Chapitre premier

Chédigny, le 23 août 1956

Violette,
mes mots sont ternis par ma plume insipide. J'aime à penser qu'ils s'envoleront de mon papier froissé pour se mêler ardemment les uns aux autres... Ou bien s'entrelaceront-ils à mes pleurs dissipés ? Les yeux clos, enveloppée dans mon univers illusoire, je dessine des sourires à trop te penser...

Une brise traverse la pièce, soulève tendrement mes boucles brunes et les recoins du papier à lettres défraîchi, jauni par le temps. Je m'enivre du parfum de la menthe sauvage et des lilas, qui d'ici deux à trois décades se consumeront de fièvre. Fanés. Les derniers pétales de roses s'immiscent dans ma chambre en spirales éphémères, et se déposent sur mon parquet où miroite le soleil.

Aux belles lueurs d'un printemps passé, tu m'avais murmuré abhorrer la floraison... « Je ne crois pas aux miracles estivaux, Gabrielle. Si les fleurs ne se dévoilent que quelques semaines à l'année, c'est qu'elles jouent de leurs couleurs, nous mentent de leurs masques. Et quand plus personne ne se soucie d'elles, elles se confondent en désharmonie, la gorge et le ventre noués de ronces...» Marquant une pause, tu avais admiré les cieux qui nous surpassent continuellement. Tes iris ébènes s'étaient tintées d'orangé. Et d'un chuchotis presque invisible, tu avais soupiré...

« Les violettes sont des fleurs de l'hiver... » Cette saison givrée où les rafales glaciales t'ont emportée...

Pourquoi déchirer notre étreinte à l'aube d'une vie ? Nous aurions pu périr ensemble, sous l'avalanche des sentiments. Pourquoi recouvrais-tu l'arc-en-ciel de drapeaux en berne ? La fin d'un premier amour meurtrit à jamais le cœur des plus jeunes. Les rossignols ne chantaient plus, mon âme pleurait, se mêlait aux flocons perdus sur le sol et inondait les rues vides. Du même vide qui s'est déposé en mon être ce jour là et qui y réside depuis, tel un fidèle ami, à qui je confie au crépuscule mes sentiments inavoués...

Ces mêmes phrases fébriles que je t'adresse, ces délicats émois qui me traversent et qui incitent mon cœur encore futile à la tachycardie. J'aimerais saisir tes doigts et les poser ici même, tout contre ma peau, pour que tu le sentes toi aussi battre plus intensément qu'un orange en plein mois d'août. Et que tu m'effleures de tes mains délicates en quête d'un éternel frisson...

Mais je sais, Violette, que jamais plus je ne tiendrais dans mes bras pour célébrer l'infini. Je me remémore tes cheveux aux senteurs de la clémentine, à la douceur de l'abricot... Tu étais l'Éphémère, un chef d'œuvre estompé, une caresse rendue, un bourgeon fané avant même d'avoir pu éclore.

Les fleurs de septembre, tout comme les hirondelles, ont déjà commencé leur course dans les airs et migrent vers un ciel plus bleu. Les nuages s'y meuvent et mon cœur s'émeut... Te retrouverais-je toi aussi à l'été prochain, frapper tendrement à ma porte, un bouquet de coquelicot à la main, les pupilles dilatées par le soleil, ton sourire angélique comme le plus beau des bijoux...? Viendras tu jusqu'à ma nouvelle adresse poser sur mon âme un pansement ? J'ai grandi, j'ai muri. Mais les blessures de mes quinze ans ne disparaitront pas.

L'encrier s'étale le long de mon secrétaire instable, il se délite de mes révélations. Comme les sanglots bleutés qui chutent des cascades, comme sous la pluie de Novembre, devenue bleue d'amour, de désir puis de larmes... Mes espoirs déçus me rappellent à cette triste vérité ; je suis restée amoureuse de toi.

Puisses tu me revenir, ta Gabrielle.

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