Chapitre 7

   Je repars en train le dimanche après-midi, après avoir passé deux nuits chez Émilien et Amelia. Je n’ai pas reparlé avec mon frère, l’évitant tout le week-end. Il a eu l’air blessé par mon rejet, et ça m’a donné envie de rire amèrement. Ce n’est pas plutôt moi qui aurais dû me sentir blessée, avec tout ce qu’il m’a jeté à la figure ? Il s’est peut-être excusé, mais il pensait ce qu’il a dit, et c’est ça qui me fait le plus mal.

   Je pousse un soupir et regarde le paysage défiler derrière la vitre.

   — Oh ! Stella ?

   Je tourne la tête sur le côté, et fais face à un Camille souriant.

   — Ah, salut, je lance, un peu mal à l’aise.

   Il ne se formalise pas de mon visage fermé et s’assoit en face de moi.

   — Tu vas bien ? Tu as passé un bon week-end ?

   — Oui.

   — Les deux ? rit-il.

   J’acquiesce nerveusement.

   — Et toi ? Tout s’est bien passé ?

   D’habitude, je n’aurai jamais posé cette question. Mais qu’est-ce qu’il me prend, tout à coup ? Déjà, je n’ai fait quasiment que penser à lui ce week-end, alors que je ne me suis jamais intéressée aux garçons... Je me tapai brusquement le front avec la paume de ma main. Reprends-toi, Stella ! m’intimai-je.

   — Euh... Ça va ?

   Le ton de Camille est incertain. Je me souviens de mon geste, et je résiste tant bien que mal à l’envie de me frapper le front encore une fois. Je suis tellement, tellement, tellement bête, ce n’est plus possible !

   — Très bien, désolée...

   — Pas de souci !

   — C’est drôle qu’on soit dans le même train, à la même heure, observé-je.

   Il sourit.

   — C’est vrai. Mais je suis plutôt content.

   — Pourquoi ? l’interrogé-je.

   — Ça me permet de passer un peu de temps avec toi. J’ai beaucoup pensé à toi, ce week-end.

   Je rougis. Il soutient mon regard un instant, puis sort un carnet de son sac. Curieuse, je le regarde prendre un crayon de papier et se pencher sur une feuille blanche.

   — Tu dessines ?

   Sérieusement, il est...parfait ! Je rougis à nouveau et secoue la tête. Mais pourquoi je viens de penser ça, au juste ?!

   — Ne bouge pas, m’ordonne gentiment Camille.

   Je me fige, mais demande bêtement :

   — Pourquoi ?

   — Tu verras.

   Un silence s’installe entre nous. Je regarde ses sourcils froncés par la concentration, ses yeux clairs et son visage aux traits anguleux et me fais la réflexion qu’il est vraiment beau. Pourquoi est-ce qu’il passe du temps avec moi ? Pourquoi est-ce qu’il m’accorde de l’attention, discute avec moi et me dit...qu’il a pensé à moi pendant le week-end ?

   Camille lève les yeux vers moi. Une mèche brune tombe sur son front et il la repousse d’un geste négligeant de la main. Une lueur amusée danse dans ses yeux bleus comme le ciel.

   — Pourquoi tu me regardes comme ça ?

   Je détourne les yeux, et il éclate de rire. Des passagers à côté de nous nous jettent des regards curieux. Embarrassée, je triture l’écharpe en laine qu’Ophélia m’a donnée, arrachant des peluches violettes. Il pose sa main sur la mienne pour stopper mon geste.

   — Ne gâche pas une si jolie écharpe. Elle te va vraiment bien, ajoute-t-il trois secondes et demie plus tard.

   — Merci, je réponds, les joues en feu. C’est ma tante qui me l’a donnée.

   Il m’adresse un clin d’œil.

   — Elle a bon goût !

   C’est à mon tour d’éclater de rire. Je crois que je n’ai jamais ri aussi sincèrement qu’aujourd’hui. Même en présence de ma famille, je me retiens. J’ai toujours peur que leur opinion sur moi change et qu’ils ne veulent plus de moi. Mais avec Camille...c’est différent. J’ai l’impression que je peux être qui je veux. Non. Que je peux être qui je suis réellement.

   — Tu es belle quand tu ris.

   Avant que je ne puisse répondre, le train annonce l’arrivée en gare, et Camille arrache une page de son carnet et me la tend, pliée en quatre.

   — C’est pour moi ? je demande, stupéfaite.

    Je n’ai jamais reçu beaucoup de choses de la part de quelqu’un jusqu’à maintenant. Il se frotte la nuque, l’air gêné.

   — Oui, c’est pour toi, marmonne-t-il. On se voit demain ?

   J’ouvre la bouche, mais il a déjà disparu. A travers la vitre, je le vois s’éloigner avec sa valise sans se retourner. Je déplie le dessin en sortant du train et me fige sur le quai.

   Il m’a dessinée. Moi. Avec un sourire. Ce ne sont que quelques traits rapides, mais son geste, qu’il ait pris le temps de me dessiner et de discuter avec moi, me touche profondément. J’ai soudain envie de pleurer.

   Est-ce que c’est possible de tomber amoureuse d’un garçon en seulement trois rencontres ?

❄️❄️❄️

   J’ai réussi à monter ma valise jusqu’à ma chambre. Étonnamment, je me sentais toute molle, toute bizarre. Mais j’avais envie de sourire, aussi, ce qui était rare (en temps normal).

   En ouvrant la porte de la chambre que je partage avec Clara, je tombe sur cette dernière en compagnie de deux autres filles, une brune et une blonde (certainement ses amies).

   — Salut, je lance.

   — Stella ! Ça va ?

   J’enlève mon manteau et mon écharpe et les accroche au portemanteau fixé derrière la porte de la chambre.

   — Oui, et toi ? Tu as passé un bon week-end ? je demande poliment, même si je me doute déjà de sa réponse en voyant son sourire.

   — Super ! confirme-t-elle avant de se tourner vers ses amies. Les filles, voici Stella, ma coloc' !

   — Salut ! s’écrient-elles en chœur.

   — Salut, je marmonne, mon enthousiasme retombant d'un seul coup.

   Mais qu’est-ce qui m’arrive ?! Je me sociabilise ?! Je parle aux gens ! Oh mon Dieu !!! Reste calme, Stella, tout va bien se passer, reste calme, reste calme...

   — Tu as fait quoi, ce week-end ? je demande à Clara.

   Elle hausse les épaules mais me sourit.

   — On est allés acheter des cadeaux de Noël. Et toi, qu’est-ce que tu as fait ?

   Je me racle la gorge.

   — Euh... On a juste passé de bons moments en famille...

   Clara acquiesce plusieurs fois de suite avec une telle vitesse que je crains soudain que sa tête se détache de son corps.

   — Pardon, je ne t’ai pas présenté mes amies ! s’exclame-t-elle ensuite, une main sur la bouche. Voici Claire (Elle pose une main sur l'épaule de la blonde.) et Jenny (Elle montre la brune d'un geste de la main.), qui sont dans les mêmes cours que nous.

   Je leur adresse un sourire crispé en essayant de retenir leurs visages. Au moins, je connais leurs prénoms. Je pourrai peut-être me souvenir d’elles si jamais je les croise dans les couloirs, ou dans un cours...

   — J’adore ton prénom ! pépie aussitôt Claire d’une voix joyeuse qui, malgré moi, m’exaspère. Il a un lien avec les étoiles, c’est ça ? Je trouve ça tellement poétique... Ta mère devait certainement t’attendre avec beaucoup d’impatience !

   Je me fige en plein mouvement. Ma mère... Je secoue lentement la tête et tente de reprendre le contrôle pour ne pas m’effondrer en larmes.

   — Je ne sais pas. Elle ne m’a jamais rien dit à propos de mon prénom.

   Ce qui est vrai. J’aimerais bien savoir pour quelle raison elle m’a appelée comme ça. Une idée me traverse brusquement l’esprit. À moins que mon père soit à l'origine du choix de mon prénom...?

   — Quand est-ce que tu rentres chez toi ? Le week-end prochain ? Tu pourras lui poser la question ! poursuit Claire sur sa lancée.

   Je me tourne vers elle.

   — Elle est morte.

   Un éclair de surprise passe dans ses yeux, puis elle semble mortifiée.

   — Stella, je suis vraiment désolée, je ne voulais pas...

   Je m’enferme à clé dans la salle de bain sans la laisser terminer sa phrase. Je me penche au-dessus du lavabo pour me regarder dans le miroir. Je détaille mon visage puis touche les cheveux. Je suis exactement comme elle. Je comprends pourquoi Émilien a du mal avec moi, et je ne peux pas lui jeter la pierre. Je lui ressemble tellement... Ça me rend folle de rage. JE NE SUIS PAS ELLE ! Voilà ce que je voudrais crier au monde entier, pour qu’ils comprennent tous que, même si Isabella est ma mère par le sang et que je lui ressemble, je ne suis plus sa fille. Elle ne m’a jamais considéré comme telle, après tout. Alors, qu’est-ce que j’en ai à faire de penser que c’est ma mère ? Elle n’a jamais été là pour moi. Elle ne mérite pas que je continue à l’appeler ma mère. Elle ne mérite même pas la lueur de pitié que je vois dans le regard des gens quand je leur dis que ma mère est morte. Elle ne mérite rien de tout ça. Elle mérite juste de mourir. Et moi, je préfère l’imaginer morte.

   Je m’arrache à l’image que me renvoie le miroir et commence à me déshabiller pour prendre une douche avant d’aller manger le dîner.

   Elle ne mérite même pas que je pense à elle. Alors je ne vais plus penser à elle. Ce sera bien mieux ainsi.

Coucou, que pensez-vous de ce chapitre ? Stella a beaucoup de mal à se séparer de l'image de sa mère...
Nouveau chapitre très bientôt !
Merci pour votre lecture,
G.

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