Primevère | Obsessive
Primevère | Obsessive
Ce soir, la lune n'est pas très haute dans le ciel. Mais elle est vraiment belle, immense et d'un orange crépusculaire. Autour du gîte, un tapis de verdure sauvage a été délaissée. Jungkook énumère dans sa tête les charmes de ce logement pittoresque. C'était le choix de ses parents, de le louer pour les vacances d'été. Et il se dit que c'est surement la meilleure décision qu'ils aient pris de l'année.
Peut-être même de leur vie.
De la fenêtre couleur fumée, une lueur mordorée s'en échappe. La fenêtre est composée de plein de petits carreaux, entourés de branches frêles en métal rouillé. Juste là où les branches se rejoignent, une goutte de soudure a été déposée pour les renforcer. Il trouve ça jolie, une fenêtre d'automne en plein été. Il voudrait en extraire des rondelles et une paire de branches pour en faire des lunettes. Pas des lunettes pour se débarrasser du soleil. Non. Des lunettes pour voir le monde englouti dans du miel.
La nuit est juvénile. Ses parents doivent surement l'attendre pour manger. Mais Jungkook n'a pas envie de rentrer ni de manger. Il est trop absorbé par le tapis enneigé près du mur. Un tapis jonché de fleurs blanches. Epiphyllum oxypetalum. Une fleur vespérale dont les pétales et les sépales lui font penser à des ailes d'ange. Et ce soir il est le diable. Alors il choisit une fleur. Ou peut-être que c'est le contraire. Peu importe. Ils pactisent et le diable la sépare de ses racines. C'est le sacrifice contre la vie éternelle.
Jungkook se dit qu'il doit avoir l'air d'un fou. Mais il en a carrément rien à carrer. Il a juste envie d'être sentencieux. Et il a envie de fumer. Mais surtout, il ne veut pas oublier. Cet arbre énigmatique et cette étrange journée.
C'est cette fleur qui va s'en charger.
Jungkook n'a pas très faim. La nourriture n'est que brimborion ce soir. Il traverse la porte en bois. Il n'y a pas de couloir, l'entrée mène directement au petit salon chaleureux. Dans le salon, son père regarde la télévision, avec son éternel ordinateur sur les genoux. C'est la seule chose que son père sait faire en même temps. Jungkook le salue et son père lui répond par un enchainement de reproches.
- "Tu as passé toute la journée dehors.
- Tu as vue quelle heure il est?
- Tu ne sais pas sortir de ta bulle et passer un peu de temps avec la famille?
- Tu ne viens que pour manger.
- Parasite."
Jungkook se demande pourquoi, du jour au lendemain, son père a échangé son âme contre celle d'un robot. Il se dit aussi qu'il n'a vraiment pas faim ce soir.
Dans la cuisine, la vieille hotte est allumée. Ça fait un bruit à rendre sourd. Sa mère prépare quelque chose avec un peu de viande. Et pleins de légumes colorés. Une ratatouille. Ou un truc dans le genre. Ça lui donnerait presque faim. Jungkook lui offre un baiser sur la joue, inhalant son parfum sucré et maternel. Elle brandit le couteau en l'air. Sa bouche fait un <ô> et son autre main est posée sur son cœur. Dans la tête de Jungkook, ses mouvements sont beaucoup plus théâtrales, alors il rit. Elle lui demande comment était sa journée, une question routinière qui n'a jamais été résolue, mais qu'elle ne peut s'empêcher de poser. Jungkook remercie la hotte et s'en va.
Sa mère cuisine. Son père regarde la télévision. Il déteste ça Jungkook. Ce cliché. Alors il part le plus vite possible, pour ne pas s'énerver. Il court dans sa tête. Il court dans la réalité. Dans les escaliers en bois qui crient et craquent. Il débarque dans une chambre et s'avance vers le lit. En dessous d'un coussin blanc se trouve un carnet vert. Son carnet plein de vers. Il choisit une page au hasard mais précise et y dépose sa fleur. Il referme le livre, espère que la fleur va bien sécher et le pose à sa place initiale.
Jungkook est assis sur le bord de la fenêtre. La tête contre le mur, une jambe repliée contre son torse et l'autre qui pend dans le vide. C'est vraiment très haut. Il aime ça Jungkook. La hauteur. Les sensations fortes. L'adrénaline. Le vent se lève, embrasse sa peau et caresse ses cheveux. Il se promène à l'intérieur des manches de son t-shirt et le tissue ondule comme un drapeau. C'est un drapeau blanc. Un voile de nuages déferle sur l'océan le plus vaste de la Terre. La lune est un peu plus haut dans le ciel et les nuages la phagocytent progressivement, soifs de jalousie. Et il trouve ça fascinant, la lune qui ne laisse pas sa clarté s'éteindre. Mais son immobilité est désavantageux. Elle se bat jusqu'à ce que le voile devienne un gros pavé. Ce soir, les nuages ont gagné. Mais la lune a été la plus courageuse.
Jungkook quitte le vent, les nuages et sa fenêtre. Il s'allonge sur son dos, fatigué de la bataille de ses affabulations. Dans le lit. Dans une chambre qui n'est pas à lui. Mais il s'en fout. Parce qu'il a une grande fenêtre comme à la maison et qu'il peut parler aux astres durant la nuit, s'ils veulent bien de lui. Le garçon à la chevelure couleur miel. C'est ce dont il leur raconte. Il murmure son nom.
Taehyung.
Il ne sait pas pourquoi. C'est juste comme ça. Peut-être parce que c'est l'été. Et qu'il est tout seul dans ce coin perdu, avec des parents pas très passionnés. C'est peut-être à cause de la lune. Orange. Peut-être que c'est parce qu'il était vraiment très beau, ce garçon.
Le bras étendu, il s'empare de l'enceinte reposant sur la commode à côté du lit. Il réveille l'engin et le fait chanter. Les instruments passent à travers les petits trous. Une guitare. Il peut sentir les cordes sur le bout des doigts. Une voix chaude. Pop. Rock. Alternative. Jazz. Tout se mélange. Tout s'étale. Jungkook fixe le plafond et plane. Les notes parcourent sa peau, pénètrent ses veines et imbibent son cœur.
Il fait chaud.
Les yeux fermés, une main à plat sur la couette, une autre sur un ventre au teint de porcelaine qu'il caresse du bout des doigts. Il les laisse glisser un peu plus bas, sous son caleçon noir. Premier frisson. Elle est un peu froide, sa main. Son bassin se soulève. Se rabaisse. De drôles de murmures s'échappent de ses lèvres qu'il ne peut retenir. Il fait drôlement chaud. Son corps est parcouru de tremblements. Des frissons. Vibrations.
Il n'entend plus que sa respiration. Sa cage thoracique est mouvementée. Son corps réagit comme quand il se tape un sprint. Sa respiration prend peu à peu un rythme normal. Et c'est la première fois, que Jungkook se touche comme ça. Il ne sait pas pourquoi. Peut-être par curiosité. Peut-être par envie. Après tout, c'est ce que tous les garçons de son âge et même plus jeunes font. Mais pas Jungkook. Lui, c'est la première fois.
Et il comprend vraiment pas.
Peinture de Ivan Aivazovsky
- Primevère -
Fleur de la jeunesse, de l'amour naissant et de l'innocence des premiers désirs.
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