Enchainée au passé


Deux enfants de six ans ne sont pas faits pour survivre seuls dans un monde hostile. La faim aurait dû avoir raison d'eux. Seulement, le destin, dans un accès de cruauté, en décida autrement. Un homme vêtu de haillons, dont la barbe dévorait le visage et les ongles jaunâtres et longs comme des griffes les trouva, effondrés au bord de la route, entre la vie et la mort. Il décida de les recueillir chez lui. Ainsi commença une nouvelle vie pour le frère et la soeur, dans la misère et la saleté. Leur esprit fragile failli céder plusieurs fois, et au fil du temps, l'homme sortait le fouet, les traitants comme des animaux, et au bout de quelques mois, comme des esclaves. Leur corps frêles supportait chaque jour le claquement mortel de la corde, leur dos fut bientôt recouvert de traces rougeâtres. Des traces indélébiles, symbolisant à jamais la cruauté sans limite de certains.

* * *

Un hurlement déchirant retentit, et Imae se réveilla en sursaut, en sueur. Elle tremblait, et repensait au cauchemar dont elle venait de s'extirper. Ce cri... Elle avait reconnu la voix d'enfant de son frère. Son esprit se dérobait de sa conscience, pour venir s'enfoncer dans les profondeurs obscures de ses plus anciens et tristes souvenirs. Elle sentit les larmes lui monter aux yeux.

Non, ce n'est pas le moment...

Mais pourquoi pas... après tout, laisser libre cours à sa tristesse lui avait toujours fait du bien...

L'image de ses parents apparu dans sa tête, souriant. mais leur expression de bonheur fut  remplacer par celle de la mort, les yeux vitreux, vide d'émotion, le visage blafard.

Non, non non... Je ne peux pas... me le permettre... Les fléaux...

Mais elle n'était pas obligée de résister... Elle ne pouvait pas rester forte tout le temps... Au milieu de la nuit, l'esprit est affaibli, et les sentiments s'expriment plus facilement. Elle n'avait pas envie de lutter.

Elle inspira profondément, lentement, plusieurs fois, pour se calmer et s'assit au bord de son lit. Elle se leva finalement, tituba jusqu'à la porte. Elle avait brisé ses barrières, et les larmes coulaient silencieusement sur ses joues. Une tristesse authentique, des regrets, de la mélancolie s'imposaient en elle, comme une maladie incurable. Elle se sentait mal, et renifla. 

Sans trop savoir pourquoi, elle ouvrit la porte et sortit dans le couloir. Il était encore très tôt, quatre heures du matin tout au plus, et seule la faible lueur blanchâtre de la lune venait éclairer le couloir sombre et silencieux. Elle fit un pas, et entendit vaguement une voix familière murmurer son nom :

- Imae ?

Elle avait fermé les yeux, pour cacher ces larmes qu'elle considérait comme une faiblesse, et détourna le visage. Elle s'essuya les joues d'un revers de manche, un geste inutile. Une nouvelle vague de larmes s'ajouta aux autres. Debout devant la porte de sa chambre, elle refusait de tourner le regard vers Satoru qui se tenait au milieu du couloir. Elle ne l'avait pas vu, juste reconnu sa voix. Elle ne voulait pas qu'il la voit dans cet état.

- Imae ? répéta-t-il, ça va ?

Elle entendit des pas se rapprocher d'elle, mais ne bougea pas. Les pas s'arrêtèrent, et elle se décida finalement à regarder Satoru, les yeux rouges et bouffis. Elle su qu'elle croisait son regard caché par le bandeau noir, et, presque machinalement, elle fit un pas vers lui et posa son front contre son épaule. 

- Et bien ? C'est peut-être indiscret de demander ce qu'il t'arrive, mais qu'est ce qu'il t'arrive ?

Une nouvelle fois, les plus douloureux de ses souvenirs rejaillit en Imae, et elle pleura de plus belle, serrant les dents pour ne pas gémir. À sa grande surprise, rapidement noyée dans la tristesse, elle sentit les mains de Satoru glisser contre son dos et se poser sur sa tête. Il la pressa un peu plus contre lui, et lui caressa les cheveux, presque avec tendresse.

- Alors ? dit-il avec douceur.

- Ma famille... Tuée par un fléau. Imeo et moi... on a été recueillis par...par... un...un homme. Il... Il... balbutia Imae d'une voix tremblante de sanglots. Elle ne s'était jamais ouverte à qui que ce soit, avant. Elle ouvrit la bouche, mais hésita. Elle ne savait pas si elle devait continuer, et baissa la tête tout contre Satoru.

- Il nous a traité comme des esclaves... et puis Imeo a été recueilli dans un orphelinat, et moi...moi... On pourrait aller ailleurs ? 

Ils descendirent et sortirent dans le jardin de l'école pour s'assoir dans la pelouse. Imae se sentait un peu mieux.

- Satoru... S'il te plait... ne me juge pas sur...sur la suite... (elle inspira profondément, et Satoru passa un bras autour de ses épaules, puis elle reprit d'une voix tremblante :) Il m'a...il m'a droguée et...et... (elle renifla) il a profité de moi... de mon corps. C'est de cette drogue que vient le bleu de mes yeux...

Elle se tut, le corps secoué de spasmes. Elle sentait une colère froide émaner de Satoru, et le regarda en s'essuyant les yeux.

- Je suis désolée de... t'avoir infligé mon histoire... je...

- L'homme qui vous a recueilli, ton frère et toi, qu'est ce qu'il est devenu ? la coupa Satoru.

- Ah ? Euh... Il est mort. Pourquoi ?

- Je me serai occupé de lui, sinon.

- Hein ? C'est à dire ? 

L'étonnement remplaçait peu à peu la tristesse d'Imae. Elle cessait de pleurer, et regardait Satoru.

- Je l'aurai tué, bien entendu.

Imae ne répondit rien. Le comportement de Satoru envers elle devenait de plus en plus étrange, et elle ne comprenait pas. De nouveau, elle repoussa cette pensée en se promettant d'y revenir plus tard, et sécha ses dernières larmes. Se confesser à quelqu'un lui avait fait du bien, elle avait l'impression que le faire à Satoru lui avait apporter plus que n'importe qui d'autre. 

- Bien sûr, tout ce que j'ai pu dire restera entre nous, hein ? dit-elle à voix basse, encore légèrement tremblante.

- Bien sûr que oui.

Il s'allongea sur l'herbe, et Imae se risqua à se coucher près de lui, sur le côté, enfouissant son visage dans le creux de son cou. Voyant qu'il ne réagissait pas, elle ferma les yeux, et se détendit. Comme à la gare, ce sentiment d'allégresse envahit son corps, chassant les dernières bribes de mélancolie, se répandant jusqu'au bout de ses membres. Il avait l'effet d'un baume que l'on appliquerait sur une plaie fraîche. Une autre sensation vint s'ajouter ; des papillons naissaient dans on ventre, et elle frissonna. Elle sentit le bras de Satoru passer autour de ses épaules, et la serrer contre lui. Elle se recroquevilla légèrement, et soupira. Oui, avec lui, elle se sentait plus que bien, à présent.


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