Chapitre 17. I.
« De leur déchirement, la Lune et la Mort, qui jadis étaient sœurs, unies dans un royaume sans frontières, brisèrent les liens sacrés entre le royaume des morts et celui de la nuit. Et l'Océan fut partagé entre les deux.
Dans ses profondeurs pouvaient se cacher les plus terribles créatures comme les plus grandes merveilles. Et il était difficile de dire à laquelle des deux catégories les sirènes appartenaient... »
La Mort et La Lune. Un conte de deux déesses.
Auteur inconnu.
Date : antérieur à l'an 0.
*
« Erik...
L'Immortel émergea du sommeil difficilement, ses yeux gris se posant sur la sirène, penchée au-dessus de lui. Autour d'eux, la chambre était plongée dans une pénombre des plus totales. Seule sa vision de faucheur lui permettait de distinguer la pièce. Se redressant lentement, il fronça des sourcils alors que Meredith retomba sur ses talons, au milieu des draps. Ses yeux jaunes luisaient étrangement dans l'obscurité.
— Qu'y a-t-il ? s'enquit-il, surpris par ce réveil nocturne.
Elle pencha la tête sur le côté, un sourire malicieux se peignant sur ses lèvres. Autour de son corps à moitié dénudé, ses boucles noires formaient une crinière qui, dans la nuit, lui conférait un aspect presque fantomatique.
— Je t'ai promis de faire des efforts pour être honnête et ne plus mentir, alors je te préviens : j'ai une terrible et irrépressible envie de sortir prendre l'air. Non pas que je ne t'aime pas toi, ou ton corps, mais c'est soit ça, soit je te bouffe.
Disant cela, elle dévoila ses crocs en une expression mutine, provocatrice. Erik plissa tout de même les yeux, peu certain d'avoir compris.
— Tu souhaites te nourrir ?
— Bien sûr, je vais attraper un écureuil, c'est mon plat favori ! Ne le savais-tu pas ?
Son ton, empli de sarcasme, arracha un sourire au faucheur. Ses épaules se détendant, il la contempla silencieusement, alors qu'elle reprenait, un peu plus sérieuse :
— C'est une plaisanterie... Je veux juste m'évader et profiter de la nuit pour retrouver un peu cette sensation de liberté qui m'est si chère. Je hais ce manoir de tout mon cœur.
Il comprenait. La sirène n'était pas faite pour vivre ainsi, dans un manoir. Libre comme l'eau, elle avait passé sa vie à voyager et errer dans les mers du monde. Lui demander de rester indéfiniment serait comme vouloir enfermer l'océan dans une coupe de cristal. Erik n'avait pas l'intention d'entraver cette créature si fascinante qu'il avait tour à tour aimé, haï, puis aimé de nouveau.
Entourant de son bras la taille de la créature marine, il l'attira un instant à lui, alors qu'elle se hissa sur ses genoux. Malgré sa grande taille et sa force, elle n'était pas bien lourde pour l'Immortel qui murmura, plongeant son regard dans le sien :
— Promis, quand tout sera finit, nous trouverons un espace plus tranquille, plus calme.
Elle esquissa un sourire, l'air de ne pas y croire. Pourtant, elle joua le jeu et proposa :
— Pourquoi ne pas vivre sur ton bateau ?
— Excellente idée !
Les yeux du faucheur scintillaient. Il semblait purement heureux. Se penchant à son oreille, elle susurra :
— Voyons, mon amour, nous savons tous deux que ton Ordre ne te laissera jamais partir...
— Je pourrais exercer mon droit de retraite. Et puis tu sais, je pense encore être libre de choisir mon propre destin ! réfuta-t-il, son emprise autour des hanches de la sirène s'accentuant.
— Un destin que tu voudrais construire au côté d'une sirène un poil sanguinaire ?
Disant cela, Meredith pencha la tête sur le côté, une petite moue suspicieuse et moqueuse étirant ses lèvres fines. Mais sans se laisser déstabiliser, Erik se contenta de souffler :
— Ce qu'on ne ferait pas par amour...
Cette réponse sembla la déstabiliser l'espace d'une fraction de seconde puisqu'elle fronça des sourcils, peu habituée à ce genre de déclaration. Elle avait l'impression de vivre quelque chose d'irréel. Un rêve. Et que bientôt, ce songe merveilleux se briserait, que ce soit à cause de la Lune, de la Mort, ou bien du reste du monde.
Mais très vite, cette méfiance née d'années à servir une cause destructrice s'envola alors que le faucheur passait une main dans sa chevelure, longeant son dos jusqu'à ses reins pour la presser plus encore contre lui.
Sans plus attendre, elle se pencha au-dessus de son visage et l'embrassa, presque chastement, avec une tendresse inimaginable pour une créature telle qu'elle. Erik répondit aussitôt à son baiser, comme si c'était la chose la plus naturelle au monde. Avec ce geste, cette douceur, ce partage au cœur de la nuit, c'était presque une promesse muette qu'ils scellaient. C'était une véritable geste d'amour. Et il en vint à souhaiter que le temps s'arrête pour que les choses demeurent ainsi pour toujours.
Au bout de quelques secondes cependant, leur goût pour la luxure rejaillit et le matin approfondit le baiser plus encore alors que son désir pour elle se réveillait. Les cuisses de la sirène se resserrèrent autour des hanches de son amant alors même qu'il laissa ses mains glisser plus bas encore pour empoigner ses courbes tentatrices. Dans ses veines, son sang se réchauffait alors que son cœur accélérait dans sa poitrine, son esprit s'embrumant pour de bon, occultant le reste.
N'en faisant pas cas, Meredith se détacha finalement de lui, mettant fin à ce baiser qui aurait pu facilement déraper, lui lançant un regard presque moqueur. Elle aimait trop jouer avec ses sentiments et son désir pour s'en lasser. Et il ne lui en tenait pas rigueur, tant qu'il avait la certitude qu'au fond d'elle, elle l'aimait réellement et que c'était simplement sa façon à elle de le lui démontrer. Un peu tordu, un peu particulière... Mais si sincère !
Gagnée par une joie rare pour une créature telle qu'elle, presque enfantine, elle bondit sur ses pieds, enfilant rapidement ses vêtements et ses chaussures. Erik, qui s'était rallongé mais continuait à l'observer, un léger sourire aux lèvres, souffla alors qu'elle se dirigeait vers la porte :
— Pas de bêtises, Mer.
Avec un dernier clin d'œil, elle lança à l'intention du faucheur :
— Pour qui me prends-tu ?»
Il ne répondit pas. Malgré sa bonne volonté, il savait que la créature de la Lune se cachait toujours là-dessous. Mais il n'en laissa rien voir et l'observa disparaître, d'un pas aussi léger que l'écume, dans les couloirs du manoir, bien décidée à savourer son instant de liberté nocturne.
Lorsque Meredith mit pieds dehors, la sensation du vent froid contre sa peau lui provoqua aussitôt un frisson de plaisir. Si elle fermait les yeux, elle pouvait presque avoir l'impression de se retrouver sur une falaise en bord de mer. Le bruissement du feuillage se transformait en l'éternelle mélodie des vagues...
L'océan lui manquait terriblement. Elle était une créature marine. Elle ne vivait que pour les fonds marins. Sans que la fraicheur nocturne ne la dérange, elle franchit la barrière qui protégeait le manoir pour s'enfoncer dans les bois. Là, elle laissa ses pas la mener et ses pensées s'envoler. Sous ses pas, les branches et les feuilles crissaient. Si elle n'était pas à l'aise en forêt en temps normal, elle préférait toujours cela à être enfermée dans ce bâtiment... La sensation d'être à l'air lire supplantait le reste.
La sirène ne pouvait s'empêcher de penser à la discussion qu'elle avait eue avec la Lune et de frissonner à ce souvenir. La déesse, présente ce soir-là dans le ciel, semblait bien décidée à ne pas laisser sa créature lui échapper. Pourtant, Meredith avait fait son choix, un choix qu'elle ne regrettait pas et qu'elle désirait assumer jusqu'au bout. Sa détermination grondait en elle avec la force d'un raz de marée...
Malgré ses instincts et sa soif de sang toujours présente, elle trouvait dans l'amour une exaltation merveilleuse qu'elle avait longtemps cherchée. Son péché d'orgueil s'en retrouvait satisfait. Et de plus, elle pouvait rassasier l'attachement démesuré qu'elle éprouvait pour Erik. Un attachement réciproque qui, sans qu'elle ne puisse se l'expliquer, provoquait en elle une satisfaction immense, une euphorie folle, qui dépassait celle du sang et du mal. Tant et si bien qu'elle avait abandonné ces deux dernières au profit de la première. Tant pis si elle aimait pour pouvoir être aimée... Il n'y avait qu'ainsi qu'elle se sentait libre.
Meredith ne craignait pas de se perdre dans les bois. Elle saurait retrouver le chemin du manoir en temps voulu. Pour l'instant, elle désirait simplement jouir de cette liberté que le faucheur lui avait offerte.
Se sentant soudain observée, la sirène se raidit, sur ses gardes. Des écailles apparurent le long de son bras avant de laisser à nouveau place à sa peau pâle. Attentive, ses yeux perçants balayèrent le bois autour d'elle. Mais elle était seule. Seule et maîtresse d'elle-même. Peut-être sa trop grande méfiance influençait-elle son instinct ?
La Lune avait été claire, elle ne lui pardonnerait par sa rébellion. Pourtant, le déchirement en elle, s'apaisait, au fil du temps. Cela, elle ne le devait à aucune déesse. Elle le devait à Erik, aussi fou cela puisse-t-il paraître.
Son regard se posant sur l'astre, Meredith ne put s'empêcher d'esquisser un sourire moqueur et d'effectuer un geste provocateur à son encontre.
Elle n'appartenait plus à personne hormis elle-même !
*
Non loin de là, toujours dans les bois qui appartenaient au domaine des faucheurs, une autre sirène se dissimulait dans l'ombre. Assise sur un rondin, elle jouait avec sa dague, un sourire mauvais aux lèvres
Melissandre avait retrouvé la piste de son aînée.
Cette dernière semblait avoir oublié que le lien qui l'unissait à ses sœurs faisait qu'à tout jamais, elles étaient unies, à travers le temps et l'espace. On n'échappait jamais à la Lune... Meredith ne serait pas une exception.
Son regard posé sur une petite cabane de gardien forestier qui lui faisait face, la deuxième sœur écoutait attentivement la respiration de son occupant et les battements de son cœur apaisé que son ouïe percevait. Les yeux jaunes de la sirène glissèrent un instant vers le ciel où les étoiles scintillaient aux côtés de la Lune.
Il était temps désormais.
Se relevant, elle s'avança vers le cabanon avant de sonner à plusieurs reprises. Au bout de quelques minutes, la porte s'ouvrit, dévoilant un vieil homme dont les traits se figèrent en une expression de surprise à la vue de cette étrange femme qui se tenait sur son palier.
Mais Melissandre ne lui laissa pas le temps de réagir. Soudain, elle plongea ses crocs dans la gorge du gardien, déchirant sa jugulaire et s'abreuvant de son sang. Sa nature de sirène s'extasia face à ce repas délicieux et elle redoubla de violence. Étouffant les cris de l'homme d'une main, elle redoubla d'ardeur jusqu'à ce qu'il meure, et là encore, elle poursuivit son dîné jusqu'à qu'il ne reste plus la moindre goutte de sang.
La sournoise créature, une fois rassasiée, esquissa un sourire mauvais avant de se saisir d'un poignard. Lentement, avec précision, elle se mit à tracer sur le front de sa victime un coquillage. Ses mains ne tremblaient pas tandis qu'en parfait faussaire, elle imitait cette signature qui n'était pas la sienne. La spirale creusée à même la chair ne laissa presque pas s'échapper du sang tant le pauvre homme était vidé de ce liquide si précieux, si vitale.
Lorsqu'elle eut finit sa macabre œuvre, elle l'admira quelques instants avant de plonger sa main dans la poitrine inerte et d'en arracher le cœur, encore chaud. La sensation que celui lui procurait était enivrante, maléfique... Un appel à commettre toujours plus de mal. Et lorsqu'elle brandit l'organe en un signe victorieux, elle laissa échapper un rire mauvais.
C'était elle que la Lune aurait dû choisir pour cette mission...
Le regard de la sirène se leva sur la voûte céleste et plus particulièrement sur l'astre argenté qui semblait lui sourire.
Vos désirs ont été exaucés, Ô déesse...
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