Chapitre 9. I.
« En ce jour de l'an 1710, Scarlett **** fille de Mara **** et fille adoptive du « bûcheron » ***** intègre l'ordre des faucheurs en tant que tueuse de monstres et prête serment sur la Mort. Puisse la déesse bénir ses futures traques et l'empêcher de glisser sur les voix perdues de la Lune. »
Recensement des nouveaux faucheurs durant le dix-huitième siècle.
Ordre des Faucheurs.
*
Scarlett ne s'était jamais retrouvée prise entre deux feux. Actuellement assise à l'ombre d'un chêne dégarni dont le bois craquait au moindre coup de vent, elle se trouvait face à Valentin, Lowell étendu à ses côtés. Même allongé, il la dépassait largement. De près, sa fourrure révélait des tâches de sang. De quoi terrifier n'importe qui à l'exception de la faucheuse qui les observait avec curiosité. Cependant, si elle ne se méfiait pas du loup géant, ce n'était pas le cas du fil du Patron qui restait sur ses gardes, tendu, prêt à tout. Son regard restait sombre tandis qu'il nettoyait ses armes.
Ils attendaient la tombée du jour. Déjà le ciel gris était tâché des feux de l'Aurore. Le rouge sang du soleil couchant par-dessus les arbres perçait les lourds nuages, et donnait l'impression qu'un meurtre avait eu lieu dans l'univers des déesses.
Chez les faucheurs, un ciel de sang était annonciateur de morts.
Chez les bûcherons, cela signifiait que les loups-garous seraient de sortie.
Pour Scarlett, cela indiquait surtout que la nuit serait longue.
Par ailleurs, elle restait largement suspicieuse quant au plan de son compagnon qui conservait son calme habituel. En proie aux doutes, elle finit par l'interroger :
« Je croyais qu'il valait mieux ne pas chasser la nuit ?
Valentin grimaça. Ses yeux se penchèrent sur les lames qu'il gardait précieusement sur lui. D'un ton énigmatique, il finit par soupirer.
— C'est la vérité. La Lune a plus de pouvoirs la nuit.
— Alors pourquoi ?
— Les sorcières sont intelligentes. Elles sa cachent en plein jour surtout depuis le combat final. Si nous voulons en surprendre une il faut la piéger sur son propre territoire. Elle se méfiera moins la nuit. De plus nous avons un avantage que les faucheurs solitaires n'ont pas.
— Lequel ?
— Lui.
Il désigna du menton Lowell qui allonge sous un arbre les écoutaient tranquillement. L'aversion qu'il éprouvait envers le fils du patron était perceptible. Pourtant il semblait bien d'accord avec celui-ci.
— La sorcière qui se cache près d'ici ne s'attendra pas à ce que j'intervienne en cas de problème.
Scarlett acquiesça et s'empressa de répéter ses mots à Valentin. Mais celui-ci ne parut pas aussi enchanté que sa comparse. Un rictus narquois aux lèvres, il interrogea la bête :
— Qui nous dit que vous ne nous vendrez pas à la sorcière ?
L'attaque était directe, brusque. Lowell bondit sur ses quatre pattes, se retrouvant à quelques centimètres du faucheur qui ne broncha pas. Le grognement qui s'échappait de son immense cage thoracique ressemblait au bruit du tonnerre, menaçant de s'abattre sur Valentin.
— S'il continue ainsi, c'est plus moi qu'il devra craindre qu'une sorcière !
— Lowell !
La bête souffla avant de reculer. Pourtant, il semblait désormais de bien mauvaise humeur et il cracha à l'intention de la blonde :
— Attention Scarlett, ne prenez pas l'habitude de me siffler comme un petit chien.
La jeune femme commençait à être agacée de cette méfiance constante et de la tension qui en découlait. Elle n'avait pas signé pour cela. Pourtant, il était vrai que l'homme maudit s'était montré très docile jusque-là. Elle ne devait pas oublier qu'il était un monstre avant tout. Les images du combat par lequel il l'avait sauvé le lui rappelaient. La façon dont il avait arraché avec les crocs la tête de son adversaire... C'était purement bestial. Elle ne voulait même pas imaginer ce que cela faisait sur un simple humain. Ou sur un faucheur. D'autant plus lorsque décapiter était un bon moyen pour se débarrasser des guerriers de la Mort.
Alors que Valentin s'éloignait, Scarlett bondit sur ses jambes et lui attrapa le bras. Il se retourna vers elle et plissa des yeux, la toisant.
— Tu es toujours sûre de toi Scar' ?
Elle hocha vivement de la tête de haut en bas. Oui. Elle l'était.
— Tu as des dons de dormeurs. Ces dons vont de pair avec celui de pouvoir pénétrer les esprits pour lire en eux. Pourquoi ne pas le faire avec Lowell histoire de cesser de te méfier ? Le climat de méfiance que vous instaurez n'aide en rien.
— Ce don est trop aléatoire. Mal employé, je pourrais tout aussi bien griller quelque chose dans le crâne de ce... loup et il deviendrait taré en deux secondes. Je ne l'utiliserai pas. De plus, je te fais confiance. Cependant si tu doutes...
— Je ne doute pas. Je te l'ai déjà dit, je suis sûre de moi. À mille pour cent !
Son ton s'était fait plus sec. Elle commençait à en avoir assez ! Tout ce qu'elle voulait, c'était que la nuit tombe, qu'ils capturent cette servante de la Lune et qu'enfin, ils puissent rompre le maléfice. Pourtant, elle avait l'impression que ce n'était ni le cas de Lowell qui depuis l'arrivée de Valentin se montrait moins coopératif ni celui du fils du Patron qui se montrait aussi détestable qu'à son habitude.
— Bien alors cesse de tirer cette tête d'enterrement. Tu es censée avoir l'air perdue et apeurée pour ta prestation de tout à l'heure et non pas ressembler à une harpie prête à faire la peau au premier venu.
— Je ne suis pas une harpie !
— C'est vrai excuse-moi... Toi qui es si gentille, si douce, si calme...
— Je l'étais avant que tu ne débarques !
— Tu verras Scar' ! Tu me remercieras d'être venu.
— Tu es devin maintenant ?
— Non, mieux encore. Je suis en ligne directe avec la Mort.
Elle roula des yeux. Ce qui était peut-être le plus agaçant chez son interlocuteur c'était le fait que malgré son sarcasme et son ironie constante son regard était toujours le même. Une lueur y brillait, indescriptible, indéchiffrable et qui démentait tout ce que les gens pensaient savoir sur Valentin.
Scarlett s'apprêta à répliquer quand la voix grave de Lowell retentit dans son esprit :
— La nuit est là.
Elle se tourna vivement vers le loup géant avant de basculer la tête vers le ciel. En effet, le rouge de l'aurore avait disparu, laissant place à l'encre noire de la nuit. Des ténèbres profondes troublées par la demi-lune. Dans un D parfait, la déesse projetait son éclat maudit sur les bois. Le monstre frémit et montra les crocs. Ses pattes se mirent à labourer le sol furieusement.
— Tout va bien Lowell ? murmura la faucheuse, d'une voix si basse que seule la créature put saisir ses paroles.
— Elle m'appelle à elle. Son attraction se fait toujours plus forte.
— Résiste.
Elle s'était approchée de lui sans la moindre hésitation, abandonnant le vouvoiement. Elle frôlait l'immense corps de la bête et le toisait sans craindre. Le tutoiement plus la proximité surprit le loup qui cligna des yeux, cachant un instant leur aspect laiteux derrière des paupières ocre. Puis sa voix retentit à nouveau :
— Je le ferai.
— Bien, je ne voudrais pas avoir à te combattre à nouveau.
— Peur des griffures ?
— Plutôt de devoir te tuer sans avoir pu essayer de te libérer.
Un rire résonna dans sa tête. Elle en fut surprise. C'était un rire léger, doux, un rire qui vibra au plus profond de son être. Elle avait l'impression qu'on coulait du miel sur son cœur. Elle secoua la tête pour reprendre ses esprits et tira de son sac de voyage son petit capuchon rouge qu'elle avait emporté avec elle. Un léger sourire étira ses lèvres. La nostalgie s'empara d'elle. Un instant, Scarlett inspira à plein poumon le parfum qui s'en échappait, savourant la sensation que la douce magie de cet objet lui procurait.
Puis, recomposant son masque habituel, elle le glissa sur ses épaules. Valentin s'approcha à son tour.
— C'est à toi de jouer Scar' ! murmura-t-il, sobrement.
Elle lui sourit avant d'abattre le capuchon sur sa chevelure blonde.
— Le petit chaperon rouge est dans la place ! Voyons si le grand méchant loup - je ne parle pas de toi, Lowell - tentera de me croquer. »
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