Chapitre 3
Le trajet s’effectue en silence. Camille lit un livre, les sourcils froncés, pendant que je recopie ses notes. Il y en a beaucoup !
— Tu dois être bon élève, lancé-je.
Il relève la tête.
— Plutôt bon, mais tu es meilleure, sourit-il avant de se replonger dans son livre.
Le silence entre nous deux n’est pas dérangeant, ni embarrassant. Je finis par lui tendre ses notes.
— J’ai terminé. Merci.
Il place un marque-page dans son livre et le referme dans un claquement avant d’attraper ses notes. Nos mains se frôlent une seconde, mais c’est déjà une seconde de trop pour moi, alors je recule. Il range ses feuilles et je lui demande pour cacher ma gêne :
— Tu descends à quel arrêt ?
— Après toi, m’indique-t-il.
— Comment sais-tu...
— J’ai vu ton ticket, m’interrompt-il.
— Oh !
Je pince les lèvres, croise puis décroise les jambes, ne trouvant pas une position assez confortable.
— Tu rentres souvent chez toi ? me demande-t-il.
Je me retiens de lui dire que je n'ai pas de chez moi depuis longtemps.
— Rarement. Et toi ?
— Souvent. Mon père... C’est lui qui a choisi mes études... Je ne voulais pas travailler là-dedans, au départ...
Je l’écoute en silence.
— Mais tu travailles bien, pourtant...
Son regard s’assombrit.
— Je n’ai pas le choix.
Je ne lui pose pas plus de questions.
— Et toi ? C’est ce que tu as choisi ?
— Oui. J’hésitais entre droits et politique, mais j’ai fini par choisir droits.
— Politique ? C’est intéressant... Tu sais quel métier tu voudrais faire ?
— Je voudrais être juge des enfants.
— Waouh ! Tu as l’air déterminée...
— Et toi ?
— Je suis destiné à devenir avocat...
— Et qu’est-ce que tu aurais aimé faire ?
Les yeux de Camille s’illuminent.
— J’aurai voulu travailler dans le scientifique, mais je n’ai jamais pu approfondir la question, donc...
Sa phrase reste en suspens dans les airs.
— Je suis désolée, dis-je.
Je ne sais pas pourquoi je m’excuse. Parce qu’il me fait de la peine ? Parce qu’il a l’air gentil ? Parce que, étonnamment, je me sens en confiance avec lui ?
— Ce n’est pas grave. Devenir avocat...ç’a l’air d’être tout aussi intéressant.
— Mais ce n’est pas ce que tu veux faire.
— Non, ce n’est pas ce que je veux faire. Mais il y a un avantage à faire ces études, Stella. Sans ça, je ne t’aurai probablement jamais rencontrée.
J’ouvre la bouche, mais on annonce mon arrêt. Le sourire de Camille me réchauffe le cœur. Je suis...heureuse de l’avoir rencontré. Nous sommes sûrement...amis, lui et moi ?
— À bientôt ! je lui lance par-dessus le sifflement du train qui annonce l’arrivée en gare.
Avant qu’il ne puisse me répondre, j’attrape ma valise et m’extirpe de la banquette. Je sors du train et le vent agite mes cheveux bruns autour de mon visage. Je coince les quelques mèches échappées de ma queue de cheval derrière mes oreilles puis aperçoit ma tante et mon oncle qui m’attendent. Je leur fais de grands signes, auxquels ils répondent. Je me précipite vers eux, ma valise roulant derrière moi.
Tante Ophélia me serre dans ses bras la première. J’inspire pleinement son odeur rassurante. Je me sens chez moi.
— Tu vas bien ? demande-t-elle. Avec le froid qui fait... J’espère que tu ne vas pas attraper un rhume ! C’est quoi ce manteau ? Il est tout fin !
J’éclate de rire, de concert avec Raphaël.
— Chérie, dit-il, et si tu la laissais respirer ?
Ophélia s’écarte puis toise son mari.
— Il n’y a vraiment pas de quoi rire, le sermonne-t-elle.
Même quand elle le gronde, il y a une étincelle d’amour dans ses yeux gris. Leur amour est puissant. Même un aveugle pourrait le voir ! Leur amour est fort, mais on sent qu’ils ont gardé une fragilité de leur séparation, même si cela fait longtemps. Ils ne se lâchent quasiment jamais, et j’ai souvent entendu ma tante crier le prénom de Raphaël la nuit, quand je venais chez eux. Je ne sais pas ce qui s’est passé entre eux il y a plus de dix ans. Et je ne demande pas à le savoir, parce que cette histoire ne regarde qu’eux. Mais, même s’ils ont traversé des moments difficiles, je sais, et toute ma famille sait, que leur amour est indestructible.
Raphaël se penche pour attraper ma valise.
— Et si on y allait ?
— Ne pense pas t’en tirer aussi facilement ! le menace Ophélia.
Il rit.
— Moi aussi je t’aime, mon amour.
Ophélia se détourne brusquement, mais j’aperçois ses joues rouges. Elle remonte son écharpe et rajuste son manteau. Je me sens mal à l’aise. Ils sont si...parfaits, tous les deux. Si bien accordés, si...
— Ne dis pas des choses comme ça devant tout le monde, enfin !
Et ma tante part devant nous en marchant à grands pas.
— Je crois qu’elle est embarrassée, murmure Raphaël.
Je l’embrasse sur la joue.
— Comment vous allez, depuis le temps ?
— Comme tu le vois, rit mon oncle, rien n’a changé. Sauf notre maison qui se refait une beauté, bien sûr !
— Vous refaites quoi ?
— Les chambres des jumelles, la cuisine et la terrasse.
— Comment vont Daphné et Léonor ?
Raphaël soupire, mais ses yeux brillent de bonheur.
— Comme des fillettes de sept ans, qui adorent les bêtises... Enfin, Daphné a des difficultés à l'école, mais elles se soutiennent mutuellement...
Je fronce les sourcils.
— Qu'est-ce qu'elle a ?
— Daphné est dyslexique. Elle s'en sort, pour le moment, mais plus tard... Nous verrons bien, conclut-il dans un petit soupir.
Je lui souris, petite tentative pour le rassurer.
— Et Victor ?
— Il va bien. Il a du mal à trouver sa place, parce que c’est le seul garçon et qu’il n’a personne de son âge, mais c’est mieux que pendant un temps. Il se rapproche un peu des jumelles, donc Ophélia est rassurée. Tu la connais !
J’acquiesce en silence et me pince les lèvres. Mon oncle me sourit gentiment.
— Pose-moi ta question, Stella.
— Est-ce que... Julia va bien ?
Raphaël empoigne ma valise.
— Elle a hâte de te retrouver ! On ferait mieux d’y aller.
J’attrape son bras, un peu perturbée.
— Raphaël... Est-ce que vous avez vu Diego ?
Il se fige, puis baisse les yeux vers moi.
— On ne l’a pas vu depuis longtemps. Il n’est pas beaucoup revenu de l’internat... J’espère que tu arriveras à parler avec lui. Il n’a pas bien accepté...la maladie d’Amelia, conclut Raphaël dans un souffle.
— Émilien et Amelia lui ont dit ?
Raphaël fronce les sourcils.
— Stella... Amelia a failli mourir l’été dernier. Ils ont été obligés de lui dire...
Je couvre ma bouche de ma main pour retenir un cri.
— Mais c’est horrible ! Je n’étais pas au courant... J’aurai dû être là pour lui.
Raphaël m’observe un moment, puis me serre soudain dans ses bras.
— Tu es là maintenant, c’est l’essentiel. Il revient ce week-end, parce que nous lui avons dit que tu serais là. J’espère que vous pourrez discuter, tous les deux, même si c’est difficile... Je sens que vous avez beaucoup de choses à vous dire...
Nous marchons vers la voiture.
— Il n’en a pas parlé avec Julia ? je m’étonne.
— Julia était au courant pour la maladie d’Amelia. Diego en veut à tout le monde, parce que le seul à ne pas être au courant, c’était lui. Et c’est lui qui était présent quand Amelia...a fait une rechute.
— Mais moi aussi, j’étais au courant...
Raphaël pousse un soupir.
— Je sais... En fait, Diego en veut surtout à lui-même, parce qu’il a cru qu’Amelia allait mourir... Et je pense qu’il faut que vous parliez de votre mère, tous les deux. Vous n’en avez jamais parlé, mais vous devriez. Vous avez souffert en silence, mais maintenant...il faut aller de l’avant.
— Même Ophélia n’a pas réussi à...
— Surtout Ophélia. Il l’évite, et ça la blesse énormément.
Une détermination nouvelle m’envahit de la tête aux pieds. Personne n'a le droit de blesser ma tante, pas même mon frère ! Je serre les poings. Ma famille a besoin de moi !
— Je vais lui parler.
Et il a intérêt à m'écouter !
Bonjour ! Que pensez-vous de ce chapitre ? J'espère qu'il vous a plu, la suite la semaine prochaine (jeudi ou vendredi) ❤️
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