Chapitre 10. II.

En mer, le temps passait d'une façon différente. Sans aucun autre repère que les étoiles la nuit, la mer était identique, d'un horizon à l'autre. Deux jours en pleine mer pouvaient sembler aussi longs que deux mois... ou aussi courts que deux heures. Tout dépendait de l'enjeu. Et celui de la traque d'Erik était des plus capitaux.

Être un faucheur présentait l'avantage de n'avoir pas besoin de dormir ou de manger à la même fréquence qu'un mortel. Il avait pu ainsi naviguer sans interruption, de jour comme de nuit. Le temps s'était montré clément et les courants marins l'avaient poussé toujours plus au nord. De plus, sa détermination et sa ferveur l'avait aidé à tenir plus que tout. Mais à présent qu'il abordait la froide mer de Norvège, les choses se compliquaient. Soit il continuait de naviguer ainsi, au risque de tomber par hasard sur le triangle aux sirènes, soit il patientait jusqu'à ce que Meredith daigne apparaître. Et il était certain qu'elle le ferait. Mais... Il perdait du temps. Malheureusement, les options qui se présentaient à lui étaient réduites. Dans tous les cas, son champ d'action était assez limité. Il fallait qu'il trouve comme mettre la main sur sa sirène.

Alors qu'il était perdu dans ses réflexions, cherchant la voie à suivre, son tatouage se réchauffa soudain d'une manière agréable sur sa peau. Surpris, le marin releva la manche de sa veste. L'encre sur son avant-bras semblait prendre vie. Le phoque, qui y avait été tracé dans des arabesques précises par la conteuse, paraissait suivre le mouvement de vague imaginaire.

Le faucheur savait ce que cela signifiait. Son cœur se réchauffa aussitôt. Il coupa aussitôt le moteur avant de se précipiter sur le pont. Son regard se posa automatiquement sur l'eau qui se troublait autour de la coque de la Lorelei. C'est alors qu'à côté de son bateau, un petit museau fendit la surface. Des moustaches frémirent, effleurant l'écume des vagues avant que toute une tête ne jaillisse. Deux grands yeux noirs qui aurait pu faire fondre un cœur de pierre de par leur profondeur se posèrent sur l'homme.

Un phoque !

Erik s'identifiait assez bien à cet animal. Mal à l'aise sur Terre, là où l'animal marin devenait une grosse masse de muscle paraissant assez pataude, le faucheur devenait redoutable dans les mers, aussi adroit qu'un poisson dans l'eau... ou plutôt qu'un phoque dans l'eau.

Mais plus que cela, le phoque était son totem, un totem que la Mort lui avait donné. Il était dit que ces êtres étaient censés montrer la voie aux faucheurs lorsque les nuits étaient les plus sombres et que la Lune étendait sa lumière corruptrice. Le totem guidait son faucheur et le menait toujours là où son destin l'attendait. C'était le compagnon de lutte contre le mal. Une partie de l'âme du combattant de la Mort. Ils étaient liés pour l'éternité.

Chaque faucheur en avait un différent. Pour Olaf, il s'agissait de la mouette. Aurore avait une étrange espèce de lézard nommé dragon de Komodo et Philipe, un cheval. Le totem de Scarlett était le loup – très ironique lorsque l'on connaissait l'histoire du petit chaperon rouge – et celui de Valentin était le corbeau. Et tous se demandaient quel pouvait bien être celui du Patron. Encore une fois, son fils n'en avait jamais rien dit et la conteuse s'obstinait à conserver le secret.

Erik s'agenouilla et tendit sa main vers l'animal marin. Celui-ci observa un instant le faucheur avant de s'avancer sans méfiance et de frotter sa tête ronde contre la paume ouverte. Rien ne semblait perturber le phoque qui était plus qu'heureux de s'approcher ainsi de l'homme. Ce dernier sentait au plus profond de lui le lien se créer et cette magie millénaire se diffuser dans ses veines. Voilà mille-cent ans qu'il était lié à jamais à cette espèce incroyable. Sans douter une seule seconde, l'Immortel murmura, d'un ton grave :

« Conduis-moi à Meredith...

L'animal le dévisagea, comme s'il le comprenait. Et c'était le cas. Ses yeux noirs luisaient d'une intelligence certaine. Soudain, il ouvrit une la mâchoire en grand, comme s'il baillait, révélant une dentition surprenante et mortelle à la puissance démesurée.

Erik se recula avant de réitérer sa demande.

— Aide-moi à la retrouver. »

Le phoque donna un coup de museau dans la main du faucheur avant de replonger dans les ténèbres de l'eau. L'ancien roi bondit sur ses pieds jusqu'à se précipiter à l'avant du bateau. Son totem y réapparu et sembla l'inviter à le suivre d'un geste de la nageoire. Un immense sourire étira les lèvres du brun qui saisit le gouvernail et démarra aussitôt le moteur, suivant l'animal qui ressortait souvent de l'eau, indiquant la route à suivre.

La satisfaction s'était emparée de l'être du tueur de monstre. Faisant preuve d'une confiance presque aveugle envers son totem, il gardait le cap que lui indiquaient ses nombreuses émersions, point gris au milieu des vagues. Et même sans avoir besoin de le voir, il le sentait, le percevait, là, plusieurs mètre au-devant de son navire, le guidant dans cet océan sans fin, dans cette mer de Norvège.

Qui avait besoin d'une carte lorsque l'on avait un totem ?

Il navigua ainsi pendant quelques heures, toujours plus vers le nord. Il faisait de plus en plus froid, bien qu'il n'en souffre guère. Le vent le poussait presque autant que le moteur. Il était dans son élément.

La nuit finit par tomber et le phoque ne réapparu plus à la surface, disparaissant dans un dernier coup de nageoire. Erik coupa le moteur, lâchant un soupire las. Son totem l'avait mené aussi loin qu'il l'avait pu. Mais cela ne dépendait pas de l'animal marin. À présent, le seul moyen serait que Meredith tombe dans un des filets ou qu'elle remonte à lui. Mais la nuit, cela pouvait s'avérer dangereux.

Face au vent qui se levait, il s'abrita dans sa cabine au confort bien maigre. Se laissant tomber sur une chaise, l'Immortel ferma quelques instants les yeux, dans l'espoir de trouver un certain repos. Il n'avait pas dormis depuis deux jours, navigant sans cesse. Le contrecoup se faisait sentir désormais.

Derrière l'obscurité de ses paupières, il lui sembla être anesthésié, ne plus rien ressentir. Et cette brève pause dans la course effrénée qu'était sa vie lui paraissait être un véritable miracle. Là, loin de la tourmente et des doutes, il pouvait souffler. Même l'espace de quelques minutes.

Il ne sut combien de temps il resta ainsi avant qu'un bruit à l'arrière de son embarcation ne le tire de sa torpeur. Bondissant sur ses pieds, il saisit au passage son harpon avant de s'y précipiter. Sous la voute nocturne, le pont était plongé dans la pénombre. Mais à l'exception de quelques filets, et autres outils de navigation, il n'y avait rien n'y personne à signaler. En revanche, une caisse avait été renversée, répandant son contenu sur le sol. Erik s'en approcha, méfiant avant de constater que cela avait pu tout aussi bien être provoqué par le balancement des vagues. Secouant la tête il lâcha un soupire, se massant le front.

Soudain, un frisson glacé parcourut son échine alors qu'il se sentait observé. Il se raidit, sentant une boule se nouer dans sa gorge, tandis que son instinct le poussait à faire volte-face. Vivement, il s'exécuta. Là, sur le pont de l'embarcation, adossée contre la porte qui menait à la cabine du marin, dissimulée par l'obscurité, se découpait la silhouette de Meredith.

Sa peau n'avait rien de son aspect écailleux et grisâtre, elle était plutôt pâle. Cependant, sa longue chevelure bouclée, tombant jusqu'à ses hanches, était d'un noire plus profond que l'encre et ses yeux demeuraient jaunes, scintillant dans l'obscurité. Adoptant une posture nonchalante, elle toisait sans ciller le Faucheur. Erik se redressa, sentant la force de la mort couler dans ses veines tandis qu'un certain aplomb le gagnait. La prise qu'il exerçait autour du manche de son arme se relâcha alors qu'il abaissa celle-ci, affichant un calme remarquable. Face à l'attitude assurée de son ancien amant, la sirène esquissa un sourire avant de susurrer, sa voix clair rompant le silence de la nuit.

« Tu me cherchais, mon amour ? »

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