L'un mourut une fois, l'autre meurt à chaque fois
Ce pauvre frère, ce pauvre père

L'un subit de sa main, l'autre plus rien ne l'atteint
Ce pauvre fils, ce pauvre père

Parce que la mort avait faim

Jungkook manqua de tomber. D'un bruit sourd qui fit écho dans toute la pièce du gîte. Abruptement, Il s'était affaissé contre les murs en pierres du salon. Telle la main de son père contre sa joue.

Mais il n'est pas aussi sidéré que vous.

Le visage ayant dévié sur le côté, son regard s'était posé sur la table ronde en carreau, puis sur le verre rempli de fleurs. La torture esthétique. L'eau avait disparu. Il ne restait plus qu'un fond trouble d'une couleur putride. L'odeur qu'il s'imaginait de là où il était sentait la mort. Et les fleurs étaient plus misérables que jamais. Délaissé et personne pour les pleurer. Décor de leur propre tombe.

Qu'il trouvait ça théâtral, Jungkook. Il pourrait trouver ça divertissant, s'il n'était pas le personnage principal. Ce n'est pas drôle. Vraiment. Mais il joue quand même son rôle. Histoire de rester professionnel. Ou un truc dans le genre. Alors il se redresse du mur, les traits impassibles tout en sortant une cigarette de sa poche qu'il alluma d'un geste habile à laide d'un briquet sorti de nulle part.

Qu'importe d'où il vient. Le briquet. Il n'est même pas important. Mais ça aurait été classe quand même. Il aurait bien voulu la mettre à l'œuvre, cette scène improvisée. Quel dommage que le metteur en scène ne voyait pas cela de la sorte. Un acteur devrait avoir la liberté d'improviser. Les meilleures scènes sont d'ailleurs des scènes improvisées, à ce qu'on raconte. Mais il n'a même plus de cigarettes. Et Jungkook se dit que c'est vraiment le pire rôle qu'il n'ait jamais reçu.

Trop tard.

Sa joue brûle. Ses oreilles sifflent. Et une goutte de sang glisse de sa lèvre inférieure à son menton.

Elle était terrible. La gifle. Et lourde. Une gifle lourde de sens. Elle portait sans doute une certaine frustration collectionnée depuis quelque temps, si ce n'était depuis quelques années. Parce qu'il se trouve que parfois, le père de Jungkook devenait agressif. Juste comme ça. Et contrairement à ce que l'on pourrait croire, il n'était pas alcoolique. C'est juste qu'il y a ce cycle. Ce foutu cycle auquel règne pendant quelques jours - parfois des semaines, parfois des mois - un calme anxieux. Une bombe à retardement déguisée d'un voile de paix. Un pseudo calme temporaire. S'ensuit l'explosion, bien évidemment.

Cette fois-ci, s'était parce qu'il s'était inquiété pour lui. Et puis c'était juste l'occasion. Si ce n'était pas pour ça, ça aurait été pour autre chose. C'est sûr. N'importe quel prétexte aurait été bon pour se défouler.

- "La prochaine fois que tu t'en vas comme ça, je t'en ferai voir de toutes les couleurs. Tu verras."

Un son s'échappa de la gorge du brun. C'était presque un rire. Presque. Mais il ne prit le risque de le rendre réel. Il ne veut pas avoir l'air plus fou qu'il ne l'était déjà.

De toutes les couleurs. Quelle effroyable menace!

C'est que son père lui en avait déjà fait voir. Toutes les couleurs. Même qu'elles n'étaient pas belles. Mais il s'était habitué à leur laideur. Alors il s'en fout.

Était-ce possible? Les couleurs pouvaient elles être laides? Peut-être qu'une vie sans couleurs aurait été meilleure. On n'aurait pas à s'en soucier, des couleurs. Qui se plaint de ce qui n'existe pas? On ne peut pas, puisqu'on ne connaît pas.

Jungkook se dit qu'il déraille. Peut-être n'est-il pas aussi si stable qu'il le pensait. En fait, il n'y a jamais pensé. Peut-être qu'il est comme son père. Il n'est pas très stable son père. Ça, il y a déjà pensé.

C'est fort dommage. Il fut un temps où ils étaient vraiment proches, son père et lui. Et même tellement proches qu'il se rappelle très peu de sa mère. Juste quelques petits bribes de souvenirs. Comme le jour où il s'était fait mal avec la branche et qu'elle s'était fâchée.

Justement. Où est-ce qu'elle était, sa mère? Elle n'était jamais là quand il le fallait, sa mère. De toute façon, ce n'est pas comme si ça aurait changé quelque chose. À quoi bon. Ce n'était pas de sa faute à elle. Non. Il refuse d'y croire. Malgré l'affection maternelle dont il fut privé étant plus jeune, elle était à présent la personne qui l'aimait et qu'il aimait le plus au monde.

C'est pitoyable.

Après avoir essuyé le trait de sang d'un coup de manche - tout en gardant un air impénétrable - le brun s'en alla dans sa chambre. Non sans lancer un bref et dernier regard de haine vers l'endroit où son père se tenait pendant l'interaction. D'ailleurs, il ne l'avait même pas vu partir. Le brun était resté sur place, le regard absent. Mais il pouvait encore voir les ombres noirs de son passage sur le sol et le poids de sa présence dans l'air.

Son père, il aurait voulu le détester. Vraiment. Mais il ne peut pas. Ce n'est pas de sa faute. Il le sait. Alors Jungkook craque. Juste là, le dos contre la porte de sa chambre après l'avoir refermé. De toute façon, il n'en peut plus. Il risque d'étouffer. Au sens propre du terme. Alors il pleure, pour éviter de perdre le contrôle comme avant. Il s'effondre et pleure.

Tout ça, c'est de sa faute à lui. Oui. C'était la faute à l'Univers. Ce foutu Univers. C'est toujours de sa faute.

Connard.

- Hélénie -

Symbolise les larmes, le chagrin.