Chapitre 7. II.

« Pitié Erik, dis-moi que c'est une plaisanterie, implora Olaf, à qui le tueur de monstre venait de raconter sa mission, avec honnêteté.

Le brun passa une main dans ses cheveux, l'air las, avant de s'emparer de son harpon et de se mettre à nettoyer la pointe frénétiquement dans l'espoir de passer sa frustration.

— J'aimerais pouvoir te le dire.

— Alors, cette garce est vraiment de retour ?

Erik tressaillit. Entendre son ancien élève qualifier son ex-amante de garce avec tant de véhémence le frappa de plein fouet. Inconsciemment il grimaça avant de se reprendre.

— Oui, elle l'est.

— Elle ne t'a pas tuée ?

Un rictus amer étira les lèvres du brun. Lentement, il secoua la tête de gauche à droite.

— Je ne crois pas que cela fasse partie de ses projets dans l'immédiat.

— Peut-être veut-elle jouer avec toi comme elle le fit autrefois ?

— C'est déjà bien plus probable.

Le jeune homme poussa un soupire dramatique, cessant de faire les cent pas et dévisageant son mentor.

— Quel merdier !

— À qui le dis-tu...

Un instant, le silence plana au-dessus de leur tête, lourd de tension. Erik ne pouvait s'empêcher de penser aux évènements des derniers jours. Tout était allé si vite... Dans sa poitrine, son cœur qui venait de recommencer à battre était encore douloureux. Meredith était revenue, et avec elle, venait de réapparaître toute la souffrance qu'elle avait causé, tous les ravages, tous les carnages... Et tous les sentiments, bons comme mauvais.

Loin de se douter de l'orage qui avait pris possession de l'être de son ancien mentor, Olaf s'enquit :

— Tu vas donc aller le voir ?

Le marin acquiesça.

— Il y a des choses que je dois comprendre.

— On raconte que c'est un solitaire, qu'il est bourru... Il ne t'aidera probablement pas. Peut-être même qu'il te chassera à coup de bâton.

Le coin des lèvres de l'ancien roi tressaillit, signe qu'il se détendait enfin un peu.

— Scarlett a été élevée par un solitaire, et c'était un homme bien, selon elle.

— Scarlett est amoureuse d'un ancien monstre, tous les hommes sont bons pour elle, rétorqua le blondinet.

Erik faillit rire. Pourtant, se moquer de la meilleure amie d'Aurore n'était pas vraiment juste. La petite blonde était d'une gentillesse et d'un optimisme qui faisait du bien. Retournant au vif du sujet, il souffla :

— Et puis, c'est un pacifique. C'est même la raison de sa solitude.

Erik se pinça l'arête du nez. Parfois, il se demandait s'il n'aurait pas mieux fait d'emprunter cette voie lui aussi. Puis il se rappelait ce qu'il devait à la Mort. Olaf avant récupéré son sérieux lui aussi.

— J'espère qu'il aura tes réponses.

— La conteuse me l'a assuré.

Son ancien élève voulu répondre. Mais ses mots moururent aussitôt dans sa gorge quand une ombre se découpa dans l'entrée de la chambre. Alarmé, Erik releva la tête. Il écarquilla des yeux en voyant le Patron. Droit, les mains croisées dans son dos, il scrutait les deux amis de son regard d'acier. Sa présence venait de jeter un froid sur l'atmosphère déjà lourde. L'ancien roi cessa un instant de s'occuper de ses armes, ses muscles se crispant sous la tension. Il inclina la tête avec respect à la vue de l'homme austère qui se découpait dans l'entrée.

— Patron...

— Bonsoir Erik. Olaf...

— Bonsoir m'sieur !

Calmement, il toisa les deux faucheurs qui échangèrent un regard. Il était rare que le Patron se déplace ainsi. En générale, il convoquait les faucheurs dans son bureau lorsqu'il avait à leur parler. Le fait qu'il ait prit la peine de venir jusqu'à eux était bien la preuve que quelque chose n'allait pas.

Une sirène revenait d'entre les morts et tout partait en vrille !

— On m'a appris, commença le Patron avec neutralité, que vous n'êtes pas parvenus à tuer la sirène.

Le Faucheur grimaça à cette idée. Il revit la scène sur ses yeux. Meredith effleurant ses lèvres des siennes avant de le repousser et de s'enfuir. Prudent, il se borna à répondre simplement :

— Elle m'a échappée.

— Et vous êtes rentré ?

— Il me fallait des informations, une piste... Quoique ce fut !

— En avez-vous une ?

Erik hésita avant de répondre. Cet interrogatoire le rendait nerveux, bien qu'il conservât son calme. Quelque chose dans le ton de son supérieur le rendait méfiant, suspicieux. Pourtant, il dû bien répondre et finit par lâcher, dans un soupire :

— Oui. Oui, j'en ai une.

Le Patron leva un sourcil interrogateur et c'est Olaf qui prit la parole, passant une main dans ses courts cheveux blonds :

— Andersen.

Ce simple nom suffit à faire grimacer l'austère homme. Il hocha la tête avec raideur, dévisageant les deux faucheurs face à lui avant de reprendre, avec plus de méfiance :

— Comptez-vous repartir en chasse, Erik ?

— Je n'abandonnerai pas cette mission si c'est là votre question.

L'ancien roi était gagné par une détermination rare en ce monde. À présent qu'il avait sa piste, savoir qu'elle errait en liberté, attendant qu'il la retrouve, suffisait à alimenter sa hargne.

Le père de Valentin plissa des yeux, pinçant un instant les lèvres. Il paraissait réfléchir. Sa présence ne faisait que faire augmenter le malaise dans la pièce. Il finit par se tourner vers Olaf et par ordonner :

— Laisse-nous.

Le tueur de sorcière ouvrit la bouche avant de la refermer aussi sec. Protester contre le Patron n'était pas l'idée la plus futée au monde. Lançant un regard désolé à son mentor à l'idée de l'abandonner seul avec cet homme, il s'éclipsa, discret comme un fantôme.

Passant une main dans sa courte barbe grisonnante, le Patron se tourna vers Erik qui n'avait pas perdu son calme, occupé à nettoyer ses armes.

— Je vous fais confiance, Erik. Ne croyez pas l'inverse. Récemment, de nombreux évènements ont eu lieu, m'indiquant que du côté de la Lune, il se préparait des choses. Je ne peux que vous exhorter une fois encore à vous montrer méfiant.

La situation commençait à inquiéter le Faucheur. Pour que l'homme à la tête de l'Ordre prenne ainsi la parole, lui révélant des choses lui qui était d'ordinaire si secret, c'était que les choses étaient pires que ce qu'il avait imaginé. Oubliant toute sa réserve, il se redressa quelque peu et s'enquit :

— Amadeus êtes-vous sûr que...

Son interlocuteur se raidit aussitôt, comme frappé par ce nom, et l'ancien roi se figea net. Le prénom du Patron lui avait échappé par accident. Il le connaissait mais ne l'utilisait jamais. À vraie dire, il faisait partie des rares faucheurs à connaître le nom de celui qui les guidait. Se renfermant aussitôt, le tueur de monstre marmonna :

— Excusez-moi.

Le Patron chassa les excuses d'un geste de la main, son masque impartial s'étant recomposé, dissimulant la vive surprise qui avait un instant auparavant étiré ses traits sévères.

— Non, cela fait plus d'un millénaire que nous nous connaissons. Je crois que nous avons dépassé ce stade.

Erik se raidit un peu plus. Il n'y avait plus rien d'habituel à cette discussion. L'homme face à lui, semblait avoir abandonné l'espace d'un bref moment son rôle de dirigeant. Pour la première fois, il semblait presque humain. Atteignable. Faillible. Et pourtant, tout dans son apparence le démentait. Il y avait longtemps qu'il avait abandonné toute forme de sentiments, se dévouant corps et âmes à la Mort.

Le tueur de monstre savait ce que cela faisait. Ce dernier millénaire, son cœur avait cessé de battre. Au sens propre du terme. Pourtant, jamais il n'avait atteint ce stade d'insensibilité qu'Amadeus affichait au quotidien. Erik avait été capable de s'attacher à ses compagnons d'arme, de tisser des liens, d'afficher autre chose qu'une froide et austère indifférence. Ce n'était pas le cas du Patron.

— Je sais que vous ne m'aimez guère. Peu sont ceux qui m'apprécient dans cet Ordre. Mon propre fils me défie constamment. Mais sachez que quoique j'aie pu faire, je l'ai fait pour l'Ordre et pour la Mort.

— Je n'en ai jamais douté. Êtes-vous sûr que tout va bien ?

Le descendant du premier des faucheurs soupira, ses épaules s'affaissant légèrement. Il plongea ses yeux d'un bleu si glacial dans ceux plus marins du Faucheur. Sa voix grave et sévère s'éleva, résonnant étrangement aux oreilles de son interlocuteur :

— J'ai reçu un message. Un message venu de la Mort.

Erik se figea. Inconsciemment, il était bien plus attentif, presque impatient alors que ses tripes s'étaient contractées dans l'attente de la suite. Il se doutait bien que le Patron entretenait avec leur déesse un lien particulier voire même que celle-ci communiquait avec lui. Mais jamais, jamais cet homme si vieux et si mystérieux n'en avait dit mot. Cela faisait partie de ces secrets que les simples faucheurs ne connaitraient jamais. Des secrets que le Patron emporterait dans sa tombe s'il venait à mourir et que Valentin, si tant était qu'il était au courant, conservait en son cœur, bien décidé à ne rien dire.

Malgré leurs dissensions connues de tous, les membres de la lignée des Patron demeuraient loyaux envers et contre tout. Et surtout envers et contre la Lune.

Amadeus toisa le Faucheur de son regard de lynx, l'air de juger si oui ou non il se devait de continuer. Puis il finit par abdiquer et, un rictus sardonique étirant ses lèvres, il lâcha, avant de se retourner et de quitter la salle, laissant derrière lui un Erik déboussolé :

— Elle ne veut pas que vous tuiez la sirène. Du moins, pas tout de suite. »

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