Chapitre 1
Je me réveille en sursaut dans ma petite chambre d'étudiante, de la sueur coulant le long de mon dos, la gorge serrée sur un mot étrange qui veut s'échapper mais que je ne laisse pas s'enfuir. Maman. Quel goût aurait ce mot si je le prononçais à haute voix, aujourd'hui ? Je ne l'ai pas prononcé depuis plus de dix ans. En fait, tu ne me manques pas. Tu ne m'as jamais aimée, simplement utilisée comme un outil quand tu as eu besoin. Une mère, une vraie mère, n'aurait jamais fait ça.
Je ne me souviens même pas du visage de ma mère...
Dans ma tête, tout est clair dans ce souvenir. Je n'ai pas oublié. Je n'oublie jamais. Chaque mot brutal, chaque coup brusque... Je me souviens de tout. Pourquoi les gens se sont-ils acharnés à ce point sur moi ? Je ne le saurai jamais...
Une brusque envie de crier ce mot me prend. Je plaque une main sur ma bouche pour m'en empêcher, une larme solitaire roulant sur ma joue. Je l'essuie d'un doigt tremblant. Je ne dois pas pleurer. Ma mère ne mérite pas que je pleure pour elle. Je ne saurai jamais ce que ça fait d'être aimée comme une vraie fille. Ma famille d'accueil est très gentille, mais ce n'est pas pareil. Quelque chose me retient. Je n'ai jamais réussi à être proche d'eux en dix ans. Diego s'est trouvé une nouvelle famille avec oncle Émilien et tante Amélia. Et tante Ophélia a retrouvé le père de Julia et ils vivent tous ensemble. Leur famille s'est même agrandie avec Victor puis deux jumelles prénommées Daphnée et Léonore. Mon cousin et mes cousines. Ça me fait tout drôle de me dire ça dans ma tête. Je les ai vus plusieurs fois, mais moins souvent que j'aurai voulu. Je n’ai pas beaucoup de liens avec mes cousines et Victor, car elles sont plus jeunes que moi. Et Julia... Même si elle est plus jeune que moi, elle semble plus âgée, parfois ! Tante Ophélia et oncle Émilien sont frère et sœur, et ils se voient le plus souvent possible. Donc Diego passe beaucoup plus de temps avec eux que moi. Ma famille d'accueil n'a aucune attache avec eux, mis à part moi. Ce qui fait que je ne les ai pas vues tellement pendant mon enfance.
Est-ce que les choses auraient été différentes, si j'avais décidé de rester habiter chez mon oncle, ou chez Ophélia ? Je n'en sais rien. Et je ne peux pas le savoir, car on ne peut pas refaire le passé... Je peux simplement regarder en arrière, regretter continuellement mes choix...
J'aurai aimé avoir une mère, une vraie mère. Une mère qui soit présente quand j'étais malade, quand j'avais besoin d'elle. J'avais neuf ans quand ma mère a été enfermée en prison. J'avais neuf ans quand je suis partie habiter chez ma famille d'accueil. A neuf ans, je n'avais besoin de quelqu'un à mes côtés que pour deux ans, jusqu'à mon entrée au collège. Ensuite...je n'avais plus besoin de personne. Et surtout pas d'une mère... La mienne est morte, à mes yeux. C'est tout.
— Stella, ça va ?
Je me fige. Clara, ma colocataire, se penche vers moi dans le noir.
— Oui, oui.
J'essuie mes yeux de la paume de mes mains.
— Mais tu pleures ?! s'exclame-t-elle.
J'imagine ses yeux ronds comme s'ils étaient en plein jour. Avec Clara, on ne se parle pas beaucoup, même si on partage la même chambre. Elle me demande parfois de l’aide pour ses devoirs, et nous nous disons bonjour le matin. Mais nos échanges se limitent à ça. Je suis inatteignable pour elle, et pour tous les autres. Et soudain, j'ai envie de hurler. Hurler au monde toute ma peine, toute ma rage. Tout ce qui fait partie de moi depuis tant d'années.
— Ça va, je te dis ! Je m'enflamme.
Aussitôt, je m'en veux. Mais je me mords les lèvres pour retenir une excuse. Trop tard. Je ne mérite personne. C'est pour cette raison que je repousse tout le monde.
— Très bien.
J'entends Clara se redresser puis se tourner sur le côté pour se rendormir dans un froissement de draps. Je l'ai blessée. J'en ai parfaitement bien conscience, le pire. J'aimerais effacer mes mots, effacer tous mes gestes maladroits, destinés à repousser les autres, mais...je n'arrive pas à faire autrement. Je ne sais pas me faire aimer.
❄️❄️❄️
La nuit a été longue. Ou courte, tout dépend du point de vue duquel on se place. Longue parce que j'ai passé mon temps à regarder le plafond et à angoisser en scrutant chaque recoin sombre de la chambre et courte, parce que...je n'ai pas dormi, comme beaucoup de nuits avant celle-ci.
Je soupire. La cloche sonne au même moment, et je contemple mes notes. Je n'ai pas été assez attentive, car je n'ai pas écrit grand-chose...
Il faut que je me reprenne ! Ce ne sont pas quelques nuits blanches qui m'empêcheront de travailler correctement et de réussir mes examens de fin d'année ! Pour mieux recommencer tout ça l'année prochaine...
Parfois, cela me pèse. Je sais que je me mets beaucoup de pression sur les épaules, mais mes notes sont la seule chose qui me retiennent à l'école. Qui me retiennent à la vie. Sans ça, pour moi, il n'y a plus de mots. Plus d'avenir possible.
Je claque la porte de mon casier et pivote sur mes talons afin de retourner en classe, lorsque mon épaule percute quelqu'un.
— Aïe !
Je recule en me massant le haut du bras. Puis je fusille la personne en face de moi du regard, comme si c'était elle m'a responsable de cet accrochage. Je sais bien que c'est de ma faute, mais il en a toujours été ainsi. Je prends les autres de haut, pour mieux cacher mes fêlures aux yeux du monde.
— Tu vas bien ? fait une voix.
Yeux bleus. Cheveux bruns en bataille. Sourire dérangeant. Voilà comment je décris en quelques mots rapides le garçon qui me fait face.
— Parfaitement, je réponds en croisant les bras sur ma poitrine.
Je ne connais pas le garçon qui me fait face. Ou alors, je ne le reconnais pas. Je l'ai peut-être déjà croisé. Ou pas. Mais je m'en fiche. Comme je me fiche de tous les autres élèves de cet établissement, d'ailleurs. Je ne retiens pas les visages, car aucun ne me marque. Aucun n'est indélébile, inoubliable. Je me souviens de chaque mot, de chaque coup, de chaque douleur... Je me souviens des sentiments, mais pas des gens. Les gens ne m'intéressent pas. Ce que je garde en mémoire, c'est ce qu'ils me font subir.
— Tu n'étais pas très attentive au cours, aujourd'hui.
J'écarquille les yeux pendant une demi-seconde, avant de reprendre mon bon vieil « air snob ». C'est mon armure, et je me sens mieux avec que sans.
Je remonte la bandoulière de mon sac sur mon épaule.
— Qu'est-ce qui te fait dire ça, exactement ?
— Tu n'as pas répondu aux questions du prof. Alors que d'habitude, ta main est toujours levée. J'aurai presque pensé que tu étais née avec ton bras levé !
Il me...taquine ? Je ne sais pas. Personne ne m’a jamais taquinée. Peut-être qu'il se moque, tout simplement, comme tous les autres... Je le dévisage bizarrement, mais il ne paraît pas s'en soucier, et babille avec enthousiasme. Je ne le suis plus, perdue. Pourquoi il me parle, lui ??
— Excuse-moi, mais...on se connait ?
Il me dévisage à son tour, l'air impassible. Je n'arrive pas à lire ce qu'il ressent dans ses yeux, à lui. Il semble différent de tous les autres...
— On est dans la même classe. Je m'appelle Camille.
— Stella.
Il me lance un clin d'œil.
— Je sais.
Je me racle la gorge, embarrassée. Heureusement que je ne rougis pas facilement !
— Ah. Et pourquoi tu me parles ?
Mince. Fichue langue ! Il se frotte la nuque, l'air gêné. Je me sens soudain mal, et tente de rectifier la situation.
— Écoute, je... Je suis désolée. C'est sorti tout seul, et je ne voulais pas te...te...
Je déglutis. Pourquoi je me justifie, en fait ?? Je ne l'ai jamais fait pour les autres, je les laisse partir dès que je fais une gaffe. Alors, pourquoi lui, je tente de le retenir ?
— Ce n'est pas grave. Je voulais juste te demander si tu avais besoin de mes notes ? Tu n’avais pas l’air d’en avoir pris beaucoup... Je te prêterai les miennes avec plaisir, je serai ravi de pouvoir t’aider !
Aider ? Ce garçon, Camille, veut m’aider ?! Je ne connais pas ce mot. Je secoue la tête, mal à l’aise.
— Je n’ai pas besoin de ton...aide. (Je crache ce mot comme s’il était porteur de la peste.) Je vais retourner travailler. Salut.
— Stella, attends !
Mais je tourne déjà les talons. Au loin, derrière le sang qui cogne violemment contre mes tempes, j'entends des gens l'appeler par son prénom. Je retiens un soupir de soulagement. Il ne me retiendra pas, ne me rattrapera pas. Je ne me retourne pas et continue mon chemin, le regard fixé droit devant moi.
❄️❄️❄️
Que pensez-vous de ce premier chapitre ? De l'introduction du personnage de Stella ? De Clara ? De Camille ? (Même si ces deux personnages étaient vus très vite.)
Merci d'avance pour votre lecture ❤️❤️❤️
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