Chapitre 14. I.

« Croire en la rédemption, c'est croire que sous tout le mal, tout le sang et tous les crimes, se cache encore une once d'humanité.

Mais si l'ange le plus lumineux a pu chuter et devenir diable, alors peut-être que le démon le plus mortel peut se relever et devenir ange – ou tout du moins, humain. »

Citation sur la rédemption, inconnu (moi).

*

La patience. Ou l'art de savoir attendre avec sagesse et calme, sans perdre le contrôle. Une vertu qu'Erik maîtrisait. Contrairement à Meredith.

Heureusement, leur transport avait été vite arrivé. Un bateau de pêcheur armé d'une remorque. Et à son bord, la frimousse blonde d'Olaf, mis au courant par son totem de la situation délicate de son ami. Attachant les débris de La Lorelei au treuil de l'embarcation qui était venue à leur rencontre, le tueur de monstre avait jeté un regard navré à son bateau qui l'avait pourtant mené sur toutes les mers du globe. Puis il avait embarqué, entraînant derrière lui Meredith qui avait toisé le navire avec dédain. Elle aurait très certainement préféré nager...

Olaf n'avait pas dit un mot de toute la traversée. S'il était resté affable envers son mentor, celui-ci n'était pas passé à côté des regards méfiants que le tueur de sorcières jetait à la sirène.

Erik n'avait pas trouvé le courage d'affronter son ancien élève au sujet de son choix. Profitant plutôt du calme de la traversée, et se fiant entièrement au jeune faucheur et à ses capacités à naviguer, il avait dormi un peu. Après la nuit effarante et épuisante qu'il avait passé, il estimait en avoir besoin.

Une fois le bateau accosté en Angleterre, le reste du trajet s'était fait dans une atmosphère un peu moins lourde. La sirène s'était tenue étrangement tranquille, sans faire la moindre vague. Elle qui pourtant adorait chercher les ennuis était restée muette. Aussi muette qu'elle l'avait été durant la saison entière qu'ils avaient passée ensemble, au neuvième siècle de cette ère.

Dans les bois qui menaient au manoir, Meredith avait semblé aussi mal à l'aise qu'un poisson hors de l'eau. Ce qu'en réalité, elle était. Elle rouspétait contre les branches, les feuilles volantes, la terre... Tout ce qui n'était pas sable et eau paraissaient n'avoir qu'une valeur méprisable aux yeux de la créature de la Lune.

Et cette vision avait quelque chose d'amusant, d'attendrissant pour Erik qui sentait les malheureux effets de l'amour sur son organisme. Un amour passionnel, maudit... Mais qu'il espérait voir survivre à ces temps obscurs.

À présent qu'ils approchaient de leur destination, une certaine appréhension avait gagné le faucheur. Distançant légèrement la sirène, il rejoignit Olaf qui menait la marche. La silhouette svelte du norvégien se faufilait dans les bois avec une aisance qui manquait clairement à leur compagne de route.

Alors que son ancien mentor le rejoignait, le tueur de sorcières leva sur lui ses yeux noisette avant de souffler, discrètement :

« Es-tu sûr de ce que tu fais, Rik' ?

L'homme plissa un instant des yeux, ignorant le crissement des branches et des feuilles sous sa semelle. Si les doutes étreignaient son cœur, il les étouffait aussitôt. Laissant un léger sourire étirer la commissure de ses lèvres, il coula à son ancien élève un regard chaud, avant de répondre :

— Ne te souviens-tu pas de mes leçons ? Être trop sûr de soi peut être dangereux... Mais trop douter ouvre la voie à l'erreur. Je sais ce que je fais. Je reste prudent.

Le blond esquissa un rictus s'approchant d'un sourire, amusé par la réplique de l'ancien roi. Frottant sa nuque, nerveux, il rétorqua tout de même :

— Tu sais, quand je te disais de résister à ta haine, je ne voulais pas entendre par là « jette-toi dans la gueule du loup de mer » !

— J'en ai conscience, Olaf.

— J'espère vraiment que tu sais ce que tu fais...

Erik acquiesça avant de froncer des sourcils. Il sentait peser sur sa nuque un étrange poids, brûlant. Se retournant, il surprit Meredith en train de l'observer, ses yeux jaunes plissés, alors qu'elle paraissait soudain bien méfiante. Il était impossible pour le faucheur de déterminer si elle avait surpris leur discussion ou si elle se montrait simplement suspicieuse de nature.

Ralentissant la cadence, il laissa le tueur de sorcière s'éloigner afin de revenir aux côtés de la sirène. Celle-ci garda quelques secondes le silence avant de grimacer et de lâcher, dédaigneuse :

— Je déteste les bois.

— Crois-moi, celui-ci est plutôt sympathique si on le compare à ceux de ta déesse.

Elle pencha la tête sur le côté, ses mèches rousses et noires emmêlées lui donnant un air plus sauvage encore. Mais elle ne répondit rien, se contentant de retrousser les lèvres en une expression moqueuse et narquoise, de celle qu'elle affichait avant de commettre un tort irréparable. Si ce n'était pas ce qu'elle s'apprêtait à faire, cette moue rappela soudain à Erik qu'il lui faudrait convaincre l'Ordre. Une chose peu aisée. Il devait absolument s'assurer que Meredith ne réduise pas à néant ses efforts.

— Mer...

Il leva sur elle un regard sombre alors que les lèvres de la sirène se tordirent en un rictus mauvais qui le dérangea quelque peu. Avant qu'il ne puisse s'exprimer, elle lui coupa la parole :

— Tu veux que je te laisse gérer la situation et que je me taise ?

Il acquiesça avec raideur avant de s'expliquer, d'un ton grave :

— Quoiqu'il puisse se dire, sur toi, sur moi, sur nous ou sur la Lune... Ne t'interpose pas. Fais-moi confiance.

— Tu m'en demandes beaucoup, Erik.

— Crois-moi, j'apprécie ta verve et ton mordant mais n'ajoute pas d'huile sur le feu.

Elle fronça des sourcils, l'air de réfléchir réellement à ses paroles. Mais ses traits de détendirent aussitôt alors qu'elle affichait à nouveau cette nonchalante presque agaçante qui était sienne. Elle rétorqua, haussant des épaules, espiègle :

— De toute façon, jouer avec le feu n'est pas dans mes habitudes.

L'Immortel aurait voulu pouvoir exprimer ses doutes quant à ce point mais il n'en eut pas l'occasion. Devant eux, dans la vaste clairière, se dressait la bâtisse gothique et immense qui abritait l'Ordre des faucheurs.

Ils étaient arrivés.

Et la multitude de sorts runaires qui entouraient le manoir avait dû avertir les personnages de contes de fée et de légendes de l'arrivée d'une créature de la Lune sur leur territoire. Ils étaient attendus, sur le perron, par une dizaine d'Immortels qui affichaient pour certains des mines réellement hostiles.

— Chouette, un comité d'accueil !

Bien que la voix de la sirène fut si basse que seul lui put l'entendre, Erik lui jeta un dernier regard empli d'avertissement, l'invitant muettement à fermer sa bouche si tentatrice soit-elle.

S'il était respecté et apprécié, le caractère malicieux et moqueur de sa compagne ne l'aiderait pas à obtenir gain de cause. Puisant dans ses forces intérieures, il s'avança à nouveau, laissant la détermination prendre le pas sur le reste, et enfouissant au creux de son être sa crainte. Désormais, et aussi étrange que cela pouvait paraître, il allait devoir lutter pour Meredith. Il n'aurait jamais cru cela un jour possible... Se dressant face au groupe de faucheurs et de faucheuses, il les toisa avec calme. Son corps faisait en quelque sorte barrière entre la sirène et ses compagnons de longue date.

— Comment comptes-tu expliquer cela, Erik ?

Sindbad, l'homme qui venait de s'exprimer, vouait une haine profonde aux créatures de la mer. Si celle envers les sirènes ne devaient pas rivaliser avec celle qu'éprouvait l'ancien roi avant toutes ces aventures, il n'appréciait tout de même pas l'arrivée de cette séductrice meurtrière sur les terres de la Mort.

Erik le comprenait. Très bien même.

— Le patron m'a demandé de ne pas tuer la sirène.

— Peut-être n'entendait-il pas par-là de la voir arriver telle une fleur maudite, se balader ici librement ?

Un point pour le marin perse... ne put s'empêcher de penser le brun. Personne n'aurait pu prévoir le déroulement des événements. Qui aurait pu croire que le vieil Andersen finirait par convaincre Erik ne pas tuer Meredith et de la pousser à le suivre ? Il avait choisi de faire confiance à son instinct.

— Je sais ce que je fais, Sindbad. Fais-moi confiance...

— Je te fais confiance Erik. Mais pas à elle... On ne peut pas se fier à une sirène...

Le faucheur frémit. Il aurait voulu rétorquer, répondre avec autant d'ardeur à cet argument qu'aux autres. Malheureusement, il ne se fiait pas lui-même entièrement à celle qu'il aimait. Il ne savait que trop bien que, malgré ses sentiments, malgré ses espoirs longtemps enfouis, Meredith appartenait encore à ce maudit astre. Erik n'était pas sûr à cent pour cent qu'elle ait abandonné toute sa mission, quelle qu'elle fut.

La sirène demeurait une meurtrière qui aimait le sang et la cruauté. Elle n'allait pas changer du jour au lendemain. L'ancien roi en avait conscience. Tout ce qu'il pouvait faire pour le moment, c'était la soustraire à l'influence néfaste de la Lune. Et pour cela, il fallait que l'Ordre accepte sa présence.

Ce qui était loin d'être gagné.

— Je m'engage à la surveiller. Je réponds d'elle !

— Je suis sincèrement désolée de te demander cela, s'enquit une faucheuse avec douceur, mais qu'est-ce qui nous assure que tu sois en pleine possession de tes moyens ?

Erik sentit un profond agacement le gagner, minant petit à petit sa tranquillité pourtant si difficilement altérable. Mais il avait tant lutté pour convaincre Meredith de le suivre. Il ne supportait pas l'idée que l'Ordre puisse réduire à néant ses efforts. Sa patience commençait à s'éroder, comme les falaises de calcaire sous l'assaut de cruelles vagues qui ne désiraient qu'une chose : gagner toujours plus de terrain et voir s'effondrer ces roches millénaires.

L'ancien roi se sentait ainsi. Comme une falaise que l'érosion menaçait. Cela le rendait fou.

Perdant quelque peu son masque de maîtrise pure, son ton s'enflamma un peu lorsqu'il rétorqua, son regard gris fusillant presque ceux qui étaient sa famille depuis des siècles maintenant :

— Que la Mort m'en soit témoin, je ne suis pas envoûté. Les charmes des sirènes ne peuvent plus m'ensorceler et vous le savez très bien !

Meredith paru s'agiter derrière lui, cependant, il ne put se retourner pour voir ce qu'il en était. Il s'inquiétait légèrement de la façon dont réagissait son amante. Elle n'était pas connue pour sa patience et garder le silence devait lui peser. Mais elle devait se fier à lui. Sans rien montrer de ses hésitations et sans flancher, il continuait de faire face aux arguments qui s'opposaient à la venue de la créature de la Lune. Tous valables, évidemment. Mais qu'il se devait de contrer.

— Qu'espères-tu exactement ? Qu'elle rejoigne soudainement les rangs de la Mort et se mette à faire le bien ? Voyons Erik, tu es le plus sage d'entre nous...

— Peut-être est-ce justement parce que je suis sage, comme tu le dis si bien, que j'ai conscience que ce n'est pas impossible... Et non, je n'espère pas faire de Mer une faucheuse. Il faudrait être fou pour le vouloir.

Il put presque entendre la sirène penser à cet instant tant le ricanement muet qui lui échappa était évocateur de ce qu'elle pensait. «Encore heureux ».

— N'est-ce pas une cause perdue ?

— Pardon ? éructa l'ancien roi.

— Les créatures de la Lune lui appartiennent. Pour toujours. Elle n'est pas du genre à céder si facilement, à abandonner. Crois-tu qu'elle laissera ainsi une de ses sirènes lui échapper ?

À l'entente de cette remarque, Erik vit rouge. Il vit rouge et en oublia un instant de conserver son calme. Il en oublia même la présence de la sirène derrière lui qui conservait le silence, les lèvres pincées. Il en oublia tout, laissant son cœur s'exprimer, alors qu'il crachait avec véhémence :

— Depuis quand les volontés de la Lune ont-elles la moindre importance à nos yeux ?

Son ton s'était fait plus acerbe. Il avait conscience que ses camarades de lutte l'avaient rarement vu dans un état si proche de la colère. Lui qui d'ordinaire ne laissait rien paraître de ses émotions se sentaient désormais habité par une vive flamme qui le poussait à défendre coûte que coûte sa position. Un peu plus hésitant, son interlocuteur souffla, d'un ton fataliste, détournant le regard face à l'intensité de celui du tueur de monstre :

— On ne peut pas lutter contre la destinée...

Erik se tourna imperceptiblement vers la sirène qui n'avait pu retenir un rire amer. Celui-ci c'était noyé dans le bruit ambiant mais n'avait pas échappé à l'ancien roi. Il se demandait au fond de lui si convaincre l'Ordre ne serait pas plus compliqué que de convaincre Meredith. La lutte contre la sirène avait été ardue mais au moins avait-elle porté ses fruits. Là, il avait la frustrante et terrible sensation de ne pas avancer... Cela revenait à ramer à contrecourant. Les marins auraient beau avoir la force de dix hommes, le drakkar peinerait à avancer. Et voilà que désormais, ils faisaient appel au destin, à la fatalité...

Et que pouvait donc le faucheur contre cette dernière ?

— Qui ici ose prétendre qu'une cause est irrémédiablement perdue, bande de pessimistes ignares ? » vociféra soudain une voix claire, tranchant l'air.

À ces mots, le groupe s'écarta vivement pour laisser apparaître une petite blonde, poings sur les hanches, qui les toisait, l'air mauvais. Ses yeux vairons luisaient d'une bien étrange manière. Même Erik se sentit petit face à l'intensité qui habitait ces pupilles bicolores, malgré le vif soulagement que lui inspirait cette intervention. Les faucheurs avaient conscience qu'ils venaient de réveiller le loup dans sa tanière.

Scarlett était furieuse.

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