Les Flocons du Bonheur - 1ere partie

« J'y crois pas, comment on a pu me mettre en binôme avec un fainéant comme toi ? Aide moi au moins à accrocher cette fichue banderole s'il te plaît ! »

En équilibre sur la troisième marche du petit escabeau, je me faisais violence pour ne pas péter les plombs face au manque surréaliste de motivation de mon collègue de bureau. Du plus loin que je pouvais m'en souvenir, Franck n'avait jamais été un acharné du travail. Il était le genre de personne à être très bon dans son job, sans pour autant s'embêter à accomplir plus de boulot que ce qu'il lui avait été demandé de faire. À l'inverse, je détestais rester sans bouger, alors le voir là, assis à son bureau les pieds sur la table, à me regarder me débattre avec cette bannière, me rendait folle.

« Tu accordes bien d'importance à l'organisation de cette fête, Claire. Une guirlande par-ci par-là, quelques chocolats de Noël et voilà. »

Je levais les yeux au ciel. Lorsque le patron nous avait demandé en salle de réunion si nous étions volontaires pour organiser cette petite fête d'entreprise, je l'avais été sans hésitation. J'étais tout excitée à l'idée de me mettre au travail et avait des idées plein la tête, jusqu'à ce que je vois arriver mon binôme. Ça n'avait jamais très bien collé entre Franck et moi. Nous étions un peu trop différents. D'ailleurs, je me demandais encore pourquoi il avait choisi de participer lui aussi.

« Tu comprends rien, laisse tomber.

— Explique moi, tu as l'air de vouloir en dire plus.

Excédée, je me retournais vers lui les sourcils froncés.

— Si on veut un bel esprit de Noël il nous faut une belle décoration, sinon ça sert à rien. Si tu veux pas m'aider peux-tu au moins t'occuper d'aller chercher les boissons ainsi que les amuse-gueules ? »

Sans attendre de réponse de sa part, je faisais de nouveau face à la ficelle que je tenais dans la main gauche et tentais de vérifier tant bien que mal si la guirlande était droite avant d'enfoncer une punaise dans le mur pour l'accrocher. Je faillis perdre l'équilibre et chuter une paire de fois. Fatiguée et énervée, je retenais l'envie de tout jeter au sol et de rentrer chez moi en laissant mon collègue en plan.

« Cinq centimètres plus haut et trois sur ta droite. Voilà, parfait. »

Je lançais un regard perplexe à Franck et le remerciais vaguement. M'installant debout à ses côtés quelques mètres plus loin, je vérifiais tout de même si cette banderole était bien accrochée. Voilà une bonne chose de faite.

« À quelle heure ça commence, ce soir ?

— Dix-huit heures trente. T'as rien suivi à la réunion ou quoi ?»

Le sourire coupable de mon collègue faisait office de réponse. Retenant un soupir d'exaspération, je regardais l'heure qu'affichaient les aiguilles sur ma montre et continuais :

« Il ne nous reste donc que deux petites heures pour tout faire. Je te laisse aller au magasin pour tout acheter pendant que je m'occupe du reste des décorations.

— À vos ordres, chef. »

**

Replaçant une mèche rebelle derrière mon oreille après avoir installé la dernière guirlande lumineuse, j'allais dans le hall d'entrée afin d'éteindre les lumières de la salle. Désormais, la pièce était plongée dans une semie obscurité. Je contemplais le résultat de ces longues minutes d'efforts : la magie de Noël pouvait se faire ressentir dans chaque petit recoin de cette pièce. Enfin presque... Mon regard examinait de long en large le lieu, le vide de la table de buffet me frappa de plein fouet. Cela faisait maintenant quarante-cinq bonnes minutes que Franck était parti acheter le reste de l'apéritif. Pourquoi n'était-il toujours pas revenu ?

« Bon sang... »

Collant mon téléphone portable à mon oreille, j'attendais impatiemment d'entendre sa voix à l'autre bout du fil. Tapotant sans cesse du pied sur le sol, le stress monta d'un cran lorsque je l'entendis finalement me dire :

« C'est bon Claire, je bois un coup au bar au bout de la rue, je vais-

— As-tu acheté ce qu'il nous fallait ?

— Oui t'en fais pas, je-

— Alors pourquoi tu n'es pas là ? On a plus qu'une heure et quart avant que tout le monde ne débarque !

Le long soupir de lassitude de mon collègue me traversa les tympans comme une pique.

—Une heure et quart c'est long. Mais si tu y tiens tant, tu n'as qu'à venir les récupérer ici. Moi je reste pour terminer mon verre, et puis l'ambiance est bonne. »

Je raccrochai sans dire un mot de plus. Enfouissant mon téléphone dans la poche arrière de mon jean, je me dirigeai vers le porte-manteau et enfilai en vitesse ma veste et mon écharpe. Les décorations de Noël resteraient seules pendant quelques minutes, seulement le temps que je fasse l'aller-retour au bar. Une fois en dehors du bâtiment, l'indifférence de Franck au sujet de cette fête me rendait nerveuse et tendue, au point que je ne m'esclaffai même pas lorsque de petits flocons de neige me tombaient dans les cheveux.

Les rues pavées étaient, fort heureusement, illuminées grâce aux nombreux réverbères qui longeaient la route. Le bar dont avait parlé Franck n'était qu'à quelques minutes à pied du bureau. Pendant que je faisais de la marche rapide – autant pour lutter contre le froid que pour gagner du temps – les douces mélodies hivernales qui passaient dans les haut-parleurs des magasins venaient titiller mes oreilles. Mariah Carey et Tino Rossi me faisaient un concert gratuit, à moi et aux quelques autres passants de la rue, ce qui avait miraculeusement eu le don de calmer mes nerfs.

Un brouhaha indistinct me parvint aux oreilles lorsque j'arrivais près du bistrot. Plus je me rapprochai, et plus je pouvais distinguer les voix et les rires de plusieurs personnes, ajoutées au son très net de Last Christmas.

Resserrant mon manteau autour de mon corps, je poussais la porte du pub et y fit mes premiers pas. L'intérieur était magnifique. Nous nous serions presque crus dans l'un de ses films de Noël que l'on pouvait voir chaque année à la TV. Une odeur de pain d'épice et de cannelle s'harmonisait à la perfection à la décoration totalement laponne du lieu. J'avais l'impression d'arriver dans un autre monde. De nombreuses personnes étaient installées aux tables et au comptoir et buvaient du vin chaud.

En laissant filer mon regard dans la salle, mes yeux croisèrent ceux noisettes de Franck. Fronçant légèrement les sourcils, je levais mon poignet vers lui pour lui désigner ma montre, signe que nous allions manquer de temps si nous ne nous dépêchions pas. Son air détaché ne fit qu'accentuer ma nervosité.

Je décidai de m'avancer jusqu'à sa table. Il était là, assis sur sa chaise en bois, à siroter ce qui semblait être une bonne tasse de vin chaud. Je tendais la main dans sa direction, la paume tournée vers le ciel :

« Les achats, s'il te plaît.

— C'est bon Claire, on a le temps. Assieds-toi avec moi, commande un truc à boire et dans trente minutes on repart pour terminer de tout préparer, ça te va ? Il nous restera quarante-cinq minutes pour tout faire.

— Je suis désolée, mais c'est non. On n'aura pas le temps de se préparer si on reste ici plus longtemps.

— Tu as pris des affaires de rechanges ?

Je le regardais, un sourcil arqué.

— Ne me dis pas que tu comptes passer la soirée spécial Noël en tenue de travail ?

— Et bien, c'était ce qui était prévu, si.

Voyant mon air déconfit, Franck se racla la gorge et continua.

— Bon écoute, faisons un deal. Tu t'assois avec moi ici, on boit un coup, on repart dans, allez, disons vingt minutes, et on aura presque encore une heure pour finir de tout faire et pour que tu puisses te préparer. Qu'en dis-tu ?

Je regardais sa main tendue longuement, perplexe. Finalement, je finis par la lui serrer.

— Deal. »

J'ignorais son sourire de bêta et m'assis sur la banquette, à quelques centimètres de lui. Une serveuse vint vers moi et me prit ma commande – un bon et généreux chocolat chaud. Je me délestais de mon écharpe et de mon manteau puis posait les coudes sur la table, me servant de mes mains comme appui pour ma tête.

Petit à petit, les chants de Noël infiltraient mon esprit et venaient prendre possession de ma jambe gauche, qui sautillait en rythme avec la musique. Les gens autour de moi dansaient, riaient aux éclats et semblaient tous émerveillés par les discussions qu'ils pouvaient avoir. La chaleur ambiante de la salle et celle de ma tasse de chocolat remplissaient mon cœur de joie. J'étais en adoration pour ce genre d'ambiance festive. Toute la tension ressentie plus tôt dans la journée avait disparue comme par magie.

Je sentis l'homme à mes côtés se tourner vers moi.

« Bah alors, contente d'être là ?

— Je ne vois pas ce qui te fait dire ça.

— Oh rien, simplement le grand sourire sur ton visage. Je l'avais pas vu de la journée, d'ailleurs, je crois n'en avoir jamais vu un seul.

Je levais les yeux au ciel.

— N'importe quoi. Je suis de nature joviale, je souris très souvent.

— Il faudra que tu m'explique pourquoi tu ne m'as jamais souris dans ce cas.

— Pourquoi est-ce que je devrais te faire des sourires ? Tu ne m'apprécies même pas.

— Je ne t'ai jamais dit ça. Les seules personnes que je n'apprécie pas sont celles qui m'ont fait du tort, or ce n'est pas ton cas.

Je me tournais vers lui et plantais mes yeux bruns dans les siens.

— Tu sembles te moquer continuellement de moi. De plus, je ne peux pas t'adresser la parole sans que tu n'aies ce petit sourire sur ton visage qui m'énerve tant !

— Je ne me moque pas de toi, mais de la manie que tu as à ne jamais te poser et souffler. De plus, si ce petit sourire, comme tu dis, semble t'être si négatif, c'est simplement parce que tu semble avoir l'habitude de travailler dans la tension et la nervosité, alors que je suis plutôt du genre à ne pas me stresser pour rien.

J'ouvris la bouche pour dire quelque chose, mais rien de vint. Je ne pouvais pas faire objection à ce qu'il disait sur ma façon de travailler, puisque c'était la vérité. Je soupirais en secouant la tête, l'intérieur de ma tasse de chocolat soudainement très intéressante. Un petit rire sortit d'entre mes lèvres alors que je pouvais encore distinguer l'un de ses fameux sourire sur le visage de Franck. Nos rires respectifs se mêlèrent aux autres bruits du bar.

Finalement, et contre toute attente, je me sentais bien.

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