Chapitre 5. II.

« Et voilà... La vérité... Toute la vérité, susurra la sirène, plongeant son regard jaune dans celui du Faucheur. Est-ce cela que tu désirais ?

Erik resta figé quelques instants. Il voulait la vérité, il l'avait eu. Cette vision le replongeait un millénaire en arrière, alors qu'il se tenait sur cette falaise, découvrant pour la première fois le véritable visage de Meredith. Et comme cette fois-là, il serrait entre ses doigts une dague argenté, finement ciselée. Mais le métal le brûlait, autant que son tatouage sur son bras, autant que son sang dans ses veines. Le faucheur n'était pas effrayé ou impressionné par cette apparence à la fois repoussante et hypnotique. Elle lui rappelait simplement ce passé qu'il tentait d'oublier.

Meredith rentra légèrement la tête dans ses épaules avant de s'enquérir de cette voix venimeuse et enchanteresse :

— Si tu as voulu que je reprenne cette apparence, c'était pour pouvoir me tuer plus facilement ?

— Je t'aurais tuée, peu importe ce à quoi tu ressembles... À un ange comme à un monstre.

Il avait répondu froidement, sans laisser transparaître la moindre émotion. Le sourire narquois de la sirène s'agrandit alors qu'elle penchait la tête sur le côté.

— Aouch ! Tu es cruel Erik, cela ne te ressemble pas.

— Il est vrai que la cruauté est plutôt ton apanage.

Le sourire enjôleur qu'elle lui adressa ne l'atteignit même pas. Il avait récupéré pleine possession de ses moyens. Pour lui, le jeu était fini. Mais la sirène semblait ne pas être de cet avis. D'un ton langoureux, elle interrogea, son corps ondulant presque à la manière des serpents :

— Te plais-je encore, ainsi ?

— Si tu avais un tant soit peu d'humanité, tu saurais qu'il n'y avait pas que le physique qui m'attirait chez toi. Malheureusement, physique ou caractère, tout n'était qu'une illusion.

Le faucheur était amer en prononçant ces mots. Il se rappelait encore des paroles d'Olaf, l'enjoignant à ne pas se laisser gagner par ses émotions. Il pensait en être capable. Peut-être l'était-il. Mais lorsqu'une plaie n'avait pas cicatrisé correctement, elle risquait de se rouvrir trop facilement. La créature face à lui le savait, elle en jouait.

— Si tout n'était qu'une illusion, comme tu le prétends, alors ton amour n'était pas réel... Ce n'était qu'une illusion, lui aussi.

Erik leva les yeux au ciel, s'approchant d'un pas, toisant la sinistre femme.

— Tout comme le tien, Meredith. Tout ce que tu as fait durant cette saison passée à mes côtés, c'est proférer des mensonges.

— Est-ce ce que tu te dis la nuit, avant de t'endormir ? Cela t'aide-t-il à apaiser ta conscience ?

Cette fois-ci, l'agacement revint. Il lui sembla que les seules choses que Meredith était capable de lui faire ressentir étaient la rancœur, la peine et l'agacement. Las, il soupira :

— Que racontes-tu ?

Le regard qu'elle lui lança était éloquent. Quelque chose de différent brûlait dans ses iris inhumains, et c'est dans un murmure qu'elle répondit, changeant tout à coup d'attitude :

— Parfois, l'illusion est illusion elle-même...

L'ancien roi fronça des sourcils en entendant ces paroles sibyllines. Il peinait à en saisir le sens. Ou bien, il doutait de ce qu'il pouvait avoir compris. Le silence plana un instant entre eux. Son ex-amante restait tranquille tandis qu'il se demandait si le moment était opportun pour enfin mettre fin à tout ceci.

Un bruit les interrompit soudain.

Le serveur se tenait derrière le bar et dévisageait la sirène avec horreur. Son regard s'écarquilla plus encore lorsqu'il remarqua la dague dans les mains du faucheur. Paralysé, il semblait sur le point de faire une attaque. Meredith ricana, retrouvant tout à coup son tempérament mesquin.

— Oh, je l'avais oublié celui-là.

Erik comprit au quart de tour. Mais avant qu'il ne puisse réagir, malgré tous ses dons surhumains, la créature de la Lune se retrouvait déjà derrière l'homme, maintenant son crâne d'une poigne ferme, et dévoila ses canines acérées qu'elle s'apprêtait à enfoncer dans la jugulaire du pauvre humain.

— Ne fais pas ça Meredith ! ordonna l'Immortel, sa poigne se resserrant autour du manche de son arme.

— Ou sinon quoi ?

Le long de ses bras fins, des écailles noires apparaissaient puis disparaissaient. Un rire fou s'échappa de sa gorge claire alors qu'elle persiffla :

— Tu as déjà prévu de me tuer, mon amour. Alors un de plus, un de moins... Considère cela comme le dernier repas d'une condamnée.

— Tu n'as pas l'intention de mourir, Meredith. Loin de là. Cesse ton cinéma. Si c'est moi que tu veux, laisse ce pauvre homme partir.

Elle secoua vivement la tête de gauche à droite, ses cheveux d'ébène s'agitant au gré de ses mouvements. De ce ton traînant qu'elle prenait souvent, révélateur du peu d'émotions qu'elle ressentait, elle soupira.

— Tu n'as rien compris, Erik. Toujours pas. Ce n'est pas grave, tu comprendras bientôt.

— Comprendre quoi ?

— Je n'ai jamais voulu te tuer. Ni même t'affronter.

Il y eut un instant où Erik comprit. Quoiqu'il puisse faire, rien n'arrêterait la sirène face à lui. Cet humain était perdu et lui, bras armé de la Mort, ne pouvait rien faire pour empêcher cette horreur d'arriver.

Meredith plongea dans la gorge du serveur, refermant sa mâchoire autour du cou, perçant la chair avec voracité. Tout ce que pu faire le Faucheur, se fut de s'étouffer :

— Non !

Trop tard. Elle avait déjà arraché la jugulaire, se repaissant du sang qui coulait en abondance de la gorge du pauvre homme. Sans jamais quitter du regard l'ancien roi, elle satisfit son appétit avant de prendre la peine de lécher le liquide écarlate qui coulait le long de la peau pâle du cadavre. Son geste était évocateur et son double sens emplit de rage le tueur de monstre.

Erik eut envie de hurler, d'exploser. Mais il ne pouvait se le permettre. Il ne pouvait montrer sa faiblesse à son ex-amante.

Profitant du moment d'ivresse de la sirène, il saura par-dessus le bar, la percutant de plein fouet. Emportés par son poids, ils roulèrent au sol, dans un mélange de feulement et de coups. Mais le Faucheur parvint à reprendre le dessus, bloquant Meredith sous son corps, et ses bras sous ses jambes. Elle ne pouvait plus bouger. Une lame se tenait sous sa gorge, l'autre pointée en direction de son cœur, la pointe de métal commençant même à s'enfoncer dans la chair de sa poitrine.

— Je te hais, vociféra-t-il.

Elle esquissa un sourire presque peiné, teinté de rouge, ses grands yeux plongeant dans les siens. Et d'une voix basse, lente, comme si elle prenait toutes ses précautions, elle rétorqua :

— Tu m'aimes.

Ces mots troublèrent le Faucheur qui se figea. Bien malgré lui, il avait replongé dans des souvenirs qu'il aurait voulu oublier tant ils lui étaient odieux... et doux à la fois.

« Je vais t'attraper ! tonna la voix grave et puissante d'Erik, rompant le silence qui régnait paisiblement.

Le rire clair de la jeune femme s'envola dans l'air, cristallin. Un son enchanteur qui berçait le cœur du roi viking. Il avait l'impression que chaque parole, chaque son que daignait produire Meredith était pour lui une bénédiction venue des dieux. De Freyja elle-même peut-être !

Grimpant sur un rocher au milieu de la plage, le vent soulevant le tissu de sa robe brune, la gracieuse jeune femme lui lança un sourire espiègle. Elle ressemblait à une mouette, perchée ainsi sur la pierre, en proie au vent. Ses cheveux s'agitaient, formant une couronne de flamme et le soleil la berçait d'un halo divin.

Muettement, ses lèvres bougèrent pour formuler des mots sans sons qu'Erik dû deviner :

— Attrape-moi si tu peux !

Il sourit à cette invitation. Face à l'allégresse de ce moment il en oubliait les batailles, les charges de roi, tout le reste... Il n'y avait qu'eux.

Alors que l'homme grimpa sur le rocher, prêt à attraper son amante, celle-ci bondit agilement, lui échappant de peu. Et son rire s'élevait à nouveau, irréel.

Loki doit t'avoir bénie pour que tu sois aussi rusée, Mer, s'amusa le roi.

Elle se contenta de sourire, enfonçant la tête dans ses épaules, malicieuse, le rideau de sa chevelure couvrant son visage. Erik descendit à son tour et s'avança vers elle alors qu'elle reculait à pas lent, taquine. Soudain, il bondit vers elle, saisissant sa taille entre ses mains larges pour l'attirer à lui et la presser contre son cœur. Meredith se mordit la lèvre inférieure, plongeant son regard dans le sien tandis qu'il murmura, de sa voix rauque :

Je t'ai eu ! Quelle est ma récompense ?

Elle approcha son visage du sien, effleura ses lèvres des siennes mais avant qu'il ne puisse lui voler un baiser, elle se laissa tomber au sol, l'entraînant avec elle.

Ils roulèrent sur le sable jusqu'à ce qu'il ne la surplombe, gagnant enfin leur petit jeu. Ils étaient heureux ainsi, sur cette plage déserte, sous le soleil de cette belle journée, bercé par le bruit des vagues. Erik laissa ses doigts rudes de marin courir le long de la gorge de la jolie rousse, prêt de son cœur, chatouillant ses chairs avec amour. Elle ne bougea pas, étendue sur le dos, un sourire mutin aux lèvres alors que sa poitrine se soulevait au rythme de sa respiration profonde. Elle était belle, si belle... Un ange tombé du ciel pour lui. Le brun n'avait jamais été aussi heureux qu'à cet instant. Se penchant par-dessus le visage de la jeune femme, il frotta un instant son nez contre le sien avec une tendresse certaine et murmura, comme une confidence faite au creux de l'oreille :

Je t'aime, Mer. »

Un instant, elle caressa sa joue du bout des doigts, plongeant son regard vert dans celui océanique du roi. Et toujours sans un mot, elle déposa ses lèvres sur les siennes en un baiser passionné, plein de promesse. À cet instant, jamais Erik ne douta de son amour pour lui.

Erik s'arracha à cette vision, violemment. Ses mains tremblaient... Secouant la tête avec vigueur, il exerça un peu plus de pression sur larme qui menaçait le cœur de la créature pécheresse. Avec hargne, il rétorqua :

— Non, je t'aimais. Plus maintenant.

Il l'avait dit avec tant de conviction, qu'une lueur de doute vacilla dans le regard de Meredith. Le Faucheur sentit une vague de satisfaction le gagner à cette vision. Il pouvait le faire. Il pouvait la tuer à nouveau. La créature leva le menton, méprisante. Ses yeux lançaient désormais des éclairs et tout chez elle, absolument tout rappelaient le monstre qu'elle était : que ce soit les écailles qui apparaissaient çà et là, le sang autour de sa bouche ou la haine qui tordait ses traits. D'un ton à la fois amer et fébrile, elle cracha :

— Alors tue-moi. »

Erik leva sa dague, prêt à l'abattre. Mais soudain, son cœur frémit dans sa poitrine. Avant de s'emballer furieusement. Et malgré toute sa détermination, toute sa volonté, toute son ardeur de Faucheur à vouloir enfin tuer cette sirène, il ne le put. Quelque chose retint son geste, une déchirure venue de l'intérieur et qui le rongeait tout entier. Sa main qui tenait le poignard s'était mise à trembler alors qu'il luttait intérieurement pour s'échapper de cet étrange état qui le gagnait, pour échapper à son désespoir.

Il devait la tuer, il le savait. Mais l'ancien roi ne le pouvait pas.

Le sourire de la sirène s'agrandit plus encore lorsqu'elle eut la confirmation qu'il n'en ferait rien. Un instant elle approcha son visage du sien, effleurant les lèvres du Faucheur. Celui-ci grimaça de dégoût. Puis soudain, elle renversa leur position d'un mouvement de la hanche avant de se relever et de s'enfuir à toute vitesse par la porte ouverte du bar.

Reprenant ses esprits, Erik bondit sur ses pieds et se jeta à sa poursuite. Mais il arriva trop tard. Elle avait déjà plongé dans les flots tumultueux de l'océan. Il ne restait plus que lui, sur les quais vides. Plus que lui, sa rage et sa frustration.

Perdant pour de bon son calme, il poussa un grognement de rage, déchirant sa poitrine, déchirant la nuit.

Il avait échoué.

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Et voilà, fin du premier aperçu de Meredith, notre petite sirène... derrière laquelle se cache la véritable sorcière des mers ;)
Alors, que pensez vous de ce tout nouveaupersonnage ?
Une chose est certaine, Meredith vous réserve encore bien des surprises !

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