Chapitre 5

La nuit de Salazar fut peuplée de visions cauchemardesques et de visages terrifiants. Il courait au milieu d'une forêt verdoyante avant d'arriver dans une carrière entourée d'immenses pierres gravées de sept traits verticaux. Sur l'herbe roussie par des flammes qui émergées de la terre, des corps d'enfants s'entassaient dans une mare de sang. Au sommet de cette montagne de cadavres, trônait le jeune fils du paysan. Ce dernier brandit une baguette en direction de Salazar et le propulsa contre un arbre. Le jeune sorcier vit son visage se transformer en celui d'un vieil homme. Il hurlait de douleur.

Ce fut cet hurlement qui réveilla le sorcier. La sueur collait son maigre vêtement à sa peau. Sa respiration était saccadée. Il avait faim et soif. Le jeune garçon enroula Glam autour de ses épaules et sortit du trou dans lequel il s'était terré. L'air frais du matin lui gifla le visage, le soleil naissant éclairait la terre dévastée autour de lui. Salazar avait dormi sous un jardin qui avait dû être luxurieux il y a longtemps. Des plants de roses fanés gisaient aux quatre coins du terrain et encerclaient des touffes d'herbes calcinées. Les pas du jeune garçon soulevaient la poussière dans leurs sillages. Derrière, se dressait un château en ruine qui résistait, malgré tout, aux affres des intempéries. La jeune fille de cette nuit avait sûrement disparue à l'intérieur.

Poussé par la faim et la curiosité, Salazar y pénétra.

La bâtisse reposait en un équilibre incertain sur des murs en granit fissurés par l'usure du temps. L'intérieur n'était guère mieux. Des statues effritées décoraient les couloirs sombres. Salazar se déplaçait dans la pénombre, tandis que Glam se mouvait sur le sol composé de pierres glaciales. Du lierre poussait à travers les fenêtres et les meurtrières pour se perdre dans les lézardes du plafond.

Le château semblait vide, épuré, dénué de toutes émotions après avoir traversé des temps de guerres immémoriaux que Salazar n'a jamais connu.

Dans ce silence assourdissant, le jeune sorcier entendit une voix douce et légère chantonner des mélodies grivoises. Il suivit cette mélopée enivrante. Elle était son unique guide dans les galeries tortueuses de ce château solitaire dans les terres isolées.

Il se retrouva dans la bibliothèque. Une petite salle composée d'étagères poussiéreuses et de fauteuils renversés. Les livres étaient les seuls éléments du mobilier parfaitement entretenus. Une longue table servait de socle pour les ouvrages rangés par ordre alphabétique, époussetés et soigneusement empilés.

La jeune fille aperçue durant la nuit était élégamment allongée sur un vieux sofa disposé dans un coin. Ses cheveux détachés gisaient sur l'une de ses épaules et dévalaient les manches de sa robe pour négligemment caresser sa hanche. Sa concentration se focalisait entièrement sur un épais volume couvert de velours noir. Ses fins sourcils s'arquaient face à une page jaunie qui semblait la rendre perplexe.

Salazar s'approcha doucement de cette étrange apparition. Il tendit la main et l'agita devant les yeux de la jeune fille. Cette dernière sursauta, empoigna le garçon à la gorge et le menaça d'un poignard sorti d'une de ses poches.

« - Qui êtes vous ? Que voulez vous ? »

Les lèvres de Salazar tremblèrent devant le regard perçant de la jeune fille. Il respira faiblement avant de répondre.

« - Je suis Salazar Serpentard, un sorcier venu de la forêt. Vous nous appelez vulgairement des « druides ».

- Vous êtes un druide ?! Il paraît que vous avez des pouvoirs incroyables comme commander aux animaux ou encore lire dans les pensées. » S'exclama la jeune fille.

Malgré sa posture intimidante, elle ne put dissimuler le ton extatique qui perçait dans sa voix. Sa bouche se tordit comme pour refréner un flot de questions intarissable. Salazar hocha vivement la tête dans un faible sourire.

« - Oui, mon animal de prédilection est le serpent. »

Le jeune garçon leva les mains pour la rassurer sur ses intentions puis désigna son compagnon qui s'éleva du mieux qu'il put.

« - Je vous présente Glam Dicinn. Glam pour les intimes. »

Rowena relâcha le sorcier et tendit la paume vers le serpent qui posa respectueusement sa tête contre le bout de ses doigts.

Lorsque le reptile se retira, il susurra.

« - C'est une grande dame. Fais preuve d'un peu plus de déférence. »

Salazar se pencha maladroitement et frôla ses lèvres contre la main que tendait toujours la jeune fille.

Ce contact fut la porte ouverte à des images qui transpercèrent son esprit avec une violence aiguë.

Des champs brûlés. Des cris. Sa vue se brouillait sous la fumée. Un brouillard toxique émergeait de partout. Des éclaboussures de sang tachèrent les pans de sa robe, mais il n'avait pas le temps d'y prêter attention. Il devait courir. Il ne savait pas ce qu'il fuyait mais il avait peur. Il était terrifié et sanglotait en plaquant une main sur sa bouche pour dissimuler ses gémissement pathétiques. Un homme aux yeux clairs se pencha vers lui pour l'enlacer sous un toit en flamme. Des soldats défoncèrent la porte et tirèrent leurs épées. L'homme créa un barrage de son corps entre lui et les assaillants. Cet acte marqua son arrêt de mort. Les lames le transpercèrent, l'homme hurla. Le corps de Salazar réagit sans son consentement. Il étendit le bras vers les soldats, la terre trembla, le toit s'effondra sur eux. Le jeune sorcier ferma les yeux pour ne pas en voir davantage.

Il sentit des mains lui caresser les épaules. Des larmes coulaient sur ses joues. Il respirait difficilement. Lorsqu'il souleva les paupières, le visage de la jeune fille était penché sur lui. Ses sourcils se rejoignaient en une expression de profonde inquiétude. Son teint de perle avait blêmi. Salazar s'aperçut qu'il gisait au sol. Il se releva lentement et prit Glam dans ses bras. La jeune fille lui sécha les yeux dans un geste purement maternel.

« - Que vous ai-t-il arrivé ? » Demanda elle.

Salazar déglutit puis avoua :

« - Comme vous le savez, nous avons le don de Legilimancie. Vulgairement, la capacité de lire dans les esprits. Malheureusement, je ne suis pas formé et j'ai du mal à contrôler ce don. Je l'utilise sans m'en rendre compte et j'ai tendance à perdre la notion de la réalité. J'ai dû mal à différencier mes pensées de celles de l'autre. »

Salazar serra Glam davantage. Il se sentait vulnérable de reconnaître ses faiblesses à une inconnue. Il leva de grands yeux réticents vers elle.

« - Vous avez vu l'un de mes souvenirs. » Comprit la jeune fille.

« - Et pas le plus joyeux. »

L'inconnue hocha la tête et se releva. Elle se dirigea vers l'une des fenêtres pour dissimuler l'expression de son visage.

« - Ce château a vécu beaucoup de tragédies. J'ai perdu mon père dans cette salle. J'y pense à chaque fois que je lis dans cette pièce. Autant dire tous les jours. Nous étions une famille de sorciers. Cela ne dérangeait pas nos sujets, mais les pays voisins si. Ils nous ont envahi puis exterminé mon peuple. »

Sa voix s'étrangla et un sanglot silencieux fit trembler ses épaules. Salazar s'approcha. Il plaça une main entre ses omoplates, par dessus sa robe. Le jeune garçon n'osait pas faire un contact plus intime. Il souffla :

« - Ma famille a été tuée elle aussi. »

Il ne put rien ajouter de plus.

Il se souvenait de ses propres parents qui s'étaient exilés dans la partie la plus sombre de la forêt, après avoir caché les trésors familiaux sous un arbre. Des paysans les avait retrouvé. Au lieu d'épées, c'était de fourches dont ces abominables créatures s'étaient servies pour leurs ôter la vie. Les corps avaient été pendus dans une clairière durant des mois. La corde était si haute que le petit garçon qu'il était alors ne pouvait pas défaire les liens. Il avait observé, tous les jours, les dépouilles de ses parents se balancer au grès du vent. Salazar s'était assis face à eux, dans l'espoir que le cordage pourrisse et rompe pour accorder à sa famille un enterrement décent. Une nuit, les cadavres décharnés de ses parents s'étaient effondrés sur l'herbe empuantie par leurs sangs. Salazar les avait enterré puis s'était réfugié dans le marais. Il avait tellement souffert durant ces mois que les mots se bloquaient dans sa gorge et ne ressortaient qu'à travers ses yeux.

Les deux jeunes gens restèrent ainsi longtemps. Le soleil était maintenant à son zénith. La jeune fille s'essuya le visage avec un mouchoir en tissu puis reprit la parole.

« - Je me nomme Rowena Serdaigle. Tu dois avoir faim et froid. Je vais m'occuper de toi à présent. »

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