2- La souveraine
“ Je sonde la profondeur de l'âme ; mettant à nue ses secrets les plus enfuis. Je pénètre les tréfonds de son abîme, dérobant à celle-ci les mystères de ses tourments les plus inouïes. Je suis le miroir de l'âme ; je suis sa plus grande faiblesse „
★ ★
Élinôr n'aimait pas les hommes.
Mais Élinôr devait se marier.
Elle n'aimait pas les femmes non plus, loin de là mais appréciait bien mieux leur compagnie parfois pour des choses peu conventionnelles.
Élinôr s'ennuyait de son quotidien, elle le trouvait las et ennuyeux. Elle n'aimait pas le superflu, elle préférait la lecture à ses heures perdues, et aimait fort s'instruire.
Élinôr n'était pas une femme douce mais se montrait souvent généreuse.
Élinôr aimait les jeux de combats. Elle était une guerrière, elle était aguerrie, elle avait une dizaine d'années d'expérience dans les armes.
Élinôr était une belle femme, elle était convoitée même pas les souverains des contrées voisines, alliés comme ennemis.
Élinôr s'en foutait d'être aimée où pas. Elle n'aimait personne (... où presque). Elle suivait juste son destin.
Élinôr était une femme forte, impressionnante. Elle ne se laissait attendrir par des émotions vaines, qu'elle considérait comme défaillant.
Mais Élinôr avait une faiblesse, c'était ses yeux.
__ Que sa Majesté veuille pardonner cette intrusion malencontreuse. Nous vous apportons juste votre petit déjeuner, comme souhaité dans votre bureau personnel, fit une des servantes désignée ce jour là pour servir le petit déjeuner de la souveraine.
Elle déposa ensuite un plateau de viennoiseries succulentes accompagné de quelques fruits sur une table basse à bonne distance du secrétaire où était installée Élinôr ; fit une petite révérence et se mit de côté pour qu'une deuxième servante dépose son plateau elle aussi. Le second contenait plusieurs tasses de dimensions différentes, ainsi qu'une théière. Elle s'activa pour préparer une boisson chaude à sa Majesté quand celle ci la stoppa :
__ Je le ferai moi-même. Disparaissez maintenant, ordonna-t-elle sur un ton calme mais tout de même irrité.
Élinôr ne supportait pas la présence d'une autre personne qu'elle en ce lieu. Pourtant c'est elle même qui demandait à ce que son petit déjeuner soit servi en privé et non dans la salle du repas, et ce peu importe la pièce où elle se trouvait. Mais cette pièce était bien trop privée et trop précieuse pour qu'elle laisse traîner qui que ce soit dix secondes de plus. Ce petit bureau, presque contigu était son bureau personnel ; bien loin du bureau officiel de la souveraine de taille xxl qui se trouvait deux étages en dessous.. Pénétrer ici c'était comme pénétrer dans son intimité propre, bien pire que ses appartements privés, c'était comme violer son propre corps. Une autre raison était qu'il renfermait les secrets ainsi que tous les mystères qui entouraient sa personne.
En plus elle n'était pas de ces monarques paresseux qui se comportaient comme s'ils avaient perdu l'usage de leurs membres. D'ailleurs sont statut de guerrière lui permettait de se rendre bien plus utile qu'elle ne le pouvait déjà. Alors elle concocta elle même sa boisson chaude, se servir dans une tasses, rajouta des viennoiseries et un doigt de banane dans un petit plat et apporta le tout sur son secrétaire. Elle ne faisait rien d'autre que lire; des ouvrages d'histoire, des encyclopédies et de grands auteurs littéraires par ci et par là. C'était bien mieux intéressant pour elle que de s'attarder sur des dossiers et décrets concernant le peuple, où encore des accords où des traités avec les nations étrangères. Trois heures plus tard, alors qu'elle venait à peine d'entamer un de ses auteurs favoris, on frappa à sa porte.
__ Sapristi ! Jura-t-elle en refermant bruyamment le livre.
Les coups se firent entendre une seconde fois et plus insistants.
__ Cessez donc tout ce vacarme et entrez ! Lança-t-elle froidement en guise de réponse.
Un valet complètement désarçonné fit son entrée. Elle lui jeta un regard rempli de fureur. Il avait osé la perturber en pleine lecture. Elle espérait donc que la raison de sa venue en ce lieu valait la peine. Sinon elle lui réserverai un sort bien cruel à la mesure de son égarement.
__ Qu'y a-t-il ? questionna Élinôr avec mauvaise humeur.
__ Je... Euh que sa Majesté veuille pardonner le geste déplacé d'un servant si insignifiant que moi. Mais il me fallait vous dérangez, car tous les prétendants de Madame sont maintenant arrivés et bien installés au palais. Ainsi donc pouvez-vous dès à présent procéder aux entrevues dans le bureau officiel de la souveraine.
Et il se retira sans plus tarder, prenant soins de bien refermer derrière lui pour éviter d'attirer à nouveau la fureur de la souveraine sur lui. Elle réfléchit. Les entrevues ; elle s'en était bien passé l'année dernière préférant passer directement à l'étape supérieure que de perdre son temps. Elle trouvait que ces jeunes hommes étaient incapables de tenir de vraies conversations alors qu'on prétendait à chaque fois qu'ils étaient très cultivés, les "plus instruits" du royaume. "Des foutaises", pensa-t-elle. Pour elle, les membres de la gent masculine étaient tout simplement inintéressants, bornés et égocentriques. Ils ne pensaient qu'à se remplir le gosier et se laissaient sottement conduire par leurs pulsions. C'étaient des êtres méprisables. Pourquoi donc le faire cette année ? Elle pourrait bien s'en passer. Mais une lueur soudaine naquit dans son esprit faisant apparaître aussitôt un sourire sadique sur ses fines lèvres. Elle avait envie de prendre du plaisir.
Une heure plus tard, elle était fin prête. Elle descendit dans son bureau officiel accompagnée d'Alexor son majordome, ainsi que de quelques conseillers et servantes. On l'aida à s'installer convenablement et après avoir sélectionné quelques noms au hasard, dont elle allait savamment se délecter, elle congédia ses conseillers et ouvriers. Elle n'allait pas quand même passer l'après midi à écouter vingt vaniteux dépourvus de cervelle et de conversation ! Elle avait mieux à faire.
__ Faites entrer Sir James Alchior, demanda la souveraine à Alexor qui était resté auprès d'elle pour faire le protocole.
__ Bien votre Majesté.
Et on appela le jeune aristocrate à rencontrer la souveraine.
__ Votre Majesté, salua James après être entré dans la pièce.
Èlinôr qui avait porté son attention sur un dossier d'état en attendant que son prétendant daigne se montrer, releva le regard de la paperasse et fixa le jeune homme. Elle ne perdit pas une minute de plus et fronça les sourcils d'indignation. Il était laid. Très laid même. Qu'était-ce donc cette supercherie ? Pour qui la prenait on ? Allait-elle faire des enfants avec un individu aussi disgracieux que ce vantard d'aristocrate ? Cela n'était même pas envisageable. Elle ne voulait même pas échanger un piètre mot avec lui. Ignorant royalement sir Alchior, elle appela son homme de main avec irritation.
__ Alexor !
Il déboucha en trombe dans le bureau de sa souveraine.
__ Votre Majesté, répondit le vieil homme essoufflé.
__ J'en ai fini avec ma première entrevue. Faites entrer le suivant.
__ D... déjà ? questionna le vieil homme, surpris que cela ait été de si courte durée.
__ Osez vous me contrarier ?! fit Élinôr avec colère en frappant son poing sur la table de son secrétaire.
__ Bi.... bien sûr que non votre Majesté.
Il fit volte face vers le jeune homme encore hébété par ce qui venait de se passer pour lui indiquer la sortie. Le jeune homme mis un temps à réagir, son esprit s'étant brièvement déconnecté de son corps, puis emboîta le pas au majordome qui se trouvait déjà à la porte. Une fois dehors, le majordome adressa un regard désolé à James et haussa les épaules comme pour lui dire "c'est ainsi. On n'y peut rien ”. Puis s'en alla appeler un autre prétendant.
__ Votre Majesté.
__ Sir Devis Renold.
Elle désigna le siège en face d'elle et le jeune homme pris place.
__ Vous m'avez fait appeler, émit le jeune aspirant avec politesse.
__ C'est cela. Qu'avez vous donc d'intéressant à me dire ? questionna Élinôr avec dédain.
Le jeune homme se racla la gorge avec prestance avant de parler.
__ Je souhaiterais entretenir sa Majesté sur l'agriculture. Un domaine très tactique et qui m'est cher.
__ J'ai ouïe dire que votre famille possède un riche domaine agricole, s'étendant sur des hectares de forêts où sont développées plusieurs cultures vivrières.
__ C'est cela. Sa Majesté a bien entendu, approuva Devis par un signe de tête.
__ Alors, dites moi en plus !
__ Et bien, votre Majesté l'agriculture est celle qui nous permet de vivre, et nous accorde de quoi nous nourrir. Grâce aux légumes et fruits que nous cultivons nous avons une alimentation riche, équilibrée et variée et cela n'est pas à négliger connaissant les nombreux méfaits que peut entraîner une alimentation peu variée où essentiellement constituée de bovins et autres viandes quelconques. Consommer des légumes et fruits nous rend plus forts et résistants surtout pour les hommes au combats. Cela peut affecter même notre intellect positivement et nous donner de briller dans nos études. De plus l'agriculture est un facteur non négligeable de développement. En produisant en grande quantité, nous pouvons exporter vers l'extérieur, dans des contrées où il y a manque ; et même enrichir notre culture avec des semences rares qu'on ne retrouvera que à Antigor et qui suscitera la convoitise des autres nations, les poussant à plus se ravitailler chez nous, ce qui fera inexorablement fructifier l'économie du royaume.
Son ministre de l'intérieur n'avait jamais émit cette hypothèse. Elle admettait que c'était fort intéressant. Le jeune Devis boosté par cette attention particulière que portait la souveraine à son récit, n'hésita pas à mieux approfondir les connaissances de cette dernière sur son sujet de prédilection. Il alla en profondeur, abordant plusieurs aspects positifs de l'agriculture, pour faire comprendre à son interlocutrice l'importance capitale de ce domaine. Élinôr se laissa emporter par ses explications désireuse d'en savoir plus. À l'inverse de son prédécesseur rabroué moin d'une demie heure avant, la jeune femme trouva Sir Renold très beau et juvénile. Il ne portait pas de barbe ni de moustache comme sir Alchior, il avait des cheveux blonds mi longs coiffés en une magnifique coupe dont quelques mèches tombaient gracieusement sur le côté gauche de son visage, lui conférant un air absolument séduisant. Sa fine bouche rose, ses lèvres charnues, son nez fin et droit, et ses yeux d'un bleu perçant, le jeune agriculteur dégageait un grand charme autant par son physique que par sa manière élégante de s'exprimer. Et son costume rouge bordeaux lui allait comme un gant.
__ Nous plantons des arbres fruitiers pour nous nourrir, repris le jeune agriculteur avec sérieux. Mais nous négligeons la grande répercussion qu'ils ont sur la nature et cela en autre faveur; car ils remplissent l'atmosphère d'oxygène pur que nous respirons et sont un abri parfois contre les mauvais rayons de soleil.
__ Je suis enchantée de constater que vous maîtrisez bien votre domaine et êtes bien instruit. On ne m'avait jamais présenté l'agriculture de cette façon et j'avoue que... c'est assez rentable comme activité si on s'y penche un peu plus. Ceci dit, j'espère que vous aurez d'autres occasions de m'éclairer davantage, conclue-t-elle à l'endroit de son interlocuteur.
__ Je l'espère aussi, renchérit le jeune homme en se levant.
Elle fit tinter la cloche pour faire signe à son majordome que l'entrevue était à présent terminée.
__ Bien.
__ Votre Majesté, la salua-t-il en s'inclinant simplement avant de regagner la sortie.
Dans le beau monde, on saluait les dames avec un baise-main surtout celles hautement estimées. Mais ils avaient reçu l'ordre de ne pas approcher la souveraine de très près sans son autorisation et avaient interdiction formelle de ne pas la toucher dans ce genre de circonstances. C'était ainsi et personne ne cherchait à savoir pourquoi.
Alexor partit appeler le prochain aspirant qu'Élinôr avait demandé à rencontrer. Elle profita de l'absence momentanée de son majordome et de l'humeur moin morose dans laquelle l'avais mise sa précédente entrevue pour se dégourdir les jambes car elle était restée trop longtemps assise. Elle se dirigea donc vers l'une des grandes fenêtres de son bureau, pour admirer le soleil couchant. Elle observait les couleurs crépusculaires déclinées lentement, et l'astre de feu qui terminait sa course journalière. Elle songea que telle était la vie de tout habitant terrestre ; un jour l'on brillait triomphalement et un autre jour l'on s'éteignait brutalement. Quel triste mais inévitable sort ! Elle, elle savait que tant qu'elle était vainqueur des combats, elle n'y passerait pas. Non ! Ce n'était pas son partage. Ils l'avaient rendu immortelle tant qu'elle faisait tout ce qui était en son pouvoir, pour remporter ses combats. Mais le jour où elle perdrait... elle préféra ne pas y penser. Malheureusement ce n'était pas le cas pour ces vingt hommes qui avaient débarqué au palais dans le prétexte de gagner les faveurs d'une femme. Bientôt certains ne seraient plus. "Quel triste sort !", pensa une fois de plus Élinôr. Ils auraient dû réfléchir à deux fois avant de s'engager dans un tel chemin. Désormais leur sort était scellé.
Le bruit de la poignée qui s'affaisse se fit entendre et la porte s'ouvrit aussitôt. Un nouveau prétendant était arrivé. "Pourvu qu'il est de la conversation, sinon il ira droit dans les cachots !" , pensa la jeune femme. Elle n'allait pas laisser passer une seconde faute aussi facilement. Elle s'était montrée bien généreuse envers le premier venue pour ne rien lui infliger...en tout cas pas tout de suite. Elle prit une mine moin grave et s'avança à pas vifs vers le jeune homme. Alexor le présenta :
__ Votre Majesté, Sir Héraclite d'Orion.
Le majordome s'inclina et se mit en retrait, et elle avança un peu plus, vers le jeune homme, ne remarquant pas qu'elle avait réduit de trop la distance qui les séparait. Il s'inclina à son tour pour la saluer.
__ Votre Majesté.
__ Sir d'Orion, le salua Élinôr.
Et sans qu'elle ne s'y attende, il prit sa main, et lui fit un baise-main.
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