Chapitre 1 :
Assise en haut de son arbre, Shane attendait patiemment que sa mère vienne la dénicher, ce qui ne risquait pas d'arriver avant quelques heures. Rien ne plaisait plus à l'adolescente que de s'éclipser lorsque les mantras de sa génitrice au sujet de son avenir fabuleux devenaient trop lourds. Ses fugues temporaires étaient ses seules distractions au village puisqu'il ne se passait pas grand-chose.
Pire, il n'y avait strictement rien à faire. Pas le moindre potin, pas la moindre rumeur stupide ! Rien ne venait troubler le calme indolent dans lequel vivait le petit bourg montagnard d'Helyha.
Quatre ans avaient passé depuis la dernière nouveauté mais Shane s'en souvenait toujours. C'était un mystère tellement étrange, que le village entier avait été marqué par cette horreur. Une disparition jamais résolue voilà qui donnait cours aux commérages !
Une tarte au citron avait été volée.
Les Helygeois avaient été fasciné par cette nouvelle anodine, tous prêts à accuser leurs voisins, pour des raisons plus ou moins plausibles, qui allaient des mains gluantes et citronnées à un amour inconditionnel du sucre.
L'adolescente fut interrompue dans ses passionnantes réminiscences par une voix moqueuse.
— Shane, par tout hasard, prendrais tu racine ?
Elle se pencha pour voir de qui il s'agissait.
Sous l'arbre se tenait une grande rouquine au regard amusé tenant à son bras une large pochette noire. C'était Lilaï, sa première amie, la seule en fait. Helyha était en effet un lieu si intéressant que les jeunes adultes préféraient éviter de l'approcher. La grande majorité des gens qui vivaient là-bas avaient dépassé les cinquante ans, tranche d'âge respectable que le reste de la population nomme communément avec beaucoup de déférence, les vieux cons. Il n'y avait que cinq mineurs au village : un bébé à peine né, Lilaï et Shane qui venaient toutes les deux d'avoir quinze ans, une petite fille de quatre ans et Yohan, un jeune homme de dix-sept ans.
— Non, je me cache!
Elle agita ensuite ses bras devant son visage dans un mouvement qui rappelait celui des tentacules d'un poulpe disgracieux et maladroit. Son amie baissa la tête et soupira, un léger sourire au coin des lèvres.
—Justement, ne devrions nous pas nous atteler à une tâche plus intéressante ? Ces temps-ci, tu me semble très accaparée par tes cachettes.
La brune s'avança sur les branches avant de l'arbre défraîchi et descendit avec l'agilité gracieuse d'un hippopotame.
— Brava tu m'as convaincue et pourtant c'est rare!
Activité qui n'étais pas si ardue que le prétendait la jeune fille, puisque cette scène se déroulait tout les jours, avec une ponctualité étonnante.
Tout les matins, l'adolescente était réveillée de bonne heure par sa mère qui lui parlait avec passion de son avenir fabuleux et de plein d'autres choses toutes aussi intéressantes. Tout cela plaisait temps à Shane qu'elle en profitait pour dormir un peu plus, Cassandre la réveillant à l'aube pour toutes ses discussions. Ensuite, elle s'apercevait que sa fille dormait et lui faisait mille remontrances sur le fait qu'il fallait qu'elle écoute, que son avenir était en jeu et qu'il ne fallait pas qu'elle le gâche.
Elle avait bien envie de répondre que tout ça lui était égal et que si elle avait un avenir, ce n'était clairement pas dans ce village miteux, et que c'était de la folie de s'être installé ici si son futur promettait de si belles choses.
Elle n'en faisait jamais rien. Elle hochait simplement la tête, et partait en courant dès que Cassandre avait le dos tourné. Ensuite elle s'arrêtait sur l'arbre, pensait à tout et rien, en attendant l'arrivée de Lilaï et de sa pochette, qui la convainquait toujours sans grande difficulté de quitter l'arbre et d'aller faire autre choses.
Le déroulement des journées était toujours le même, à quelques exceptions prêts, qui consistait souvent en quelques secondes de décalage entre l'arrivée habituelle des événements prévisibles.
Le corps endolori par sa cachette, Shane s'étira et bailla.
— Et sinon, où qu'on va ?
Question rhétorique en réalité : les activités à Helyha étaient très vastes et diversifiées, ils devaient y avoir qu'une ou deux choses intéressantes à faire. Ou trois si partir était considéré comme une activité sur ces lieux. Hélas pour elles, la troisième réponse n'était pas une option pour les deux adolescentes, bien que l'envie ne leur manque pas. Alors, elles répétaient la même activité chaque jour, n'oubliant pas de se demander respectivement ce qu'elles allaient faire, pour conserver l'impression de surprise.
Tout en avançant, la rouquine regarda son amie et lui fit un clin d'œil qui se voulait mystérieux, mais qui ressemblait plus à l'enlèvement raté d'une grosse poussière.
— Devine donc, fais fonctionner tes méninges !
La brune fronça les sourcils. Elle semblait pensive ou constipée, tout dépendait des interprétations.
— Tu veux boire une tisane chaude ? Nom d'un concombre putréfié ! Tu sais bien que ça me donne la diarrhée !
La jeune fille, très mauvaise actrice, puisqu'elle savait très bien où elles allaient, continuait donc à émettre des hypothèses douteuses sur leur destination. Après quelques minutes de traversée du village et d'élucubrations inutiles, les adolescentes arrivaient à destination.
À leur droite, se trouvaient les dernières maison d'Helyha. Elles étaient arrivées au bord du village. Devant elles, se tenaient un promontoire rocheux, dont le sommet étaient accessible grâce à une échelle taillée dans la pierre. Shane feint un soupir émerveillé, sous le regard désespéré de Lilaï. Puis, elles montèrent, l'une après l'autre. Elles arrivèrent sans encombre en haut. Le promontoire était assez large, il s'étendait sur sept mètres par côté. Nulle barrière ne protegait d'une chute fatale, mais une longue-vue était posté là. Elle devait sûrement servir à une lointaine époque où Helyha était un point stratégique d'un point de vue militaire et pas seulement une place de choix pour s'ennuyer. Le promontoire, n'était pas exceptionnel, mais la vue autour pouvait se targuer de l'être. Tout autour, s'étendait un paysage qui sans l'habitude, aurait coupé le souffle aux deux jeunes filles.
D'abord, le soleil de midi, haut ocre et fier, les hauts sommets tutoyant les nuages, recouvert d'un voile de neige et puis les flancs de roches, froids et dénudés, les forêts de sapins sombres et impénétrables, les plateaux et leurs petites grottes, les cascades et leurs ondes chantantes, les petits ruisseaux, les grands lacs, les hameaux, le vent qui sentait le monde, la vie, qui hurlait le froid et le chaud et partait dans la vallée qui s'étirait à l'horizon, glorieuse, infinie. Le monde était bien plus vaste qu'Helyha, pourtant Shane et Lilaï n'avaient connu que ça.
La petite rousse mit fin à la rêverie.
— Bon bah on dessine maintenant ?
À ses mots, elle ouvrit sa pochette sombre. Elle en sortit des crayons aux bouts machouillés, des pigments colorés, une bouteille d'eau qui tournait au verdâtre, un petit pot, des pinceaux, quelques feuilles jaunies, triant celles sur lesquelles on avait déjà griffonnées et les autres, dont les trésors cachés n'attendaient que quelques coups de crayons pour être révélés. Shane sourit. Ce moment était sûrement le meilleur de ses journées. Partir sur ce qui devait être une tour de guet avec Lilaï était une activité sympathique.
— Bien sûr que nous allons dessiner, ne mettons pas fin à cette sympathique tradition.
— Ok, et après on devine le truc de l'autre ? Ça me va !
À ces mots les adolescentes se mirent à dessiner. Lilaï, pour éviter que son amie ne triche, se retourna et commença à dessiner. Son impulsive amie fit aussitôt de même, si on omet ses très subtiles tentatives d'observations de la future oeuvre de la rouquine.
Après une trentaine de minutes de manque d'idées, de griffonage, de coloration, de tentatives ratées d'espionnage, les jeunes filles avaient terminé.
Lilaï montra sa réalisation la première. Son amie, fervente passionnée d'art, eut des mots critiques et justes à son sujet.
— Ouuaah !
Le croquis réalisé par la rousse méritait bien cette éloquente éloge : sur sa feuille se dressait la vallée. Bien qu'il ne s'agisse que d'une réplique de toutes pièces dessinées, elle convainquait facilement. Parce que quand Lilaï dessinait, on ne faisait pas que voir : on y sentait l'odeur des arbres, le froid nous mordait les épaules et si on tendait l'oreille on entendait le bruit du vent. À défauts d'être plus vrais que nature, ses dessins était vrais.
Ce fut ensuite au tour de Shane de montrer son oeuvre. Après, quelques seconde de réflexions son amie trouva de quoi il s'agissait.
— Oh tu as réalisé mon portrait ? C'est fabuleusement réussi !
Shane, qui semblait très fière d'elle, gonfla la poitrine et afficha un franc sourire. Son ego aurait était bien moins en forme si elle avait possédé un oeil un peu plus critique sur l'art. Le portrait en question tenait en effet plus du bonhomme bâton raté : une tête asymétrique au possible, des yeux globuleux et difforme, un corps qui tenait en cinq traits -deux pour les bras, deux pour les jambes et un pour le torse-, et une chevelure composé de ronds oranges fluos. Fabuleusement réussi étaient vraiment les mots justes. Mais bon, ne dis donc pas que la beauté est subjective ? La brune en tout cas, rayonnait.
— Merci Lili, c'est vrai que c'est pas trop mal ! J'suis super contente de moi !
Elle affichait un sourire si franc que sa camarade abandonna son sens artistique pour se réjouir avec elle. Alors qu'elles jubilaient tranquillement comme deux idiotes, une voix les interrompit.
— Shane, Lilaï ? Mais quekevousfaiteslà ?
La voix venait du bas. À côté de la bordure d'Helyha, un jeune homme blond, à la tignasse emmêlé les regardait, la bouche en rond et les yeux écarquillés. Shane secoua son bras gauche pour lui faire signe, bien qu'elle semblait plutôt chasser un essaim de mouches.
— Yohaan ? Tu viens avec nous ?
Lilaï semblait partager la joie de sa camarade.
— Tu viens t'es mort !
Le mort en question regarda la jeune fille de haut. Du moins, du plus haut qu'il pouvait, installé quinze mètres plus bas.
— On va voir ça !
Et sous le regard assassin de la rouquine, le jeune homme monta. Quand il arriva au sommet de la tour, il l'observa à son tour et lui sourit.
— Bon bah je suis mort hein. Désolé Shane.
Avec une conviction des plus admirable, Lilaï lui tira la langue. La brune, avec son tact légendaire, tenta d'apaiser les tensions.
— NOM D'UN CONCOMBRE PUTRÉFIÉ VOUS ALLEZ VOUS CALMER ?
Sa fabuleuse douceur eut de l'effet : ses deux camarades la regardèrent, se regardèrent et éclatèrent de rire. Shane, très vexée d'avoir paru si peu crédible bouda. Son ego aurait sans doute était plus satisfait si elle avait compris qu'elle avait atteint son objectif. Après tout, les tensions entre ses deux amis s'étaient dénouées. Hélas, sa bonne action était oubliée, submergée par un effet secondaires indésirables : ils se foutaient de sa gueule.
— Sinon qu'est-ce que vous faites ici ? demanda Yohan, brisant l'hilarité de l'une et le désespoir de l'autre.
Lilaï, les yeux posés sur son oeuvre répondit, d'un ton sec.
— On dessine.
Ses bonnes relations avec le jeune homme n'avaient décidément pas duré. Shane, sans portler attention à la merveilleuse ambiance qui régnait entre ses amis, proposa, tout sourire à Yohan de ce joindre à elles.
— Euh non, j'étais pas venu pour ça. Cassandre m'avait demandé de te chercher.
La brune le fixa, les yeux écarquillés et se mordit la lèvre.
—Vraiment ?
Il aquiesça.
— Oui alors qu'elle était introuvable depuis plusieurs heures, elle est réapparue et m'a demandé de te chercher. Peut-être pour manger ?
Shane soupira. Décidément, son ami ne connaissait pas Cassandre. Sa réaction sembla avoir échappé au jeune homme blond.
— En tout cas, j'y vais ! Bye !
Sur ces mots, il descendit de la tour. Quand ses oreilles furent hors de portée, Lilaï laissa libre cours à ses éloges.
— Toujours ici pour semer le trouble ! Je ne comprends pas comment tu peut offrir ton affection à un aussi grossier personnage !
— Hé c'est pas sa faute ! C'est à cause de ma mère ok ?
La rousse, fort peu convaincue par l'éloquence de Shane, la regarda en biais.
— Il est tout de même là il ne faut pas, d'une manière bien trop systématique ! Il me semble même parfois que tu le préfères à moi !
La brune hésita un instant à rejoindre sa mère, afin d'éviter la putain de crise de jalousie de Lilaï.
— Nom d'un concombre putréfié ! J'vous aime bien tout les deux, mais différemment. Bon j'y vais !
La jeune fille descendit du promontoire laissant sa camarade seule. Tout en bas, elle ne put entendre tout les jurons que son amie rousse proféra.
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