Chapitre 10
— Quoi ? je m'écrie, sans pouvoir m'en empêcher.
Je sens Camille se crisper.
— Ç'a dû être très dur pour toi, j'ajoute, compatissante.
Il lève les yeux vers moi, l'air surpris. J'explique, les yeux rivés droit devant moi :
— Quand le juge a déclaré ma mère coupable et qu'elle est allée en prison, ç'a été très douloureux. J'aimais ma mère, et j'avais le coeur brisé parce que je venais de comprendre qu'elle ne m'avait jamais aimée et qu'elle ne m'aimerait jamais.
Je prends une profonde inspiration avant de le regarder dans les yeux.
— Alors je comprendrai que ça ait été difficile pour toi.
Il reste un court instant figé, puis secoue doucement la tête.
— Je ne sais pas si j'aimais ma mère. Je pense que, comme tous les enfants, je voulais obtenir son attention, qu'elle approuve mes gestes et mes paroles, qu'elle me dise qu'elle m'aime. Elle l'a fait. Elle m'a protégé, m'a chéri. Et pourtant, quand elle a été déclaré coupable, je n'ai pas pleuré. Je n'étais pas triste. J'étais déçu d'être son fils. D'être le fils d'une meurtrière. Mais je suis partie sans me retourner, me disant qu'elle ne méritait pas que je sois son fils.
Estomaquée par les révélations de Camille, je ne remarque pas tout de suite qu'il continue de me parler.
— Tu disais ?
— Pourquoi pensais tu que je t'en voudrais d'avoir menti à propos de ta mère ?
Mal à l'aise, je fixe mon repas du regard avant d'en prendre une bouchée et de l'avaler bruyamment.
— Tous les autres me regardaient comme si j'étais affreuse.
Camille renverse la tête en arrière pour regarder le plafond.
— Tu n'es pas affreuse, Stella. Ne crains pas le regard des autres.
— Et comment pourrai-je ne pas le craindre ? m'enflammé-je brusquement. Ils me jugent sans arrêt, depuis toujours !
— Les autres sont des cons.
La réplique de Camille tombe sèchement, mais je sais que ce n'est pas contre moi. C'est aux autres qu'il en veut. Son intérêt face à ma douleur me serre le cœur.
Je sens que je peux, pour la première fois de ma vie, compter sur quelqu'un de mon âge.
Ses yeux bleu glacier se plongent dans les miens.
— Tu pourras toujours t'appuyer sur moi, Stella. Quand tu en ressentiras le besoin, n'importe quand, dit-il, comme en écho à mes pensées.
Je pose timidement une de mes mains sur les siennes.
— Merci, je prononce sincèrement.
Nous n'avons pas besoin de plus de mots pour nous comprendre. Il sait qui je suis, et inversement. Nos coeurs et nos âmes se comprennent et s'acceptent.
— Viens, dit Camille en se levant, me tendant une main. Allons rejoindre les autres.
— Mais que vont-ils penser de moi ?
Son regard me réchauffe.
— Ils peuvent penser ce qu'ils veulent. Tu ne pourras pas les en empêcher. Explique-leur, et ils comprendront.
— Et s'ils ne comprennent pas ?
— Alors nous fuirons ensemble.
— L'idée est séduisante.
Camille me surplombe de toute sa hauteur, lui debout, et moi assise.
— Un jour, dit-il, la voix rauque. Juste toi et moi.
Son regard me trouble. Tout en lui me crée des papillons dans le ventre.
— C'est une promesse ?
— C'en est une.
Ma main se referme sur la sienne.
❄️❄️❄️
Je crois que tout s'est plutôt bien passé. Certains des amis de Camille me jettent des regards noirs, d'autres font comme si de rien n'était.
Je les ignore, suivant l'exemple de Camille. Il a raison. L'inventer tous les scénarios possibles et imaginables ne me mènera à rien.
— Tu joues, Stella ?
Nous jouons aux cartes tandis que la soirée se termine.
— Désolée.
J'attrape une carte, puis la rejette sur la pile.
— Si elle rejette un deux, ça doit être qu'elle a de bonnes cartes ! s'exclame Julien, en face de moi.
Je hausse les épaules avec un sourire.
— Peut-être...
Il rit, tandis que c'est au tour de Camille de jouer.
— Marmotte ! dit-il, le regard plein de défi fixé sur Julien.
Ce dernier le remarque et hausse un sourcil. Je sens qu'entre eux se joue bien plus qu'un simple jeu de cartes.
— Si tu perds, tu auras un gage, Camille.
Autour de nous, les conversations se taisent. J'ai déjà remarqué que Camille est populaire mais je ne pensais pas que c'était à ce point.
— Très bien. Mais si c'est toi qui perd, le gage sera pour toi.
— Marché conclu.
Les deux garçons se taisent, et l'atmosphère se fait pesante, ce qui me met mal à l'aise. Mais au moins, ce qui se passe n'est pas à cause de moi. Je ne suis pas au centre de l'attention de tous les élèves, ce qui me convient très bien.
Une fois le dernier tour de table effectué, nous retournons nos cartes. J'arrive deuxième et le premier est... Julien.
Je sens Camille se crisper à côté de moi. C'est la première fois que je le vois perdre à ce jeu de cartes.
— Pas de chance, Camille, soupire Ludovic.
— Oh, tais-toi !
Je suis surprise par sa véhémence.
— Je ne pensais pas que tu serais si mauvais joueur, je le taquine gentiment.
Son regard plein de rage se tourne vers moi. J'ai un mouvement de recul face à son expression, puis il se radoucit.
— On ferait mieux d'aller se coucher, dit-il en se levant de sa chaise. Tu viens, Stella ?
— Pas si vite, Camille-Le-Perdant, nous interrompt Julien. Tu oublies ton gage.
Camille lève les yeux au ciel.
— Fais vite.
Julien se tapote la lèvre, l'air de réfléchir.
— Trouvé ! s'exclame-t-il finalement. Tu me dois une faveur, au lieu d'un gage.
Camille serre les mâchoires, puis lâche :
— Ce n'est pas ce qui était prévu, mais c'est d'accord.
Le sourire de Julien s'élargit. Puis il se tourne vers moi :
— C'est à propos de toi, Stella.
— Pardon ?
Sans un mot de plus, Julien se dirige vers Camille et lui chuchote quelques mots à l'oreille. Ce qu'il dit ne semble pas plaire à mon ami... Mais de quoi parlent-ils ?
Camille secoue la tête, le regard sur braqué sur Julien. Je pensais qu'ils étaient amis, mais ils semblent plus rivaux qu'être chose en cet instant...
— Impossible.
— Allez !
— Je refuse.
La réponse de Camille n'admet aucune réplique. Il m'attrape soudain par le coude sans quitter Julien des yeux et nous quittons la pièce, en silence.
Tout le monde a les yeux braqués sur nous, sauf Ludovic, qui range tranquillement les cartes, comme s'il comprenait la situation.
Alors que moi, je ne comprends rien à rien. À quoi cela rime-t-il ?
— Qu'est-ce qu'il t'a demandé ? je questionne Camille tandis que la porte claque derrière nous.
J'inspecte sa mâchoire serrée. Il semble en colère.
— Je ne te le dirai pas.
— Pourquoi ?
Il ne me répond pas. Je m'arrête brusquement au milieu d'un couloir, me dérobant à sa poigne.
— Si tu ne veux pas me le dire, très bien. Garde ça pour toi. Mais ne me parle pas comme ça ! Je ne suis pas un objet que tu peux balancer à ta guise, des que tu es en colère !
Je croise les bras, le souffle court.
— Comment peux-tu être gentil avec moi et la seconde d'après aussi désagréable ? Qu'est-ce que je t'ai fait ?
Ma voix se brise. Camille se tourne brusquement vers moi et marche à grande enjambées jusqu'à m'atteindre. Il prend mon visage entre ses mains.
— Ce n'est pas contre toi, Stella. D'accord ? Je suis désolée de t'avoir mal parlé. Ce que m'a demandé Julien m'a mis hors de moi, mais ce n'est pas à toi de supporter la mauvaise humeur. Pardon.
J'en ai le souffle coupé.
— Ce n'est pas grave.
— Si. Je ne veux pas que tu aies peur de moi. Ou que tu me trouves trop colérique...
— Tu peux me dire ce qu'il t'a demandé ? Je sais que c'était à propos de moi.
Camille expire.
— Il voulait te faire une farce, et ça ne m'a pas plu.
J'attends un moment, puis éclate de rire, ne pouvant contenir plus longtemps mon hilarité.
— Et tu t'énerves juste pour ça ? C'est ridicule !
Camille se passe une main dans les cheveux, l'air agacé et soulagé à la fois.
— Je ne veux pas qu'il t'embête, c'est tout.
— Camille, tout va bien. Je sais me défendre, si jamais ça va trop loin.
— Autant être clair dès le début, rétorque-t-il en me prenant par la main pour m'entraîner à sa suite.
Je ne résiste pas. Au fond, je suis touchée qu'il ait pris ma défense aussi gravement. Avec lui, je me sens protégée, en sécurité.
Je sens qu'il ne me fera jamais de mal.
À suivre...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top