Chapitre 8. I.

« Les contes de fées sont de jolies histoires, relatées par des auteurs mortels, que le vent a murmuré à leurs oreilles. Parfois belles, parfois tristes, elles dissimulent derrière leurs vers et leur beauté une bien plus sombre réalité... »

Parole de la conteuse, au sujet des contes de fée.

*

Les vagues roulaient sur la surface de l'océan, se fracassant contre la grève dans une houle peu encourageante. L'écume s'accumulait en d'immenses nuages blancs et gris qui empêchaient d'apercevoir le fond de l'eau. Cette dernière, troublée par les courants marins violents était si froide que personne ne se serait risqué à y glisser un pieds. C'était un coup à finir transformé en glaçon ! Ou dévoré par un monstre marin...

L'océan était bien capricieux ce jour là.

Mais ce n'était rien qu'un marin expérimenté ne pouvait surmonter ! Erik manœuvra habilement son bateau jusqu'à ce qu'il parvienne à l'arrimer au quai du petit port.

Selon la rumeur, son informateur avait élu domicile dans une petite maison sur une île non loin des côtes danoises. L'endroit était essentiellement habité par des vieux pêcheurs en quête de la tranquillité bienvenue que l'île offrait, loin de la folie des plages touristiques...

Le trajet d'Angleterre jusqu'au Danemark n'avait duré qu'une journée en bateau. Erik avait opté pour ce moyen de transport car il savait qu'il en aurait besoin pour ensuite se lancer à la poursuite de la sirène. La suite de la traque aurait lieu en mer à présent que la créature de la Lune avait dévoilé son jeu. Elle l'attendait. Et le faucheur exaucerait son souhait... Pour mieux accomplir sa mission.

Sautant de son embarcation, il mit pieds à terre, s'assurant que La Lorelei était bien attachée. Il préférait éviter de voir son précieux navire se décrocher et dériver au gré des vagues...
Scrutant attentivement l'île et le petit village de pêcheur, l'ancien roi paya distraitement la place d'amarrage au docker chargé de la surveillance du port, un homme peut avenant qui ne s'exprimait qu'à demi-mot, pas vraiment disposé à causer. Et comme Erik savait qu'il ne tomberait pas par le plus heureux des hasards sur celui qu'il était venu chercher, il avisa un pêcheur, occupé à décharger son chalutier un peu plus loin, avant de s'avancer vers lui.

Un instant, il hésita avant de prendre la parole.

La langue ne représentait absolument pas une barrière pour lui.

Au court de sa vie, Erik avait utilisé un bon nombre de langues, suivant les périodes et les lieux... Heureusement que tous les faucheurs étaient polyglottes et possédaient la merveilleuse capacité de comprendre et de pouvoir parler n'importe quelle langue, par instinct. Un don surnaturel bien utile lorsqu'il fallait voyager à travers le monde pour les chasses.

Certes, au sein de l'ordre, ils s'accordaient sur un seul argot. Fut un temps, tous parlaient le français, lorsque cette langue dominait le monde. Désormais, ils parlaient bien plus l'anglais.

Et il leur était impossible de deviner quelle langue ils parleraient le lendemain.

Mais aujourd'hui, Erik allait parler en danois pour la première fois depuis longtemps. Une langue si proche du vieux norrois...
Se raclant la gorge, il attira l'attention du pêcheur qui se redressa et se tourna vers lui. Le faucheur le dépassait d'une bonne tête, si bien qu'il devait presque se dévisser la nuque, enfoncé dans son grand anorak gris, le visage à moitié dévoré par une barbe blonde blanchie par le sel :

« Excusez-moi de vous déranger... murmura le tueur de sirène, avec respect.

La langue danoise lui laissa un arrière-goût sucré, presque agréable, en bouche. Certes, elle avait beaucoup changé depuis un millénaire, subissant mille et une influences, délaissant les dialectes vikings. Pourtant, elle gardait cet air de famille avec la langue que parlait Erik lorsqu'il n'était encore qu'un mortel, roi d'une île au large du pays.

— J'peux vous aider ? s'enquit l'homme, sobrement.

— Savez-vous où je pourrais trouver le vieux Hans à cette heure-ci ?

Le pêcheur le dévisagea, méfiant. Ses cheveux grisonnant en bataille, il avait un air revêche qu'Erik avait vu bien des fois chez ses semblables. Les marins pouvaient être de joyeux lurons, bon vivants et amicaux, mais il ne fallait pas troubler leur tranquillité.

— Je suis un ami, précisa le faucheur, comprenant qu'il lui fallait apporter plus de sa précision sur sa venue s'il ne voulait pas passer pour un semeur de trouble.

Il savait qu'avec sa forte carrure et son air froid, il pouvait parfois ne pas paraître avenant. À vrai dire, il se serait méfié de lui-même s'il ne se connaissait pas. Finalement, l'homme finit par lui répondre, lui désignant la route qui partait du port pour longer la côte, balayée par le vent frais.

— Le vieux Hans sort pas beaucoup. Vous l'trouverez dans la cabane à l'autre bout d'l'île. Il vous suffit de suivre la route des Cormorans jusqu'à son extrémité.

— Est-ce loin ?

— Vous en avez pour une petite heure de marche. Vous pouvez aussi essayer de demander à l'un de mes collègues de vous conduire... On n'sait jamais...

Malgré les sourcils broussailleux et froncés qui obscurcissaient le regard de son interlocuteur, Erik ne se départi pas de son sourire et secoua négativement la tête.

— Ne vous en faites pas, ça ira. Merci.

Son attention se porta sur le chemin. Marcher ne lui ferait pas de mal. L'air de la mer lui permettrait de regagner pleinement le contrôle de ses esprits et de peut-être arrêter de penser au rire de Meredith qui résonnait en boucle dans son esprit. De plus, en tant que faucheur, il avançait bien plus vide que le commun des mortels.

— Vous êtes de la famille ? s'éleva la voix du marin à ses côtés.

L'Immortel se retourna vers son interlocuteur, surpris. L'homme le dévisageait sans s'en cacher, curieux. Face à l'air étonné de l'ancien roi, il reprit :

— Le vieux Hans ne reçoit jamais. Je suppose que vous êtes de la famille...

Inconsciemment, le faucheur sourit. Les paroles du marin ne le laissaient pas indifférent. À vrai dire, il n'avait jamais vraiment bréfléchit à la question. Pourtant, à y bien penser, s'il y avait quelqu'un qu'il pouvait considérer comme un membre de sa famille en dehors de l'Ordre, c'était bien lui. Mais cela ne regardait en rien cet inconnu.
Passant une main dans ses courts cheveux bruns, il se contenta d'incliner la tête afin de saluer l'homme et souffla :

— Bonne soirée, monsieur.

— À vous aussi. »

Erik se détourna, quittant les quais pour suivre la route indiquée. Très vite, la partie goudronnée laissa la place à un chemin de poussière. Une voiture aurait eu bien du mal à circuler par là. Et encore, c'était à la condition d'avoir d'excellents amortisseurs...

Sur sa droite, la mer du nord s'étendait, bleu et immense sous le ciel gris. À sa gauche, c'était une lande recouverte de hautes herbes que le vent balançait qui meublait le paysage. La vue lui rappela soudain son ancienne île.

Sÿlt était une île du même genre que celle-ci. Plus grande peut-être. Des longues plages de sable séparaient la terre de la mer, bordées par des falaises de calcaire blanc. Sur les terres, les arbres formaient une petite forêt qui leur servait à construire leurs navires et quelques champs leur offraient le nécessaire. Le reste était recouvert de landes. Le centre de l'île était un peu plus en hauteur : une douce colline offrait chaque été une herbe verte pour les pâturages de chèvres et de moutons.

Un petit coin de paradis.

Son coin de paradis.

Et la mer avait tout englouti.

Il revoyait les fêtes qui se tenaient dans le champ au début de l'automne. Le grand arbre sacré sous lequel il s'était marié avec Astrid, lui confiant les clés de sa cité. La plage où il avait passé tant de beaux moments avec Meredith...

Meredith...

Malgré tous ses efforts, la sirène hantait ses pensées. Elle avait été si bonne comédienne durant la saison qu'elle avait passée à ses côtés... Pour feindre à ce point l'amour, c'était qu'elle était née pour jouer ce genre de rôle. La Lune avait bien choisi en l'envoyant elle, plutôt qu'une de ses sœurs.

À cette pensé, il sentit son cœur se contracter dans sa poitrine. Il en vint à regretter que celui-ci se soit réveillé à la vue de la sirène. Il désirait tant se débarrasser d'elle... Tant se libérer de la malédiction qu'elle représentait pour lui.

Le bruit d'un cormoran le tira de ses pensées. Il comprit vite pourquoi la route se nommait ainsi. Sur le bord du chemin, les grands oiseaux s'amassaient, étirant leurs ailes pour laisser le vent sécher leurs plumages noirs.

L'un d'eux semblait regarder le faucheur, sa petite tête penchée sur le côté. Un instant, Erik resta admiratif face à l'oiseau. Dans un battement d'ailes élégants, celui-ci s'envola. Le brun le suivit du regard son vol avant de se figer, soudain gagné par une étrange émotion qu'il ne parvenait guère à nommer. Le cabanon dont lui avait parlé le pêcheur était visible.

La petite maison se dressait sur une falaise, entourée par la lande. C'était un bâtiment rudimentaire, fait en pierres brunes, et dont les volets étaient peints en blanc. Une cloche pendait devant la porte. Le faucheur sentit une pointe de nervosité percer en lui qu'il étouffa aussitôt.

Il hâta le pas, atteignant le seuil en quelques grandes enjambées. Prenant une profonde inspiration, il tira sur la corde et le tintement de la cloche résonna dans l'air, tranchant le silence paisible du décor. Des pas s'entendirent à l'intérieur du bâtiment. Puis le bruit d'une clé dans la serrure.

La porte s'ouvrit, laissant apparaître un vieil homme, dont les traits avoisinaient peut-être la soixante-dizaine d'années. Son front large, marqué par des rides, surmontait deux yeux bleux, presque gris, qui s'éclairèrent soudain à la vue du faucheur. Les lèvres fines de l'homme s'étirèrent en un fin sourire. Erik le lui rendit, sentant une vague de bonheur l'envahir, mêlée à de la nostalgie, ce mélange de sentiment que l'on ressent lorsqu'on retrouve un vieil ami qu'on n'espérait plus revoir... Tentant de maîtriser son émotion, le faucheur fut le premier à rompre le silence, sa voix grave et rauque s'élevant en un murmure chaleureux :

« Bonsoir, Andersen. »

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