Chapitre 1 - Interview et rêverie (Alex)
Assis face au journaliste, j'écoute Kylian répondre à la question posée, à la fois fier et admiratif de sa maturité. A tout juste dix-sept ans, et après toutes les difficultés que nous avons rencontré, et toutes ces heures passées à nager et nous dépasser pour atteindre nos rêves, je me dis qu'il a du mérite. J'espère que mon petit frère va repartir de Paris avec une médaille !
Je m'appelle Alex Portal, j'ai 22 ans, et je m'apprête à entamer mes seconds jeux olympiques. J'ai déjà concouru à Tokyo, en 2021, et remporté deux médailles (en argent et en bronze). À l'époque, Kylian n'était pas encore à mes côtés. Cette année, si...
Mon petit frère - toujours bon à me recopier - a choisi de se mettre à la natation quand il avait six ans, alors que j'entrais au collège. Il a toujours aimé faire comme moi (je pense que ça le rassure). Cela dit, même s'il me recopie, je n'ai aucune jalousie. J'adore nager avec lui, ça me motive.
Frères dans la vie, collègues de bassin, nous faisons tout ensemble. Depuis plusieurs mois, nous nous trouvions en Bretagne avec notre entraîneuse, afin de nous préparer au JO.
Ce que je souhaite, c'est nager, prendre du plaisir, décrocher une médaille (en or, cette fois, je l'espère) et surtout : voir Kylian devenir champion olympique. Que voulez-vous, je suis un grand frère poule, notre mère dit souvent que je le couve trop, mais c'est comme ça. Kylian n'a pas toujours confiance en lui. Il doute beaucoup et je suis là pour l'encourager.
— Vous présentez tous les deux le même handicap visuel, commente le journaliste. Ne pas voir a plus d'un mètre n'est-il pas gênant pour nager ? Comment faites-vous ?
Kylian lance, l'air de rien :
— Au fond, voir, est-ce vraiment important ?
Derrière ses lunettes, il me fait un clin d'œil et un grand sourire. Mon frère adore blaguer. Je le laisse donc poursuivre.
— En vrai, c'était surtout angoissant quand on a commencé à nager, explique-t-il. J'avais tout le temps peur de me cogner au virage ou à l'arrivée. C'est pas que j'aime pas les murs, mais bon...
Il rit et moi aussi.
— Comment faites-vous pour contrecarrer ce handicap visuel ? reprend le journaliste avec sérieux. Avez-vous des astuces ?
Je hoche la tête, pressentant que c'est à mon tour de répondre :
— Au début, on se repérait surtout grâce à la voix de notre entraîneuse, expliqué-je, puis on a pris l'habitude.
Et quelle voix !
Emilie nous entraîne depuis une année seulement. Avant, c'était Philippe Assuncao notre entraîneur, mais il a été obligé d'arrêter à cause d'un problème de santé. Nous n'étions pas franchement emballés à l'idée de changer à tout juste un an des jeux olympiques, mais lorsque j'ai vu arriver Emilie, ancienne nageuse, fraîchement diplômée de STAPS et d'un diplôme de préparatrice sportive, je me suis dit : « OK, non seulement elle est compétente, mais en plus, c'est la future femme de ma vie ».
Coup de foudre dans les bassins.
Voilà comment j'aurais pu titrer notre idylle qui, malheureusement, n'a pour le moment pas de passer le stade du « Alex, concentre-toi. Alex, accélère ! Alex, qu'est ce que tu fais le nez en l'air? ».
Cela fait un an qu'elle nous entraîne, un an que je suis fou amoureux d'elle, un an que Kylian me pousse à déclarer ma flamme et un an que je ne fais rien.
Plus facile à dire qu'à faire.
« Je le ferai après les JO. Après la compétition. Promis. »
C'est elle mon objectif de Paris.
La médaille n'est qu'un accessoire brillant à côté. Même si Emily + la médaille, ça peut être pas mal aussi. En attendant, il faut que j'arrête de rêvasser et que je me concentre sur l'interview que Kylian gère d'une main de maître.
— Vous savez, au final, nager, c'est une question de feeling, lance mon frère. Regardez Leon Marchand.
Le journaliste rit. Nous aussi. Je doute de reproduire l'exploit du nageur valide, mais cela ne fait jamais de mal de l'imaginer. Léon Marchand a fait rêver la France cet été, à nous de poursuivre ce rêve, avec le sport paralympique.
— Quand a lieu votre compétition ? demande le journaliste.
— Demain, répond Kylian.
— Cela ne vous gêne pas de nager l'un contre l'autre ?
— Oh non, tant que je gagne, rien ne me gêne.
On s'esclaffe. Kylian est un véritable clown.
— Tout sportif rêve de faire les jeux, repond-je avec plus de sérieux. Et avec son frère, c'est la cerise sur le gâteau.
Le journaliste se lève et nous serre la main, puis nous désigne la sortie. Kylian passe devant et je lui emboîte le pas, retrouvant avec joie notre entraîneuse préférée qui nous attend assise sur un banc dans le couloir.
— C'est bon ? lance-t-elle en nous voyant débarquer. Vous avez fini de faire les stars ? On peut retourner nager ? Je vous rappelle que la compétition commence demain et que...
Je n'écoute pas la suite, l'oreille tendue en direction de la voix d'Emilie. Ses traits sont floues, mais je l'entends distinctement et sa voix est chaude et douce à mes oreilles.
— Eh ! Alex. Concentre-toi, me sermonne Kylian.
— Hein ? Quoi? Oui oui.
Il me fait un clin d'œil et agrippe mon poignet, tandis qu'Emilie passe devant, tout en continuant de prodiguer ses conseils.
— Et je te préviens, pas question que tu te défiles après la compétition !
— Oui oui.
— Tu lui diras qu'elle te plaît, hein ?! Qu'on ne finisse.
— Mais oui.
Parfois, j'ai l'impression que c'est lui : le grand frère. Mais il a raison. Après la course, je ferai ma déclaration à notre entraîneuse.
Et en attendant, on a deux médailles à décrocher.
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