Chapitre 9

   Ce n'est que lorsque mes poumons me  demandent de l'air que je comprends que j'ai cessé de respirer. Je prends une inspiration tremblante en reprenant la lettre de ma mère. J'observe le papier d'un œil critique. Si ça se trouve, c'est un mensonge. Mais pourquoi ferait-elle tout cela, dans ce cas-là ? Elle n'a aucun intérêt à ce que je retrouve mon père...

   Je me prends la tête entre les mains. Même si c'est un mensonge...je suis incapable de ne pas essayer de le retrouver. J'ai toujours voulu connaître mon père. Petite, je demandais toujours à ma mère où il était, et pourquoi il n'était plus là. Elle ne me répondait jamais. Puis tante Ophélia s'est mariée à Raphaël, et j'ai eu, pour la première fois de ma vie, une figure paternelle. Raphaël me suffisait. Il a toujours été adorable avec moi, il m'a toujours traitée comme sa fille. Aujourd'hui, en lisant la lettre de ma mère, je comprends que Raphaël ne me suffit plus.

   J'ai un père, quelque part dans ce monde. Quelqu'un qui partage mon sang. La partie manquante de ma famille. Celui que je n'ai jamais connu, mais que je veux connaître à tout prix.

   Je serre la lettre dans ma main, la froisse pendant quelques instants, la lisse, puis me relève. Il faut que je retourne en cours.

   J'attrape mon sac à dos, puis me dirige vers les toilettes pour me passer de l'eau sur le visage. En regardant le miroir, je constate que mes yeux sont cerclés de rouge. J'ai une peau très réactive. Quelques larmes, et mes yeux ressemblent à deux tomates. Heureusement, j'ai découvert un moyen assez efficace contre les yeux rougis il y a quelques années : se passer de l'eau froide dessus.

   Je me rafraîchis, et sèche mon visage en le tamponnant à l'aide des serviettes en papier mises à disposition pour s'essuyer les mains.

   Je balance mon sac sur mon épaule et pousse la porte des toilettes, quand j'entends une sonnerie stridente. Je regarde ma montre. Mince, j'ai été absente plus longtemps que je ne le pensais !

   Je me précipite vers ma salle de cours suivante, gardant les yeux baissés pour éviter de croiser des regards connus. Malheureusement, je sais que j'ai cours avec Camille et ses amis. Et ça me terrifie.

   J'entre dans la salle de classe et pousse un discret soupir de soulagement. Aucune personne du groupe n'est encore arrivée.

   — Bonjour, lancé-je rapidement au professeur, qui me salut d'un signe de tête.

   Puis je me dirige vers le fond de la salle. Je m'installe derrière une table, raclant les pieds de ma chaise sur le plancher en bois. Je me fais ensuite la plus petite possible tandis que les autres élèves entrent dans la salle, faisant mine de chercher un crayon dans ma trousse.

   Je regarde par-dessous ma frange l'identité des personnes, et me crispe lorsque j'aperçois Camille. Il entre en riant avec des camarades, avant de s'arrêter devant ma rangée. Il semble chercher quelque chose – ou quelqu'un – du regard, mais finit par se diriger vers des places au milieu de la salle.

   Mais il change brusquement de direction, et je me crispe en baissant aussitôt la tête. Il finit par s'installer...juste devant moi. Je me redresse, les sourcils froncés. Lorsque je le découvre qui m'observe avec son éternel sourire en coin, je détourne le regard, les dents serrées. Son expression est indéchiffrable. Je n'arrive jamais à lire en lui, c'est troublant. Que pense-t-il de moi, maintenant qu'il sait que je lui ai menti, alors qu'il m'a confié certains de ses secrets ?

   Camille finit par s'asseoir, et l'un de ses amis me rejoint. C'est Ludovic. Je parviens sans mal à déchiffrer sans expression. Et, à ma grande surprise, il ne semble pas m'en vouloir. Lorsqu'il remarque que je l'observe, il hausse simplement des épaules avant de s'asseoir sur sa chaise. J'en reste abasourdie, puis une douce chaleur se répand en moi. Merci, ai-je envie de dire à Ludovic. Merci de ne pas me juger aussi durement que les autres.

❄️❄️❄️

   Lorsque le cours se termine, j'hésite. Dois-je partir, où puis-je aller leur parler ? Je n'ose pas...

   Mais Camille décide pour moi en se retournant alors qu'il enfile son manteau et met son sac sur ses épaules.

   — Ça va ? me demande-t-il.

   J'acquiesce, incapable de répondre. Puis, d'une toute petite voix sui ne me ressemble pas, je lui demande :

   — Est-ce que tu m'en veux ?

   Comme Ludovic un peu plus tôt, il hausse négligemment des épaules avant de me sourire.

   — Bien sûr que non. Ta vie ne regarde que toi. Mais tu aurais pu me le dire, me faire un peu plus confiance.

   — Je suis désolée. Mais à mes yeux, ma mère est morte, elle n'existe plus à mes yeux.

   Camille me tend soudain une main.

   — Viens manger avec moi, je connais un endroit sympa, où on pourra être tranquilles.

   Sans hésiter, je me lève, rassemble mes affaires et attrape sa main. Il m'entraîne jusqu'à la sortie, et dans les couloirs. Nous ressemblons à un couple. Cette pensée me fait rougir, et je lâche aussitôt sa main.

   Camille me jette un regard, mais ne dit rien. Puis sa main se glisse à nouveau dans la mienne et cette fois, je ne la retire pas.

   Nous arrivons finalement dans un endroit sans élèves, et nous nous déchargeons de nos sacs à dos.

   Je sors ma boîte avec mon déjeuner et il fait de même.

   — Comment tu as su que j'avais à manger avec moi ?

   — Tu avais un deuxième sac dans le train, au retour. Un sac de froid, qui plus est. J'en ai conclus que tu avais ramené un peu à manger.

   — Ma tante m'a cuisiné plusieurs plats pour le midi. Et toi, c'est toi qui t'aies préparé à manger ?

   — Oui.

   Je reste bouche bée.

   — Tu sais faire la cuisine ?

   Il croque dans une tomate.

   — Oui pourquoi ?

   Je finis par me reprendre et ne cache pas mon sourire.

   — Pour rien. Je n'ai pas l'habitude de voir des garçons cuisiner.

   — Ton oncle ne cuisine pas ?

   Je réfléchis.

   — Le frère de ma mère ne cuisine pas trop, il laisse sa femme faire. Mais ma tante cuisine souvent avec mon oncle.

   Camille éclate de rire en piochant à nouveau une tomate dans sa boîte.

   — C'est compliqué, dans ta famille. Donc si j'ai bien compris, tu as deux oncles et deux tantes ?

   — Oui. Ma mère avait un frère et une sœur.

   — Avait ? relève Camille, les sourcils haussés de façon comique.

   — Ma mère ne fait plus vraiment partie de la famille. Je ne l'ai pas vue depuis plus de dix ans.

   — Ça commence à faire long ! commente Camille. Et tu voudrais la revoir ?

   — Pas du tout. Ce n'était pas une bonne mère. Elle était toxique. C'est pour ça et d'autres choses qu'elle est allée en prison.

   — Et tu ne m'en as pas parlé, alors que tu savais que ma mère aussi est en prison ?

   Je contemple mes mains, posées sur mes genoux.

   — C'est trop difficile de parler de ça. J'ai honte. Tu n'as pas honte, toi ?

   — Non, pas du tout. Ce n'est pas moi qui me suis rendu coupable d'un crime. C'est elle. Et je préfère qu'elle soit en prison, où je suis certain qu'elle ne fera plus de mal à personne.

   — Qu'est-ce qu'elle a fait ?

   Camille observe son plat un long moment, puis le repose pour me regarder dans les yeux.

   — Elle a tué quelqu'un.

À suivre...

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