Chapitre 2 - Compétition et natation (Kylian)


Mon frère et moi sommes nés avec le même handicap visuel. Une maladie génétique qui s'appelle l'albinisme oculaire et qui nous a rendus malvoyants. Pour résumer, nous ne voyons pas net à plus d'un mètre, et nous ne distinguons pas notre environnement en trois dimensions. Cela dit, notre handicap ne nous a jamais empêché de nager (même si ce n'est pas toujours facile de composer avec et qu'il faut s'adapter). On a malheureusement très vite compris que, dans la vie, c'était soit on avancer avec notre handicap, soit on baissait les bras.

Et c'était hors de question.

Je suis né pour être un champion, je refuse de me laisser abattre par ceux qui me jugent différents et inadaptés.

Même si des efforts ont été faits pour rendre la société moins validiste ces dernières années, et qu'on a toujours été bien accompagnés, notre parcours n'en était pour autant facile.

Au collège, les autres me traitaient de « bigleux » et je sais que c'était pareil pour Alex. Si, rapidement, j'ai décidé d'en rire et de tout prendre avec dérision, pour ne pas laisser leurs stupides paroles m'atteindre, cela n'a pas de forcément été le cas pour mon frère. Lui a subi pas mal de moqueries, et même s'il n'a jamais officiellement parlé de harcèlement scolaire, je suis persuadé qu'il l'a subi. Je n'ai jamais voulu lui poser trop de questions pour éviter de remuer le couteau dans la plaie, mais quand je vois certaines de ses réactions face aux autres, je suis persuadé que c'est vrai.

La société est peuplée de gens idiots. Des gens qui ne comprennent pas et n'acceptent pas la différence, et préfèrent s'en moquer. Pour moi, c'est ni plus ni moins qu'un manque d'intelligence, et c'est la raison pour laquelle j'ai choisi d'en rire. C'est une technique imparable que j'ai nommé « Le bouclier de l'humour » et avec lequel je me suis construit une carapace.

Faire de la natation à haut niveau, ce n'était pas seulement un rêve pour moi, mais une nécessité. Une revanche sur la vie et sur les autres. « Vous ne voulez pas que je voie ? Très bien ! Mais je m'en fiche. Parce qu'un jour, je serai champion du monde et médaillé olympique ».

Et aujourd'hui, je compte bien y arriver.

Alex et moi avons tous les deux étés sélectionnés pour nager sur le 400m nage libre.

Je me prépare à concourir face au public rempli de l'Arena que j'entends battre des mains et hurler nos noms. J'ai le cœur qui bat à cent à l'heure, les mains qui tremblent, mais je tente de me calmer et d'appliquer les conseils d'Émilie.

— « Inspire. Expire. Souffle. Ton cœur ne doit pas battre trop vite. Visualise le bassin dans ta tête. Ce que tu ne vois pas, tes sens le perçoivent. Et surtout, n'oublie pas de compter pour garder la distance en tête. »

Je suis obligé de procéder ainsi pour me repérer. Car, sous l'eau, je vois encore moins qu'à l'extérieur. Même avec mes lunettes adaptées, le monde se trouble, passé un mètre. Mais cela ne fait rien, j'ai appris à composer avec.

— « La société ne s'adaptera jamais à toi, alors oblige là à s'adapter », disait mon père.

Aujourd'hui, je vais décrocher cette médaille ! Je vais leur montrer qu'on peut être malvoyant et réussir dans la vie. Alex et moi allons leur prouver qu'il n'y a pas que « l'effet Marchand » qui existe à Paris, mais « l'effet Portal aussi ». Et nous, nous serons deux pour célébrer cette victoire.

Je sais qu'Alex veut que je décroche cette médaille et qu'il serait prêt à me laisser sa place, mais il n'a pas intérêt à me ménager.

— C'est l'or et l'argent, rien de moins, soufflé-je à mon frère en passant près de lui.

— Respire, au lieu de parler, rétorque-t-il.

— Tu t'es transformé en Émilie ?

Il souffle. Même si je vois trouble, je suis presque sûr de distinguer un sourire sur ses lèvres lorsque je prononce le nom de notre entraîneuse. Il craque complètement pour elle. C'est à la fois mignon et agaçant, car cela fait un an que je dois me coltiner ses angoisses, mais aussi les poèmes qu'il lui rédige en secret. Au lieu de flipper à l'idée de rater sa médaille, il balise parce qu'il m'a promis de faire sa déclaration à Émilie juste après.

Et il a intérêt à le faire ! J'y veillerai !

— Réchauffe toi ! me dit-il.

— Je viens de le faire.

— Menteur, je ne t'ai pas entendu.

Décidément, je ne peux rien lui cacher. Je me frappe le torse, les bras, les jambes pour chauffer mes muscles. Ça fait un peu homme des cavernes, mais que voulez-vous, ça marche !

Soudain, quelqu'un tapote mon épaule.

Je me retourne.

Une bénévole apparaît à mes côtés, vêtues de son polo bleu. Je me retiens de rire, même si, à cet instant, je pense très fortement à l'idylle entre Léon Marchand et Apolline Estanguet, qu'il a rencontré sur les bassins justes avant sa compétition. Cette histoire a fait le tour des réseaux sociaux et de la presse.

— Vous me draguez ? lancé-je avec humour.

Je plisse les yeux pour tenter de distinguer son prénom sur son t-shirt, m'attendant presque à y lire « Apolline ». Mais non. Dommage...

Elle continue de me tendre sa bouteille sans réponse.

— C'était une blague, hein. Je disais ça par rapport à... vous savez... enfin...

Mais qu'est-ce que je raconte ?

La fille ne répond pas. OK, sympa...

Pire, elle s'en va en abandonnant sa bouteille à mes pieds, probablement vexée.

— Qu'est-ce que j'ai fait ? soupiré-je.

— 30 secondes ! hurle le micro.

Oups ! Il faut à tout prix que je me concentre. J'attrape la bouteille et avale une gorgée, puis me tourne vers la piscine. C'est bon, je suis prêt. Mon cœur se remet à battre, vite, très vite. J'inspire, j'expire. Un nageur me sépare de mon frère, nous sommes à deux lignes d'eau de décalage. Tout va bien se passer.

Pour chaque compétition, nous sommes répartis en différentes catégories de handicap, afin de s'assurer que chaque athlète concourt contre d'autres ayant des capacités similaires. Il y a les handicaps physiques, visuels et mentaux. Pour assurer des compétitions justes et équitables, on est regroupé selon nos capacités, puis les règles sont adaptées. En natation, cela va de S1 à S10 (pour les handicaps physiques), de S11 à S13 (pour les déficiences visuelles) et le S14 pour les déficiences intellectuels. Mon frère et moi concourront dans la catégorie S11. 

— 15 secondes ! déclare la voix dans le micro. 

Je me concentre. Il faut vraiment que je fasse le vide et me concentre sur la compétition. 

— 3, 2, 1... BIP !

Je m'élance. Mon corps percute l'eau, je tire sur mes bras, pousse sur mes jambes, me guide à l'aide des sensations sur mon corps. Quand arrive le bout du bassin, j'amorce une impulsion, tourne, pousse sur mes jambes, repars. Chaque fois que ma tête ressort de l'eau, j'entends les cris du public, leurs encouragements, les applaudissements. Mes muscles me font mal, mais je continue. Je tourne encore, pousse de nouveau sur mes jambes, repars.

La course est bientôt finie. Encore quelques mètres.

J'entends qu'Alex n'est pas loin de Boki, le biélorusse et je crois que moi non plus. Purée ! Est ce qu'on va y arriver ? Est ce qu'on va grimper ensemble sur le podium ? Est-ce qu'on...

— BIPPPPPPPPPP !

Le public explose de joie. Je relève la tête. Je ne vois rien d'autre que la lumière rouge qui s'allume quand je touche le mur et n'entends que les hurlements du stade qui explose alors que la voix du commentateur annonce :

— Ihar Boki décroche la médaille d'argent, Alex Portal l'argent et Kylian Portal emporte le bronze.

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