Chapitre 4

   Nous roulons vers la maison de mon oncle Émilien, le frère d'Ophélia. C’est Raphaël qui conduit, bien que ma tante ait passé son permis de conduire juste après s’être mariée. Je crois qu’elle préfère que ce soit mon oncle qui conduise quand il y a des passagers. Elle a toujours peur de faire quelque chose de travers, de nous mettre en danger, même si nous lui répétons tous que si elle a eu son permis, c’est qu’elle est capable de le faire.

   Soudain, je me souviens de ce que je voulais leur annoncer, pendant que nous sommes seulement tous les trois. Je prends une grande inspiration avant de me lancer, nerveuse :

   — Est-ce que vous voudrez bien de moi, à Noël ?

   Ophélia se retourne vers moi à la vitesse de la lumière.

   — Tu vas venir nous voir ?

   J’acquiesce. Cette année, j’ai le choix. Comme toutes les autres années à venir. Et ça me fait tellement de bien de pouvoir me dire ça !

   — Bien sûr ! s’exclame ma tante, l’air joyeuse à l’idée de ma venue prochaine. Le plus gros des travaux sera terminé d’ici là. Tu comptes arriver quand ?

   Je me souviens de ma tante quand nous vivions encore avec ma mère dans le petit appartement. Elle était effacée, l’air mélancolique et triste. Elle parlait peu, et maintenant...une vraie bavarde ! Retrouver Raphaël lui a permis de s’ouvrir, d’être elle-même. Elle s’est trouvée un métier après avoir fait plusieurs années d’études, a eu d’autres enfants après Julia... Elle a retrouvé le goût de vivre, et ça me fait plaisir à voir, même si ça fait déjà longtemps...

   — Vers le tout début des vacances, je pense. Si je ne dérange pas ! ajouté-je précipitamment en m’arrachant une peau sur ma paume de main.

   — Pas du tout ! Nous serons plus que ravis de t’accueillir chez nous !

   — C’est sûr ! confirme Raphaël d’une voix douce.

   Je leur souris dans le rétroviseur.

   — Merci.

   — Émilien serait ravi si tu venais chez lui, mais c’est comme tu préfères, ajoute ma tante. Je dis ça si jamais tu préférerais voir ton frère tous les jours, bien sûr, ajoute-t-elle aussitôt, de peur que je change d’avis pour ne pas les déranger.

   Le visage d’Ophélia s’assombrit en parlant de mon frère. Je sens qu’elle repense à sa dernière conversation avec Diego, où il a dû la repousser sèchement, alors qu’il l’adore. Ce doit être difficile à accepter, parce que je sais qu’elle l’aime énormément...

   — Je...je préfère aller chez vous.

   — Parfait !

   Raphaël augmente le volume de la radio, et Ophélia lui lance un regard amoureux avant de se mettre à chanter au rythme de la musique. C’est la première fois que je l’entends chanter, et je trouve qu’elle a une très belle voix. Raphaël me jette un coup d’œil amusé.

   — Daphné a commencé des cours de chant cette année, donc tu imagines...

   Oh oui ! J’imagine très bien. Je suis contente que Daphné se soit trouvée une passion, parce que l’école n’est pas simple pour elle à cause de sa dyslexie. Je ne suis pas étonnée, car elle est née dans une famille de musiciens ! Mon oncle joue du piano à la perfection, et ma tante a repris le violon il y a plusieurs années. Et Julia a hérité du talent de son père pour le piano, c’est indéniable. C’est également l’une des raisons pour laquelle j’aime tellement loger chez eux. Les soirées sont toujours animées, pleines de musique et de rires. C’est agréable, chaleureux. Avec eux, je me sens bien.

   — Ç’a réveillé la passion de ta tante pour le chant, glousse Raphaël tandis qu’Ophélia lui jette un regard noir.

   — Sinon, Stella, reprend Ophélia en baissant le volume de la radio. Ça se passe bien, à l’école ?

   — Très bien, la rassuré-je.

   J’ai soudain envie de pleurer. J’ai l’impression de faire partie de leur famille, d’être leur fille, car ils me traitent comme telle. Pourtant, je sais que je ne suis pas facile à vivre, et que j’ai été méchante avec Diego, Julia et Ophélia, plus jeune. Ophélia m’a dit qu’elle ne m’en voulait pas, mais je n’en ai jamais reparlé avec mon frère ou Julia. Et je sens qu’il va bientôt falloir remettre le sujet sur le tapis, parce que je n’arriverais pas à me demander encore très longtemps s’ils m’en veulent. Je préfère régler cette histoire au plus vite, mais je ne sais pas comment aborder le sujet.

   Je regarde à travers la vitre la paysage défiler sous mes yeux. Je me suis beaucoup rapprochée de Julia, ces dernières années. Mais nous nous sommes éloignées l’une de l’autre l’année dernière. Parce que je n’ai pas été très présente, parce qu’elle et moi avons grandi... Il y a beaucoup de raisons. J’espère vraiment que passer Noël avec eux nous permettra de renouer des liens. Je sais que je ne suis pas revenue depuis longtemps, et je m’en veux. J’ai hâte de la revoir, en tous cas.

   — Ils sont déjà tous là-bas ?

   — Léonor est à son cours de danse et Victor est au volley. Mais Julia et Daphné sont déjà chez mon frère, on les a déposées avant de venir te chercher à la gare, me répond Ophélia avec un doux sourire.

   Il y a toujours une lueur dans son regard, quand elle parle de ses enfants. Je sais qu’ils sont très importants pour elle. Je hoche la tête.

   — Léo, Daphné et Victor étaient au courant, pour la maladie d’Amelia ?

   Ophélia échange un regard surpris avec Raphaël.

   — Tu lui as dit ?

   — Elle a le droit de savoir, je crois. Et oui, nos enfants étaient tous au courant. Nous trouvions cela plus simple de tout leur dire, pour qu’ils ne soient pas surpris si jamais...Amelia n’allait pas bien, un jour ou l’autre. Même si nous n’avons pas donné tous les détails, ils étaient informés.

   Ophélia soupire et se triture les mains, nerveuse.

   — Je sais qu’elle a le droit de savoir, mais...

   Pourquoi voulait-elle me tenir à distance de ce qui s’est passé cet été ? C’est une information importante, tout de même !

   Ophélia se tourne vers moi.

   — Excuse-moi, Stella. Nous avons décidé de ne rien te dire pour ne pas t’inquiéter. Et... En fait...

   Un air embarrassé s’installe sur son visage. Sans quitter la route des yeux, Raphaël m’explique :

   — Ta famille d’accueil nous a interdit de te le dire.

   - Quoi ?! Mais ce sont vous, mes responsables légaux... Je veux dire...

   — C’est plus compliqué que cela, Stella..., soupire Raphaël. Ils ne veulent que ton bien, et ils souhaitaient que tu ne te préoccupes pas de ça. Apparemment, tu étais déjà très stressée, et...

   Bouche bée, je me dis qu’ils n’avaient pas le droit. Ça ne se fait pas !

   — J’ai eu dix-huit ans. Je n’ai plus rien à voir avec eux, n’est-ce pas ?

   — Tu ne veux pas les voir ? Il faut pourtant que... Je veux dire, ce sont eux qui t’ont élevée ! Ils doivent être importants pour toi, je..., bafouille Raphaël.

   Je croise les bras. Ma famille d’accueil ne signifie pas grand-chose, pour moi. C’est à cause d’eux que je n’ai pas beaucoup vu ma vraie famille quand j’étais plus jeune, et ce, jusqu’à l’année dernière.

   — Je suis majeure. Je vais pouvoir faire ce que j’ai envie. Si je souhaite passer Noël avec vous, je le ferai. Leur avis ne compte plus, ce ne sont plus mes tuteurs.

   Je n’avais toujours pas digéré pour Noël de l’année dernière, cela se sent dans ma voix. Un éclair de compassion et de tristesse passa dans les yeux d’Ophélia. Raphaël soupire à nouveau. Les larmes me montent soudain aux yeux.

   — J’aurai préféré faire partie de votre famille..., murmuré-je.

   Ophélia se tourna vers moi.

   — Tu fais partie de la famille, Stella !

   Je secoue lentement la tête.

   — Non, ce n’est pas vrai. J’ai fait les mauvais choix, et je ne peux pas revenir en arrière.

   Soudain, je décide que je n’ai pas le droit de me plaindre, et m’essuie les yeux avant de me tourner à nouveau vers la vitre pour échapper au regard humide de ma tante.

   — Peu importe.

   Mon regard se perd dans la végétation que nous dépassons. Nous allons bientôt arriver chez Émilien. Je n’ai même plus de chez moi, songé-je amèrement. Je n’en ai jamais eu, à part le petit appartement où nous habitions il y a longtemps. Je vais toujours chez les autres, mais je n’ai pas d’endroit à moi. Pas vraiment d’affaires à moi.

   Et c’est entièrement de ma faute.

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