Chapitre 5 - Déclaration manquée (Alex)


J'ai les mains qui tremblent.

Je crois que je vais vomir.

Ou mourir.

Au choix.

— Tu voulais me dire quelque chose ?

J'ai les mains moites.

Le cœur qui bat trop fort.

Purée, Alex ! Réveil toi !!! Je suis trop émotif. Oui, voilà, ce doit être ça. Émilie a une voix envoûtante, une voix de Sirène. Et moi, tel Ulysse, je me sens envoûté par son charme et...

— Alex ?

« Mais parle, bon sang !!! Allez, Alex. Tu es médaillé olympique ! Certes, en argent, mais tu devrais réussir à parler, puisque tu as réussi à nager. Allez !!!! Motive-toi ! »

— En fait... Je... C'est que... Tu... Nous... Enfin...

Émilie s'avance vers moi. Je vois son visage qui se rapproche, devient de plus en plus net.

— Tu es malade ? Ça va ? Tu fais un AVC ? Oh purée, Alex ! Tu veux qu'on appelle les pompiers ? S'il te...

J'attrape son poignet.

— Non, non. Ce n'est pas ça. Je vais très bien, c'est juste que...

« C'est juste que je suis un boulet, que je ne parviens pas à parler, que je veux te dire que je t'aime, mais que c'est terriblement difficile, parce que j'ai peur que tu me rejettes, comme mon ex m'a rejeté ».

— Tu sais que tu peux tout me dire, Alex ?

Sa main, chaude, douce, se pose sur mon épaule. Mon cœur bat vite. Beaucoup trop vite.

— C'est juste que... Toi et moi...

— Oui ?

— On est bien ensemble, non ?

Je suis presque sûr de la voir froncer les sourcils. Elle hoche la tête, sa main n'a toujours pas quitter mon épaule.

— En effet, on bosse bien tous les deux.

— Non, en fait, je voulais dire, pas que pour le travail...

Je crois que je rougis. Mes joues sont brûlantes, mon palpitant est en train d'augmenter.

— Pas que pour le travail ? répète-t-elle.

Pourquoi c'est toujours plus facile dans les romans, dans les séries ou dans les films ? Bon, cela dit, dans ce genre de configuration fictive, le héros n'est généralement pas atteint d'une déficiente visuelle et la love interest n'est généralement pas son entraîneuse. Quoi que, ça peut faire un bon titre de film, non ? Oh, mais qu'est-ce que je raconte ?

— Alex ! Qu'est-ce que tu essayes de me dire au juste ?

« Que je t'aime, que je suis fou de toi, que j'ai envie qu'il y ait plus entre toi et moi, que je... »

— Alex Portal ! nous interrompt un homme du staff ! Désolé de vous interrompre, mais des journalistes demandent à vous parler et vous êtes attendus pour boire un verre avec les autres nageurs. C'est offert par la Fédération.

— Ah, eux... oui, bien sûr.

L'homme du staff s'éloigne et je reporte mon attention sur Émilie qui a toujours sa main sur mon épaule. Elle continue de me regarder d'une façon un peu... étrange.

— On en reparle tout à l'heure, d'accord ? propose-t-elle.

Je hoche la tête. Toute façon, soyons réaliste. Je n'ai pas un discours cohérent. Kylian va sûrement m'engueuler, me dire que je suis incapable de lui avouer mes sentiments et que je me suis encore une fois défilé, mais en même temps, je suis trop stressé. Cela ne sert à rien d'insister, je vais juste réussir à bafouiller et Émilie va partir en courant.

Nous suivons donc l'homme du staff jusqu'à un espace dédié aux sportifs et retrouvons les autres nageurs, ainsi que leurs équipes. Différentes nationalités se côtoient, et j'aperçois mon frère qui s'agite face à une fille qui lui tient le bras. Tiens, tiens ! Ne serait-ce pas la bénévole que nous avons croisé tout à l'heure ? Celle qui se prenait pour Apolline Estanguet et offrait de l'eau aux nageurs ? Un sourire étire mes lèvres à cette pensée. Depuis la fin des jeux, les gens commentent un peu moins la vie privée de Léon Marchand. Même si j'apprécie le sportif j'avoue être un peu jaloux de sa notoriété. Moi aussi, j'aimerais être aussi admiré que Léon Marchand, avoir un public qui cri mon nom, des gens qui parlent de moi partout.

— Vous pouvez vous servir ! indique l'homme du staff.

— Merci.

Émilie me tend un verre, je le récupère et trinque avec elle.

— C'est quand même bien organisé, note-t-elle.

— C'est vrai.

C'est juste dommage que les gens regardent moins les jeux para que les jeux valides. S'ils avaient lieu en même temps, cela leur donnerait sans doute plus de visibilité (mais ce serait sûrement difficile à organiser, puisque toutes les installations doivent être adaptées).

Même si le comité olympique a bien bossé et qu'une belle visibilité a été offert aux jeux para cette année, à Paris, il reste encore beaucoup à faire. J'aurais par exemple apprécié que Léon Marchand, Florent Manaudou, ou d'autres nageurs fassent le déplacement pour assister à nos épreuves.

Mais bon, c'est comme ça, je m'y suis fait.

Et puis, je suis mauvaise langue. Parce que quand j'ai récupéré mon portable tout à l'heure, j'avais plusieurs messages de la Fédération, de coéquipier, et également des mots des autres athlètes, dont Léon Marchand, qui me disait bravo sur les réseaux sociaux. Il a le droit à des vacances, d'autant qu'il va bientôt retourner aux États-Unis ensuite. En plus, s'il avait été là, il m'aurait volé la vedette, donc autant profiter du fait que ce soit juste Kylian et moi, les rois de la soirée.

Je m'approche d'ailleurs de mon frère qui s'agite devant une fille qui ressemble à la Miss-bénévole-sans-sourire.

— Eh ! Salut !

— Oh ! s'exclame Kylian. Tu es là ! Je commençais à me dire que ça prenait du temps.

Il jette un regard par-dessus mon épaule, comme si Émilie était cachée derrière moi.

— Où est la coach ?

— Je l'ai laissé avec des types de comité.

— Et alors, tu lui as dit pour... ?

— Pas eu le temps ! le coupé-je. On n'a malheureusement été interrompu.

Malheureusement. Ou heureusement.

Ils m'ont un peu sauvé alors que je bafouillais et j'ai réussi à gagner un petit délai avant de me prendre un râteau. Car que puis-je espéré d'autre ? De nouveau, l'angoisse me gagne. Il faut que je cesse de toujours penser aux pires.

— Tu me présentes ta nouvelle amie ? demandé-je en désignant Miss-sans-sourire.

— C'est ça, change de sujet ! ricane Kylian.

— Je te jure qu'on a vraiment été interrompu. Et donc ?

— Mouais... Bon, sinon, Alex, voici Margot.

Kylian me désigne du doigt, puis montre ses lèvres et épèle « A.L.E.X ». La fille hoche la tête et un sourire s'inscrit enfin sur son visage.

Aurais-je manqué quelque chose ?

Kylian se penche alors à mon oreille :

— Margot est sourde. Elle peut lire sur les lèvres, mais il faut que tu parles doucement et que tu articules.

Oh ! Je vois. Ça doit être pour cela qu'elle n'a pas compris Kylian tout à l'heure, il parle toujours trop vite et ses gestes trop empressés ne doivent pas aider.

— Et du coup... tu es bénévole, c'est ça ?

Elle hoche la tête, puis répond :

— Oui.

Sa voix est rauque. Je fronce les sourcils et me tourne vers Kylian.

— Tu m'as dit qu'elle était sourde.

— Sourd ne veut pas dire muet, soupire-t-il.

Évidemment ! Je suis bête ! Comme quoi, même quand on porte soi-même un handicap, on peut faire preuve de validisme sans le vouloir. Mon frère et n'avons pas été dans des écoles adaptées, nous avons donc jamais trop côtoyé d'autres personnes handicapées, à part dans les compétitions et dans notre club. Je n'avais encore jamais rencontré de personnes présentant une déficiente auditive. Je sais qu'il existe des appareils pour amplifier les sons, mais que certains préfèrent ne pas en porter.

— Margot préfère parler par langue des signes, explique Kylian.

Il a l'air bien renseigné dis-donc.

— Bon, je vais vous laisser. On m'attend pour une interview !

— Super. J'irai tout à l'heure. Bon courage, champion.

Mon frère me fait un clin d'œil, tandis que je lève les yeux au ciel et pars rejoindre le journaliste qui me fait signe. Il veut faire quelques photos et a des questions à me poser sur la course et l'état dans lequel je me trouve. Émilie vient rapidement me rejoindre pour me soutenir. Spontanément, sa main vient se poser sur mon épaule.

Mon cœur se remet à battre plus vite.

Est-ce que cette main est un signe ? Ou est-ce le signe de ma future déchéance ? 

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