Chapitre 8. II.
« Je vais attaquer ! prévint le monstre de la lune qui s'était déjà replié sur lui-même, prêt à bondir.
Scarlett secoua vivement la tête avant d'ordonner :
- N'en faites rien Lowell.
Elle se tourna vers le nouveau venu qui n'avait pas bougé. Le vent agitait sa courte chevelure brune. Dans son uniforme de faucheur, il était encore plus séduisant qu'à l'accoutumée. Son calme apparent dissimulait ses qualités meurtrières. Qu'il soit présent n'augurait rien de bon, si bien que la jeune femme demanda abruptement dans un soupire exaspérés :
- Que fais-tu là Valentin ?
- Mon devoir envers la Mort. Et toi Scar' ?
- Idem.
Ils se toisèrent encore un instant jusqu'à ce que la voix emplie de méfiance de Lowell ne s'infiltre dans son esprit.
- Pourquoi « Scar » ?
Sans vraiment se soucier que Valentin ne puisse croire qu'elle parle seule, elle se tourna vers le loup pour souffler :
- À cause de ma cicatrice.
- Charmant...
Et encore, il ne savait pas tout ! Cela se voyait qu'il ne connaissait pas le légendaire Valentin et qu'il ne le côtoyait pas depuis déjà trois siècles ! Ce dernier les observait à présent d'une étrange façon, un curieux sourire aux lèvres. Il s'esclaffa :
- Alors c'est vrai, vous pouvez communiquer tous deux ? C'est fascinant !
La créature de la Lune poussa un grondement menaçant, prêt à étriper le faucheur si celui-ci faisait mine de s'approcher ou de passer à l'attaque. Mais le fils du Patron conservait ses distances se contentant de les scruter de son regard d'acier. « Ainsi, il ressemble à son père » songea Scarlett qui s'enquit, avec prudence :
- Comment nous as-tu retrouvés ?
- Tu es peut-être le petit chaperon rouge mais j'arpente cette terre depuis bien plus longtemps que toi !
Elle fronça des sourcils. En effet, il était si vieux qu'il avait connu de bien nombreuses époques... Cela faisait-il de lui un meilleur traqueur pour autant ? Elle n'aurait su le dire. Mais là n'était pas sa principale préoccupation. Toujours sur ses gardes et après avoir jeté un discret coup d'œil à la bête à ses côtés, elle lâcha :
- Tu ne nous arrêteras pas Valentin...
Le jeune homme explosa de rire, comme si elle venait de lancer une bonne blague. Scarlett resta perplexe. Lorsqu'il reprit son sérieux, il affichait toujours un sourire narquois pourtant son regard était glacial comme le plus froid des blizzards. Cette dualité ne fit qu'augmenter la perplexité de la jeune femme. Valentin lâcha, d'un ton détaché :
- Que tu es sérieuse ! Je ne t'ai jamais vu avec un tel air. Rassure-toi, je ne suis pas là pour ça, Scar'.
- Et pourquoi es-tu là alors ?
Entre Lowell sous sa forme lupine et le fils du Patron qui se dressait dans toute sa splendeur, Scarlett paraissait minuscule. Elle ne comptait cependant pas se faire marcher sur les pieds. Elle s'était éloignée du monstre, défiant le faucheur par son attitude. Il ne se laissa pas impressionné et répondit, plus sérieux que jamais :
- Je suis là pour vous aider.
La faucheuse s'étouffa à l'entente de ses mots.
- Pardon ?
Sa voix était partie dans des tons aigus, très peu au goût de la créature de la Lune dont les oreilles étaient sensibles. Il grogna à l'intention de la jeune femme. Mais celle-ci était trop occupée à se remettre de son choc, d'autant plus lorsqu'elle entendit Valentin appuyer ses dires, bombant le torse avec son arrogance coutumière :
- Tu as besoin de traquer une sorcière. Et pour cela, quoi de mieux que le meilleur chasseur de sorcières de l'Ordre ?
Scarlett écarquilla les yeux, sous le coup de la surprise. Elle ne s'attendait nullement à cela. Si elle songea à douter de ses paroles, elle se ravisa. Il n'avait rien à gagner à les aider mais à leur mentir non plus. De plus, elle se fiait au fils du Patron plus qu'à aucun autre faucheur.
Ils avaient beau ne pas être de véritables amis, elle le connaissait suffisamment, ou tout du moins, le pensait-elle.
- Tu es vraiment prêt à défier ton père ? s'enquit-elle tout de même.
- Ce ne serait pas la première fois.
- Hansel et Gretel, pas vrai ! osa demander pour la première fois la jeune femme.
Il se contenta d'acquiescer. Sa tranquillité et la teneur de leur propos n'échappa pas à Lowell.
- Est-ce dans les habitudes des faucheurs de trahir ?
Scarlett se retint de pouffer, se rendant compte d'à quel point il n'était pas loin de la vérité.
- Qu'est-ce qui t'a convaincu ?
- Disons que je me suis rendu compte que tu n'avais pas totalement tort.
- Et comment ?
- Je suis parti dormir. Après tout, la nuit porte conseil.
Cette réponse évasive ne satisfit pas la jeune femme mais elle dû s'en contenter. Plissant des yeux, elle ne put s'empêcher de se faire du souci.
- Qui est au courant ?
- Pour la cachette de tes confitures ?
Elle leva les yeux au ciel. Par tous les monstres de la Lune, que Valentin pouvait se montrer insupportable !
- Pour ce que nous nous apprêtons à faire.
- Une trahison. Appelle cela par son vrai nom. Et personne ne sait.
- Ça n'a rien d'une trahison si le but est de contrer un maléfice de la Lune pour sauver un mortel.
Elle n'avait pas tort, évidemment. Le rôle des faucheurs étaient de préserver les humains des sortilèges de l'astre malveillant. Aider Lowell entrait dans ce cadre-là. Malheureusement, Lowell était un monstre aujourd'hui. Il avait déjà tué les rares fois où elle prenait le contrôle. Et il n'y avait pas que cela. Valentin se chargea de le lui rappeler :
- Tu as prêté serment de ne jamais aider la moindre créature de la Lune. Malgré le contexte c'est toujours interdit.
L'amertume, un sentiment pourtant rare chez elle, prit possession de son cœur tandis qu'elle protesta :
- Tu te rends compte que le règlement est injuste ?
- Beaucoup de choses le sont dans ce monde.
Cette fois-ci, le ton qu'employait le jeune homme s'était assombri. Tout comme son regard. Il songeait à autre chose en disant cela. Pourtant, il se reprit, et, affichant à nouveau son masque du parfait faucheur, il mit en garde sa comparse :
- Par contre, que l'on soit bien d'accord Scar. Je te connais, tu t'attaches vite. Mais si nous échouons, il faudra le tuer.
Le regard mauvais qu'il lança au loup géant ne fit qu'exacerber le comportement agressif de celui-ci. Le grognement qu'il lâcha était sans équivoque. Il n'hésiterait pas à mordre. Mais Scarlett ne s'attarda pas sur cela. Les dernières paroles de Valentin résonnaient étrangement dans son esprit. Une grimace déforma ses traits tandis qu'elle remarqua :
- C'est pour ça que tu es là, n'est-ce pas ? Pour t'en assurer.
Il ne répondit pas, se contentant de lui sourire de cette façon énigmatique qu'il employait lorsqu'il éludait certaines questions, notamment sur ses secrets de famille. Le fils du patron se détourna. La faucheuse et Lowell restèrent côtes à côtes. La bête se pencha par-dessus la petite femme, frôlant presque son front de sa gueule monstrueuse.
- Peut-on lui faire confiance ? »
Sans dire un mot elle hocha affirmativement de la tête, plongeant son regard dans celui, animal, du loup géant. Celui-ci souffla de ses naseaux un air brûlant qui vint chatouiller le visage de la faucheuse, avant de se détourner.
Elle comprenait la méfiance de la créature de la Lune. Que deux faucheurs veuillent l'aider relevait de l'impossible. Pourtant, voilà qu'ils s'alliaient tous les trois afin d'aider Lowell à rompre le maléfice de la Lune.
C'était bien la preuve que tout était possible dans ce monde.
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