Chapitre 6 - Une nouvelle connaissance (Kylian)
J'observe mon frère s'en aller en me faisant une réflexion : il ne parviendra jamais à dire à Émilie qu'elle lui plaît. C'est mort. Il est trop timide et trop angoissé. Il va encore se trouver milles excuses pour repousser et au final, il ne dira rien.
Je le vois s'installer face à un journaliste, pendant qu'Émilie le rejoint. Alex est persuadé qu'elle lui dira non, alors que moi, je pense qu'il y a un truc entre eux. C'est évident. Elle passe son temps à lui toucher l'épaule, le bras. Et ça, elle ne le fait pas avec moi.
Une main se pose justement sur mon épaule. Quand je tourne la tête, ce n'est pas Émilie que mes yeux rencontrent, mais ceux de Margot. Maintenant qu'elle a arrêté de faire la tête et qu'elle sourit, je la trouve beaucoup plus sympathique. Et même très joli, avec son t-shirt de bénévole, ses deux tresses et ses attentions. Elle me tend un petit four.
— Merci.
Il se trouve que j'ai toujours été passionné par la langue des signes, sans jamais réellement trouver le temps pour l'apprendre. C'est dommage, sinon, j'aurais pu beaucoup plus facilement communiquer. Je sais seulement signer : « Merci ».
Ce n'est pas très compliqué.
Il faut tenir sa main ouverte avec la paume en haut, placer le bout de son doigt sous son menton, puis faire un mouvement vers l'avant, en éloignant la main, tout en gardant la paume ouverte. Un peu comme si on offrait quelque chose à quelqu'un.
— C'est bon ? mime-t-elle en pointant le toast du doigt.
— C'est bon, répond-je en levant le pouce.
L'apéritif est copieux. Ça me va ! La compétition m'a donnée l'eau à la bouche. J'avale encore deux toasts, puis demande à Margot, en articulant bien :
— Tu es bénévole jusqu'à la fin des jeux paralympiques ?
Elle hoche la tête, tout en réalisant un « oui » en langue des signes. Là aussi, rien de complexe, il faut fermer la main pour former un poing, puis secouer le poing de haut en bas. Pour le « non », il faut placer le pouce et l'index ensemble comme si vous alliez pincer quelque chose, puis étendre les autres doigts, dans un geste d'ouverture. Pour celui-ci, je m'en sors moins bien. Je crois qu'il va falloir que je prenne des leçons.
— Et ça te plaît ?
Nouveau « oui ».
— Et à part donner des bouteilles d'eau, tu fais quoi ?
Elle mime un geste indiquant qu'elle nettoie le bord de la piscine. Décidément, cela me rappelle vraiment Apolline Estanguet et toutes les autres bénévoles au bord des bassins. Margot a l'air d'apprécier. Le bénévolat a été beaucoup critiqué, mais moi je trouve ça chouette que des gens s'investissent comme ça, juste par amour pour les jeux.
— T'es étudiante ?
Nouveau oui.
— Moi je passe le bac cette année, expliqué-je. Et du coup, tu fais quoi comme étude ? Tu reprends quand ? T'avais pas cours, là ? T'étais libre pour les JO du coup ? C'est cool d'être venu pour les paras, c'est bien que ça se démocratise.
Mon dieu ! Je parle trop.
Margot fait une moue étrange sur le côté, puis me fait signe de ralentir. Je tente de reformuler plus lentement. Elle répond alors, à voix haute, avec difficulté :
— J'étudie les maths, ça commence le...
Elle mime un « 09 » avec ses doigts. 09 septembre, donc !
Sérieux, elle étudie les maths ? Pffff ! J'ai toujours été tellement nul dans cette matière. Je m'apprête à le lui expliquer, mais comme je sens que je risque d'en avoir pour des heures. Et là, j'ai une illumination.
— Eh ! Tu sais quoi, je vais te donner mon numéro ! Comme ça, on pourra mieux discuter.
J'extirpe mon téléphone de ma poche, écris mon numéro et le lui montre. Elle hoche la tête, prends le sien et rentre le mien avant de m'envoyer :
Margot :
Coucou, c'est Margot. 🥰
Kylian :
Coucou, c'est Kylian. 🥰
Elle lève un pouce. Moi aussi.
Alors que je m'apprête à lui écrire un nouveau message, quelqu'un s'approche de moi et j'entends :
— M. Portal, puis-je vous déranger un moment ?
Je me retourne. Devant moi se tient Tony Estanguet, le président du comité olympique. Il tient un verre de champagne dans la main. C'est lui qui nous a passé nos médailles autour du cou. Je lui réponds par un immense sourire. J'adore ce type ! Chaque fois que je l'écoute parler à la télé, je me dis qu'il est super calme et qu'il a l'air très gentil.
— Je voulais vous féliciter de vive-voix pour votre médaille.
— Oh, merci.
Le président du comité me tend la main et je la lui serre. Je ne suis pas peu fier d'être félicité par Tony Estanguet en personne. Il a quand même été médaillé olympique en canoë, ce n'est pas rien. Je remarque que sa fille n'est pas avec lui, elle n'a sûrement pas renouvelé son bénévolat pour les jeux paralympiques, ou alors elle avait sa rentrée scolaire.
— Votre fille n'est pas là ?
Tony Estanguet éclate de rire, puis répond :
— Non, elle est à Toulouse, chez son petit ami. Elle revient dans quelques jours à Paris pour son master.
Ah ! Tout s'explique. Décidément, Léon a tout gagné cet été. J'avoue que, même si j'affirme sans cesse que je me fiche de ne pas avoir de petite copine, en vérité, moi aussi, j'aimerais rencontrer l'amour. J'ai toujours été le copain blagueur, le « bon pote », celui auprès de qui les filles se confient. Mais pas celui avec lesquelles elles sortent.
Par réflexe, mes yeux dérivent sur Margot.
Sauf qu'elle n'est plus là...
Bon... Échec !
J'imagine que je ne peux pas tout faire comme Léon Marchand. Une médaille, c'est déjà bien, je ne vais pas en plus sortir avec une bénévole, moi aussi. Et puis, de toute façon, rien ne dit que j'intéresse Margot. Je suis en train de me faire des plans sur la comète là, on ne se connaît même pas.
— En tout cas, c'est une belle réussite, continue Tony. Deux médailles pour deux frères en une soirée. C'est impressionnant.
— C'est vrai. Alex est un peu déçu d'avoir manqué l'or, mais ça va lui passer.
Moi, j'aime beaucoup ma médaille de bronze. Cette couleur, un peu « rouille », m'a toujours plu. Et puis, c'est ma toute première, je compte la chérir.
— Vous avez raison. Nous nous reverrons ce soir au Club France, promet Tony. En attendant, profitez bien de votre soirée.
Je hoche la tête. Il disparaît dans la foule, et j'en profite pour me rapprocher d'Alex, toujours en train de répondre aux questions de la journaliste. Quand j'arrive, j'entends celle-ci lui demander s'il n'est pas trop « déçu » de finir deuxième. Alex soupire :
— Si, bien sûr. Je suis déçu, mais je suis aussi très heureux. C'est une émotion un peu bizarre. Avec mon frère, on voulait renverser le biélorusse, Boki.
— C'était ambitieux ! commente la journaliste. Boki est le nageur le plus titré de l'histoire paralympique.
— Ils en sont capables ! affirme Émilie en prenant la parole. Cela ne s'est pas fait aujourd'hui, mais un jour, l'un d'eux finira champion du monde. Et pourquoi pas les deux.
Ses mots me mettent du baume au cœur. Émilie croit en nous. En moi, comme en Alex. Elle n'arrête jamais de nous encourager, elle nous force à nous dépasser et à nager tous les jours. J'apprécie ses méthodes, à la fois douce et ferme. Elle est différente de Philippe, notre précédent entraîneur, et cela me fait du bien d'avoir changé. On forme une belle équipe tous les trois.
L'interview se termine et je me mets à bailler.
Je suis crevé, j'irai bien me coucher.
Sauf qu'une soirée nous attend au club France pour célébrer notre victoire. Je crois que mon lit devra encore attendre.
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