Chapitre 5
Raphaël finit par se garer devant chez Émilien. Ce dernier a une grande maison, mais beaucoup moins grande cependant que sa villa à Paris, dans laquelle nous avons dormi la première fois que nous l’avons rencontré.
Je n’aime pas trop la maison d’Émilien. C’est spacieux, certes, mais... Il n’y a pas cette atmosphère chaleureuse qui est présente dans la maison d’Ophélia et Raphaël. Mais leurs vies sont différentes, aussi, pensé-je en sortant de la voiture. Et eux tout court, d'ailleurs...
Je claque la portière. Raphaël sort ma valise du coffre et me la porte jusqu’à la porte d’entrée. Il lève le bras, mais avant qu’il ne puisse toquer, la porte s’ouvre...sur Julia. Ma cousine que je n'ai pas vue depuis des semaines.
Je me fige. Elle aussi. Des dizaines d’émotions passent sur son visage lumineux pendant que nous nous dévisageons en silence. Des heures semblent s’écouler, jusqu’à ce que Raphaël dise gentiment à sa fille qu’elle bloque le passage.
— Ah, fait platement Julia en s’écartant, sans me quitter des yeux.
Raphaël transporte ma valise à l’intérieur. Ophélia passe devant nous avec un petit sourire.
— Tu...tu vas bien ? demande Julia, en dansant d’un pied sur l’autre.
J’acquiesce, mal à l’aise. Je déteste cette question.
— Et toi ?
— Oui, oui.
Ce qu’elle dit n’est pas vrai. Je vois les nouvelles ombres qui se sont ajoutées dans ses yeux. Elle n’a pas perdu sa joie de vivre, mais le fait qu’elle s’inquiète toujours pour les autres la fatigue et la fait se sentir mal. Il en a toujours été ainsi. Julia est altruiste, empathique et elle vole au secours des autres, jusqu’à s’oublier elle-même. Et puis, je sens que sa dispute avec mon petit frère l’a profondément marquée et blessée, eux qui sont si proches. Cependant, je ne fais pas de commentaires. Elle me racontera ce qu’elle voudra, quand elle en aura envie.
— Je suis contente que tu sois là, ajoute-t-elle. On rentre ?
Elle se frotte les bras pour se réchauffer. Je la suis dans l’entrée, et ferme la porte derrière moi.
— J’espère que tu n’es pas trop déçue de ne pas pouvoir venir à la maison.
— Un peu, je souris, mais je viendrai pour les vacances de Noël.
Ses yeux verts s’illuminent.
— C’est vrai ?
Je hoche la tête, un sourire au coin des lèvres.
— C’est super, Stella ! Tu pourras dormir dans ma chambre, si tu veux. On pourra aussi aller à la patinoire ! Et voir un film !
Ses yeux sont pleins d’espoir.
— Je n’ai jamais fait de patin à glace, mais je veux bien essayer, je dis timidement.
Je veux faire des efforts. Avant que je puisse ajouter quoi que ce soit, Julia sautille vers moi et me prend dans ses bras, me serrant contre elle de ses bras menus. Je me fige un court instant, puis réponds à son câlin. Lorsque Julia s’écarte, je lui souris, avant de déceler un mouvement derrière elle, au niveau de l’escalier.
Diego se tient là, debout, sur la deuxième marche. Je m’immobilise. Cela fait seulement quelques mois que je ne l’ai pas vu, mais il a beaucoup changé pendant ce temps. Il me fixe de son regard sombre, mais aucune émotion ne transparaît sur son visage.
Remarquant mon immobilité soudaine, Julia se retourne, et croise le regard de mon frère. Ses épaules se crispent nerveusement, mais Diego ne la regarde pas. Lorsqu’il ouvre la bouche et prend la parole, c’est à moi qu’il s’adresse :
— Tu m’abandonnes aussi à Noël ? Tu vas chez eux ? lance-t-il avec mépris.
Julia tressaille et baisse les yeux.
— Diego...
Mon petit frère l’ignore royalement. Son visage est crispé sous la colère. Ma cousine pince les lèvres, attristée par son comportement. Il faut dire qu’il est très différent. Je ne le reconnais pas dans ses agissements, en fait.
— Je vais vous laisser discuter, dit-elle.
Je lève une main pour le retenir, mais elle se faufile hors de la pièce. Diego suit des yeux son dos tourné. Il en fait de trop pour ce qui s’est passé cet été, même si Émilien et Amelia auraient dû lui dire avant. Ce n’est pas une raison pour en vouloir à la Terre entière !
Nous nous mesurons du regard. Je m’approche de lui, les poings sur les hanches.
— Tu te rends compte à quel point tu blesses tout le monde ?!
Je crois que c’est la première fois que je crie depuis dix ans. Diego tressaille, puis se lève et se dresse de toute sa hauteur. Il est beaucoup plus grand que moi, mais je ne me décourage pas, et lui adresse le regard le plus noir et menaçant que j’aie en réserve. Sa mâchoire se serre.
— Ils auraient dû me le dire.
— Et tu vas leur gâcher la vie, et gâcher ta vie, à cause de ce qui s’est passé ? Tu es vraiment un gamin, si tu fais ça, je lâche dans un souffle, la voix dure.
Le regard de Diego s’assombrit et il serre les poings.
— Ne me dis pas ce que je dois faire, Stella. Tu n’es jamais là. Tu ne me connais pas.
Il martèle ces mots pour me faire mal, et ça marche, mais je ne cède pas. Je grimpe sur une marche de plus pour me mettre à sa hauteur. Nous nous retrouvons nez à nez.
— Parfois, j’ai l’impression que tu n’es pas ma sœur, simplement une étrangère qui squatte chez nous de temps en temps.
Je me fige. Voilà, j’ai ma réponse. Diego m’en veut, à la différence de Julia. Il m’en veut pour toutes ces années, comme je m’en veux de ne pas avoir fait les bons choix, de ne pas avoir été là.
— Tu ne fais pas partie de cette famille.
Sa voix est dure, et tout son visage est crispé. Je l’observe attentivement, puis j’acquiesce lentement. Je sais qu’il le pense. Mes mains tremblent. Il recule, commence à me tourner le dos. Je le retiens par le bras. Je serre les dents, puis je reprends, la voix glaciale :
— Tu penses vraiment que j’ai terminé ? Et surtout, que je vais te laisser continuer à faire ce que tu fais ? Je ne fais peut-être pas partie de la famille, mais je vous aime tous, et je n’ai aucune envie que tu gâches tout !
Il ouvre la bouche, mais je ne le laisse pas en placer une et continue :
— Tu n’as pas le droit de leur faire du mal. Tant que certains voudront bien encore de moi ici, je ferai tout ce qu’il faut pour empêcher qui que ce soit de détruire cette famille. Même si je n’en fait pas partie, même si je ne suis pas ta sœur parce que tu ne veux plus de moi. Je sais que j’ai merdé, d’accord ? Mais eux, ils n’y peuvent rien.
Il se dégage de ma poigne et ricane.
— Tu crois que c’est à cause de toi ? Tu es vraiment naïve !
— Ils ne m’ont rien dit de ce qui s’est passé cet été, si ça peut te faire plaisir ! je lui crie à la figure, maintenant très énervée.
Un bref étonnement traverse son visage, avant qu’il ne redevienne de marbre.
— Toi, au moins, tu étais au courant pour la maladie d’Amelia ! m’accuse-t-il. Et tu ne me l’as pas dit. Personne ne me l’a dit !
Il respire fort et passe une main dans ses cheveux courts pour tenter de se calmer.
— Ils ne voulaient pas te faire peur.
Il me jette un regard noir.
— Mais j’ai eu peur, Stella ! Je suis rentrée, et j’ai trouvée Amelia évanouie. Il n’y avait personne à la maison, et je ne savais pas quoi faire ! hurle-t-il. Elle aurait pu mourir à cause de moi, parce que je n’étais pas au courant ! Elle en a réchappé de justesse, tu comprends ça ?!
Ça y est, c’est sorti. Nous nous contemplons en silence. Sa poitrine se lève et s’abaisse au rythme de sa respiration rapide. Sa colère l’essouffle.
— Ce n’est pas une raison pour être en colère contre tout le monde, je rétorque. Tu ne peux pas continuer à faire ça, Diego ! Tout le monde culpabilise par ta faute !
— Amelia aurait pu mourir par ma faute, martèle-t-il entre ses dents.
— Elle est vivante. C’est tout ce qui compte. Et si elle mourait demain ?
— Arrête ! crie-t-il.
Je continue, imperturbable :
— Si elle mourait demain, tu n’aurais pas profité des derniers instants avec elle. Tu aurais fait la guerre à tout le monde pour quelque chose qui s’est produit il y a des mois. Pour rien. Pour te sentir mal à la fin.
Un silence s’installe dans la pièce. Diego ne me regarde pas. Je sais qu’il réfléchit à mes paroles. J’espère qu’elles l’atteindront.
— Tu es en colère parce qu’elle est en vie.
Il se retourne brusquement vers moi, le regard glacial.
— Qu’est-ce que tu viens de dire ?! siffle-t-il.
— Si elle était morte cet été, tu aurais été en colère contre toi, parce que tu aurais pensé que c’était de ta faute. Seulement, Amelia est vivante. Tu rejettes tout sur les autres, Diego. Tu es simplement en colère contre toi. Tu l’aimes. Tu es heureux qu’elle soit en vie, mais tu as tellement eu peur ce jour-là que tu t’en veux. C’est simple, non ? Tu rejettes une colère dirigée à l’origine sur toi-même sur elle et les autres, parce que personne ne t’a rien dit, et que tu as eu peur.
Il reste silencieux. J’ai été méchante, je le sais, mais c’était nécessaire. Il fallait que je l’atteigne là où ça fait mal.
— Je ne dis pas que leur décision de ne rien te dire était la bonne. Ils auraient dû te le dire, mais ils craignaient que tu aies peur. Tout ça parce qu’ils t’aiment. Bon sang, Diego ! Tu ne te rends pas compte de la chance que tu as ?
Je descends les quelques marches et me dirige vers la cuisine, le laissant planté là. J’espère qu’il va réfléchir, qu’il va prendre conscience que ses actes ont blessé plusieurs personnes, alors qu’il était simplement en colère contre lui-même.
Il y a une boule de tristesse, ainsi que de la colère et un peu de jalousie, dans mon cœur. Je n’aime pas les gens qui détestent leur famille sans raison, alors qu’ils ont la chance d’être aimés depuis leur naissance ou, dans le cas de Diego, depuis son adoption. Malgré les désaccords, les disputes...tout le monde s’aime, donc tout devrait être simple. Malheureusement, ça ne l’est pas.
Et, parfois, ça me rend malade.
❄️❄️❄️
Alors ! Pas trop choqués par le comportement de Diego ? Il a bien grandi, notre petit bout de chou !! 😅
J'attends vos avis !
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