le grand mage en est réduit à faire du baby-sitting ?

— Alanna... me prévint-il, les sourcils froncés.

— Pourquoi ne m'as-tu pas avoué que j'étais responsable de cette débâcle au domaine ? lançai-je, tentant un coup de bluff, faisant mine d'en avoir la certitude.

— Tu veux vraiment parler de cela, maintenant ? soupira-t-il, en passant une main dans ses cheveux.

— Parce que tu répondrais à mes questions ?

— Dans la mesure du possible.

— Je suis donc coupable de cela ?

— Si tu ne t'étais pas obstinée à refuser de boire du sang, ce ne serait pas arrivé !

— Pourquoi me l'avez-vous caché ?

Seti haussa les épaules avec fatalisme.

— Tu es humaine et tu as tendance à n'en faire qu'à ta tête. C'était un moyen comme un autre d'en apprendre plus sur son mode de fonctionnement, tout en te donnant une leçon !

— Mais vous êtes des malades ! Est-ce que vous l'avez suivi pour l'étudier ?

— Oui ! C'était une occasion inespérée de rassembler des informations sur ses capacités.

— J'hallucine ! Et c'est moi qui suis inconsciente ?

— Tu ne comprends pas parce que tu n'as pas une vision d'ensemble.

— La faute à qui ?

— Tu es trop impatiente ! Mais aussi tellement douée, avec un potentiel illimité. Tu seras parfaite pour accomplir la prophétie.

— J'ai besoin que tu m'en parles !

— Non ! Le sujet est clos pour le moment !

Je me retins d'exploser à grand-peine.

— J'en ai marre. Je veux un break ! Qu'on m'accorde une autorisation de sortie.

— Pour aller où ?

— En ville, je veux être seule pour quelques heures. Donne-moi un gage de votre bonne volonté ! Ensuite, je me tiendrai tranquille.

— Ce serait imprudent de t'abandonner sans protection !

— Je ne suis pas un bébé et je sais très bien que vous me surveillerez de loin ! Je ne suis pas sortie d'ici depuis des lustres. Laisse-moi souffler, Seti, s'il te plaît ! J'en ai besoin. Juste pour quelques heures !

Il me regarda un long moment, avant de hocher la tête.

— Je vais voir ce que je peux faire.

***

Quelques heures plus tard, alors que le crépuscule illuminait le ciel, je me tenais immobile devant la barrière magique qui emprisonnait les humains à l'intérieur. Je contemplai l'autre monde, celui des gens sans histoire, celui des personnes qui se levaient le matin pour aller travailler, de celles qui rentraient le soir retrouver leur famille, sans avoir conscience que la menace rôdait et que leurs vies bien tranquilles étaient des fétus de paille.

« Les ignorants sont bénis* ».

Si seulement j'avais eu un jour le choix d'avaler une pilule bleue pour revenir dans cette matrice-là ! Mais je n'y avais jamais appartenu. J'avais très souvent flirté avec les frontières du parc, observant tout ce que je pouvais voir de ce monde parallèle. Fantasmant inlassablement sur un futur où je pourrais en faire partie. Damarisse m'avait emmenée à l'extérieur à plusieurs reprises, mais j'avais dû rester collée à ses basques. Cette fois, j'aurai la possibilité d'explorer et de faire semblant d'être libre. Seti avait eu l'accord pour un laissez-passer. Il m'avait ensuite conduite du côté sud du domaine pour une sortie discrète. Je me tenais donc là, impatiente de voir une brèche s'ouvrir quand je sentis un picotement désagréable dans mon cou.

Bordel !

— Qu'est-ce que tu fous-là ? grognai-je, sans me retourner.

— J'ai été désigné d'office comme chauffeur.

— Je n'ai pas besoin d'une nounou !

— Je n'ai pas l'intention de te couver. J'ai une affaire à traiter à Londres. Je te prends, je te pose et basta ! répondit Delwyn. De toute manière, on saura toujours où tu te trouves ! Ne te fais pas d'illusions !

— Je suis au courant !

— On est branché sur les vidéos de télésurveillance de toute la ville, il y aura des infiltrés* partout, alors pas d'entourloupes ! Tu pourras même faire coucou à la caméra !

Je me tournai vers lui pour l'insulter et ma mâchoire faillit se décrocher : son corps était intégralement recouvert d'une combinaison de motard noire et rouge. La gorge soudain nouée, j'évitai de m'attarder sur son torse musclé et ses cuisses moulées dans le cuir.

— Allez ! viens ! dit-il avec un sourire ambigu.

Une fissure dorée se forma sur la surface lisse du dôme puis un passage s'ouvrit. Delwyn traversa et je trottinai derrière lui. Nous débouchâmes sur une cour privative qui semblait faire office de parking. Je le suivis jusqu'à la porte d'un hangar. Il composa un code et le battant commença à coulisser. L'éclairage automatique se mit en route quand nous entrâmes et j'écarquillai les yeux en découvrant une vingtaine de silhouettes d'automobiles et de motos, soigneusement alignées les unes à côté des autres, et cachées sous des draps.

— Ne touche à rien, ordonna Delwyn, en disparaissant dans une espèce de cagibi.

— Elles sont toutes à toi ? questionnai-je, éblouie.

— Oui ! Pourquoi ? Tu t'y connais en voitures ?

— Un peu ! commentai-je, en soulevant un bout de tissu, dévorée par la curiosité.

Mon père était passionné par les modèles de collection et il m'avait transmis le virus. Il travaillait en tant que mécanicien dans le garage du domaine. J'adorais y traîner quand j'étais enfant, fascinée par les carrosseries rutilantes et le cuir souple des sièges. Un frisson d'excitation me parcourut face à l'aile cramoisie que je venais de découvrir. Incapable de m'en empêcher, je fis glisser le drap pour mettre à nu le trésor qu'il dissimulait. J'en restai comme deux ronds de flan !

— Coucou, ma beauté ! murmurai-je, en caressant religieusement la Dino 206 P Berlinetta, Speciale 1966, pourpre, que je venais de dénuder.

Je tournai la tête vers la suivante, le cœur battant d'exaltation. Il allait me tuer ! Fébrile, je lui fis subir le même sort.

— Une Jaguar F-Type ! Rien que cela, soupirai-je. Il a une prédilection pour le rouge !

— Qu'est-ce que tu marmonnes ? cria le vampire.

— Rien, rien ! répondis-je, concentrée sur mes trouvailles.

Je m'approchai de la troisième silhouette, découvrant une Camaro bicolore.

— Je suis amoureuse ! soufflai-je, les mains tremblantes, sans faire attention au déplacement d'air, à côté de moi.

— Et moi, je suis en colère ! susurra une voix glacée à mon oreille.

— Tu es mon héros ! murmurai-je, en courant presque à la suivante.

Je ne réfléchis pas au fait qu'il me laissait faire. Je poussai un cri :

— Dieu du ciel, tu possèdes une Ferrari 250 GTO de 1963 ?

— Dieu n'existe pas, Alanna...

Je ne relevai pas son ton ironique, tellement j'étais fascinée.

— Je vais mourir ! haletai-je, ou avoir un orgasme...

— Tiens donc ! Cela devient intéressant ! susurra-t-il.

— Je veux voir les autres ! suppliai-je, en revenant vers lui, sautillant comme une enfant.

Je vis les commissures de ses lèvres se relever.

— On n'a pas le temps, trancha-t-il.

— Une prochaine fois, alors ? je gémis.

Il me dévisagea pensivement.

— Cela te passionne vraiment, n'est-ce pas ?

— Oui ! oui ! S'il te plaît ! S'il te plaît !

Un large sourire s'épanouit sur son visage, illuminant ses traits, éclairant son regard fauve et me coupant presque la respiration. Quelque chose de doux grandit dans ma poitrine. Je ne l'avais jamais vu sourire ainsi.

— D'accord, petite chose ! On reviendra ! promit-il.

— Croix de bois ?

— Tu es déjà en enfer, rigola-t-il.

— Juste une question !

— Oui, répondit-il, étonnamment patient.

— Tu les as achetées neuves ou...

— C'est moi qui les retape, m'interrompit-il.

J'écarquillai les yeux.

Si je m'attendais à cela !

— Ferme la bouche ! Tu vas gober les mouches ! dit-il, le sourire aux lèvres.

Je boguai soudain à la vue des deux casques de moto qu'il tenait dans chaque main.

— On y va en deux roues ?

— Cela me semble évident ! Pourquoi ? Tu as la frousse ?

— Je ne sais pas ! Ce sera une première !

— Tu verras, c'est facile, persifla-t-il, tu grimpes sur mon engin, tu serres bien les cuisses autour de la base et tu enroules tes bras autour de ma taille ! Tu seras prête pour la chevauchée sauvage !

— ...

C'est moi ou ses paroles sont remplies de sous-entendus sexuels ?

Les joues rougies, je le suivis jusqu'à une masse couverte par une housse de protection sombre. Il la retira d'un geste brusque et sortit une clé de sa combinaison. Je frissonnai, soudain peu rassurée.

— C'est quoi ce truc ? ne pus-je m'empêcher de demander.

— Tu es idiote ou quoi ?

— Non, mais j'ai déjà vu des motos, et ça, là, ça n'en est pas une ! Je ne monte pas sur cet engin de mort !

— Tu plaisantes ? Zorro est une DUU bicylindre en V S&S de deux litres ! Elle peut atteindre les trois cents kilomètres à l'heure en quelques secondes seulement ! On n'insulte pas un bijou pareil !

— Zorro ? Tu rigoles ? m'esclaffai-je.

— C'est un modèle spécial. C'est comme cela qu'il s'appelle ! Je n'ai pas choisi son nom ! se défendit-il, vexé.

— Encore heureux ! ricanai-je. Si ce n'est pas mignon !

— Prends ça, grogna-t-il en me fourrant un casque futuriste dans les mains.

— On dirait la moto de Batman, avec tout ce noir et cet acier ! Allez ! Ne fais pas la tête, mon grand garçon ! rigolai-je en voyant sa mâchoire se contracter. Promis ! Je ne me moquerai plus de... Zorro, hoquetai-je, en éclatant de rire. Je crois que je vais me faire pipi dessus ! haletai-je, en me tenant les côtes.

J'arrêtai de glousser tout net quand il me plaqua contre le mur. Je grimaçai à peine, car il avait atténué l'impact avec ses bras. J'essayai de me dégager, sans succès. Cet idiot me serrait beaucoup trop fermement. Un frisson me parcourut. Je ne savais pas si j'avais peur, mais un reste de sourire moqueur persistait sur mes lèvres.

— Cesse de te foutre de moi ! murmura-t-il d'une voix rauque.

— Ce que tu peux être susceptible, Don Diego !

Je haussai un sourcil ironique :

— On est un peu sanguin à ce que je vois !

— Ne pousse pas ta chance ! me prévint-il. Je ne supporte pas les gamines, encore moins quand elles appartiennent à une espèce dégénérée et inutile, marmonna-t-il, en serrant mes bras plus fort.

— Pas tant que cela, puisque tu as besoin de son sang pour survivre !

— Tu es si bêtement inconsciente ! susurra-t-il en se penchant vers mon oreille. Tu rêves de liberté et de paix, n'est-ce pas ? Moi, je sais que tu ne connaîtras jamais ni l'une ni l'autre ! souffla-t-il. Je l'ai vu.

Une vague de souffrance me fit serrer les dents. Je ne comprenais pas comment nous avions pu passer d'un moment de complicité à ça !

— Je me fous de tes dons de voyance, madame Irma ! Pousse-toi !

Il me relâcha abruptement, me fixant avec attention. Ses paroles résonnaient dans ma tête, me filant la nausée. Je n'allais pas lui donner la satisfaction de m'effondrer. Il s'éloigna et monta souplement sur son monstre, puis il me regarda et attendit. J'enfilai le casque sans rien ajouter et m'approchai pour enfourcher la bête. Je déglutis en voyant le peu d'espace qui allait supporter mes fesses.

— Il n'y a presque pas de place ! protestai-je.

— Estime-toi heureuse que ce soit le modèle duo. Bouge-toi ou je pars sans toi !

Je posai un pied maladroit sur le cale-pied et passai ma jambe par-dessus l'engin. Je perdis soudain l'équilibre et me rattrapai de justesse à ses épaules dures comme de l'acier. Je maugréai en essayant de trouver une assise confortable. C'était peu dire que ce n'était pas douillet !

— Je te dépose où ? demanda-t-il d'une voix à couper au couteau.

— N'importe où à Soho, murmurai-je.

Le vrombissement du moteur retentit. Le bruit était intense, il emplissait la nuit et semblait combler chaque recoin de l'espace. Les vibrations de la machine remontaient le long de mes jambes pour posséder mon corps. Une excitation inconnue me gagna et j'eus du mal à retrouver mon souffle. Devant moi, Delwyn était étrangement immobile, comme attentif à mes réactions.

— Accroche-toi, ordonna-t-il.

Je glissai lentement mes mains le long de ses flancs, appréciant malgré moi la douceur du cuir sous mes doigts. Il me sembla qu'il se figeait, mais je devais rêver. J'appuyai ma poitrine contre sa colonne et approchai mes hanches de ses reins. Un tremblement agita son dos. Je me coulai contre lui et posai la tête entre ses omoplates. Son odeur envahit mes narines, chassant celles de l'essence et des fumées d'échappement. Elle me sembla étrangement familière.

Sant...

L'effluve s'effaça.

— C'est bon, criai-je à travers la clameur mécanique.

Je m'attendais à un départ brutal, mais la machine se mit en route en souplesse. Je me redressai un peu pour regarder autour de moi. Nous sortîmes du garage qui se referma sans bruit et prîmes peu à peu de la vitesse. D'après les panneaux que nous croisions, Del se dirigeait vers l'autoroute A3 qui menait jusqu'à Londres. Le paysage défila de plus en plus rapidement et la pression du vent se fit intense. Le corps de Del me protégeait en partie du froid et je me détendis alors que la moto accélérait, m'emplissant d'une impression grisante. Je me sentais tout à coup pleinement vivante, tous les sens en alerte. Je percevais les odeurs de la nuit, les sons de la nature, les imperfections de l'asphalte comme jamais auparavant. Nos corps s'inclinaient pour épouser les courbes de la route et ce ballet nocturne me procura un plaisir intense. Les voitures défilaient autour de nous comme des papillons lumineux. Je me sentais terriblement vulnérable, mais aussi totalement vivante. Je vibrais d'une liberté étrange.

Les kilomètres filèrent trop vite et lorsque l'engin s'immobilisa, au coin d'une rue, je ressentis une vague de déception. L'arrêt du moteur m'obligea à sortir d'un monde de plénitude et le ronronnement sourd me manqua aussitôt. Je pris appui sur les épaules de mon pilote et descendis maladroitement. Les jambes un peu flageolantes, je retirai mon casque, bêtement figée, ne sachant que faire.

— Bon, ben, merci pour la balade, murmurai-je, soudain intimidée, comme Del restait silencieux.

Il souleva sa visière.

— Je repasserai te chercher, promit-il.

— Je peux appeler un taxi pour rentrer...

— Avec quel argent ? Je viendrai. Je te trouverai.

— À plus, alors...

— Approche, ordonna-t-il, avec un geste impatient.

— Quoi ?

— Tiens ! dit-il, en fourrant une liasse de billets dans ma main.

— Quoi ? Mais je ne peux pas accepter cela ! protestai-je.

— Bien sûr que si ! Je ne veux pas que tu erres dans la ville comme une clocharde ! Éclate-toi bien !

— Merci, grommelai-je, vexée.

— Prends ça aussi, dit-il en me tendant un smartphone. Si tu as le moindre problème, tu m'appelles.

— OK. C'est gentil !

— C'est juste un prêt.

— Merci.

Il hocha la tête et redémarra. L'envie de rester avec lui m'étreignit et je l'observai qui s'éloignait, avec regret. Je surpris les regards des passants qui suivaient l'homme et la machine avec admiration.

C'est vrai que Zorro a du caractère !

Le motard aussi...

Je regardai autour de moi pour me situer. Le vampire m'avait abandonnée devant un pub. Je connaissais l'établissement de nom pour en avoir entendu parler à la télé. L'artère était bondée, les gens allaient et venaient, en bavardant gaiement. Ils riaient. Des groupes flânaient un peu partout. La terrasse affichait complet.

Éperdue d'excitation, j'observai la rue pavée, les bâtiments alentour puis examinai le bar. Sa façade était illuminée comme en plein jour. Des jeunes fumaient leur cigarette devant la porte. Je détaillai, comme une enfant, les cabines téléphoniques rouges plantées sur les côtés. Une vague d'exaltation monta en moi.

Je suis dehors !

Je suis dehors et je peux faire ce que je veux !

L'allégresse accrocha un sourire radieux sur mes lèvres. Je marchai au hasard pour m'imprimer de l'atmosphère du quartier. Je déambulai, les yeux papillonnant d'une scène à l'autre, suivant du regard un petit garçon et ses parents, un groupe de filles habillées de façon bizarre, lorgnant sur les vitrines des boutiques. Plus tard, je revins à mon point de départ et décidai de manger un morceau. Curieuse, je poussai la porte du Spice of Life et la musique résonna gaiement à mes oreilles.

Le rez-de-chaussée était plein à craquer, cela allait être coton de trouver une table de libre. De belles boiseries ornaient les murs, un énorme bar proposait des tas de boissons. Un homme me bouscula, s'excusa et je me mis sur le côté.

— Faut pas rester au milieu, ma jolie, s'exclama une voix.

Je dévisageai l'individu avec des yeux de merlan frit. Grand, chevelu, il avait un look de biker comme dans les films. Je me sentis de plus en plus gourde.

— T'es pas d'ici, toi, observa-t-il, concentré.

— Non, enfin si, mais je ne sors pas souvent, expliquai-je, avec un geste vague de la main.

— Tu fais de la moto ? dit-il, en désignant mon casque.

— Juste en tandem !

— Tu es là pour l'Open Mic Night ? questionna-t-il, curieux.

— C'est quoi ?

— Le lundi, y'a des groupes ou des amateurs qui viennent chanter leurs compos. T'es venue pour te lancer ?

Je ris, amusée par l'idée et charmée par sa simplicité.

— Pas du tout ! Juste pour manger un morceau, répliquai-je, en souriant.

— T'es en solo ou ton mec, le motard, va débarquer ? se renseigna-t-il.

— Un ami m'a déposée... répondis-je, soudain méfiante. Il va passer me récupérer après son rendez-vous.

— Viens avec moi, alors ! On a une table là-bas. Je ne vais pas laisser une fille comme toi toute seule.

— Cela veut dire quoi, « comme moi » ?

— Ben, tu es canon, tu n'as personne avec qui grailler et t'as l'air pommée. Faudrait pas qu'il t'arrive un truc.

J'éclatai de rire.

— Vous savez, je suis une grande fille !

— Alors tu peux boire une bonne bière ! T'es majeure au moins ? s'inquiéta-t-il.

— Bien sûr !

Je le suivis en jouant des coudes. Il s'immobilisa devant une table. Je m'attendais à trouver des bikers, mais pas du tout ! Deux jolies femmes étaient en pleine conversation, lorgnant un beau brun qui chantait du jazz de manière langoureuse. Un homme habillé avec un costume orange me sourit. Son ami me lança un coup d'œil indifférent.

— Pose ton casque là, me dit le chevelu. Au fait, je m'appelle Clive.

— Enchantée ! Alanna, dis-je en m'installant sur une chaise.

— Voici Madison et Makayla. Les filles, je vous présente Alanna. Elle est toute seule en ville, alors je l'ai invitée à se joindre à nous.

La blonde aux grands yeux bleus me sourit et la brune fit un geste de la main.

— Et ces deux-là sont Logan et Elijah.

Le bonhomme excentrique orange m'attrapa par les épaules et me claqua deux bises sur les joues. Je le dévisageai, perplexe.

— Je suis français, expliqua-t-il.

Je souris.

J'aime la France, répondis-je dans sa langue maternelle.

Son visage s'illumina un peu plus.

Ravi de faire votre connaissance, mademoiselle ! répliqua-t-il. Voici Logan, reprit-il en anglais. Il fait toujours la gueule. Il doit chanter ce soir, et il a peur de se planter.

— Ferme-la, Elij ou je te fais bouffer ta cravate, grogna l'autre.

— On n'a pas encore commandé, intervint Clive. Tu veux quelque chose ?

— Un fish and chips, criai-je presque pour couvrir le bruit.

— Ben, dis donc, t'es enthousiaste toi quand il s'agit de nourriture !

— J'ai toujours voulu en goûter.

— Mais d'où tu sors ? D'un couvent ? Tu veux une bière, en plus ? proposa-t-il.

— Oui, dis-je avec plus de mesure.

— OK, c'est parti, s'écria Clive.

Je me tournai vers Elijah et essayai d'entamer la conversation.

— Ce n'est pas très français comme prénom ! commençai-je.

— J'ai des origines hébraïques, répondit-il, avec un grand sourire.  



Réplique de Cypher dans Matrix, film de 1999.

Infiltrés : humains affiliés à Sehen, ayant vécu la cérémonie de la marque ultime. Ils vivent et servent le maître à l'extérieur du domaine.

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