Chapitre 6. I.
« Il n'y a pas de meilleures raisons que l'amour pour trahir. Mais lorsque c'est l'amour qui est trahi, que reste-t-il ? »
Maxime sur l'amour.
*
Les trahisons étaient douloureuses à subir. Douloureuses à commettre. Les traîtres trahissaient pour ce qu'il pensait être de bonnes raisons. Après tout, ne disait-on pas que l'enfer était pavé de bonnes intentions...
Valentin y brûlerait peut-être. Mais sans le moindre regret.
Ses raisons étaient les meilleures qui soient. Mais elles revenaient le hanter à présent qu'il se retrouvait face au dilemme que lui avait imposé Scarlett inconsciemment. Il savait la jeune femme persuadée de pouvoir sauver ce... Lowell, cet homme prétendument maudit et transformé en monstre. Tout comme les siennes, les intentions de la blonde étaient bonnes. Mais elles pourraient entraîner sa perte. Valentin ne voulait pas l'y précipiter. Mais pouvait-il tout de même la laisser faire ?
Appuyé contre la cheminée, il observait les flammes brûler dans l'âtre, projetant des ombres dansantes sur les murs.
Le jeune homme aimait sa condition, aimait sa puissance, aimait combattre. Mais il haïssait d'avoir dû sacrifier beaucoup durant des décennies, des siècles, des millénaires. L'immortalité était un don. Mais elle perdait parfois de son sens.
Tout avait commencé il y a des millénaires avec deux jumeaux, Valentinus l'ancien et son frère. Ce dernier fut le premier des sorciers. La Lune l'avait tant aimé qu'elle lui avait conféré pouvoirs et puissance. Il en avait usé pour faire le mal et trop amoureuse, la Lune était devenue complice de ses méfaits. C'est alors que la Mort avait chargé Valentinus de stopper les agissements de son frère quoiqu'il lui en coûte. Les jumeaux s'entre déchirèrent jusqu'à ce que le sorcier ne meurt. Alors, la Lune, folle de rage, avait créé les sorcières et les créatures avant de se venger sur les mortels, sujets de la Mort qui, pour protéger les Hommes, poussa Valentinus à fonder l'ordre des Faucheurs.
Le Patron était le fils de Valentinus. Tout le poids des actes de ses ancêtres, de sa famille, reposait sur ses épaules. Un héritage que Valentin portait avec difficulté. Il était né descendant de faucheur, il avait gagné l'immortalité par le combat mais contrairement aux autres, et comme tous les descendants de faucheur, il n'avait connu que cela. La lutte contre la Lune et ses forces obscures. Si son père venait à mourir, il deviendrait alors le Patron. Et il ne voulait nullement de ce fardeau.
« À chacun son fardeau. Je brûle tandis que tu te perds... » avait ricané sa première sorcière avant qu'il ne la tue.
Cela lui avait semblé être une malédiction. Mais ça coulait dans son sang, dans ses veines, dans son cœur : il était un faucheur. À chacun ses malédictions. À chacun de vivre avec ou de les défaire. La sienne était d'être le descendant du fondateur de l'Ordre, d'être apparenté au premier des sorciers. La sienne était de devoir embrasser la cause de la Mort quoiqu'il arrive. Car sa lignée était celle qui permettait à la magie de la Mort de perdurer dans ce monde. Le pilier central.
« Tu sembles bien soucieux, fils.
Valentin se retourna aussitôt pour faire face à son père dont la silhouette se découpait dans l'encadrement de la porte. Dans l'obscurité, ils ne se ressemblaient que plus.
— Il m'arrive d'être aussi sérieux que toi, certains soirs.
— Qu'est-ce qui peut bien entraîner chez toi un tel comportement ?
Le jeune homme toisa son père. Une certaine tension se dégageait de lui. Cet homme austère qui lui faisait face l'aimait, il en était certain. Malheureusement, cela n'était plus suffisant.
— Le poids de tes erreurs qui retombe toujours sur moi.
Le Patron fronça des sourcils. Il avait tout d'un chef de guerre, rien d'un père. Son ton était glacial lorsqu'il cingla :
— Diriger l'Ordre et être en contact direct avec la Mort est bien plus compliqué que ce que tu ne pourras jamais imaginer, Valentin. Tant que tu n'en sauras rien, tu n'as aucun droit de critiquer ma manière d'agir.
Le faucheur ne répliqua pas. Il savait que la cause était perdue. Il préférait rester près des flammes, de leur chaleur qui lui donnait la vague impression d'être vivant. Affronter son géniteur ce soir ne l'aidait pas particulièrement à conserver son calme. Ils avaient connus quelques années de paix. Les actions de Scarlett semblaient briser celle-ci pour relancer la course folle entre Lune et Mort. Pourtant, l'absence de sentiments, de compréhension chez le chef des faucheurs, conforta Valentin dans son choix de ne pas dénoncer son amie.
— Crois-tu que j'ignore tes mensonges ? persiffla la Patron, son regard d'acier évaluant son fils.
Valentin se raidit face au regard à la fois déçu et sévère de son père. Pourtant, il n'en laissa rien paraître.
— Je doute que tu en connaisses l'entièreté, père.
— Pourquoi cela ?
— Parce que même le Patron ne pourrait pardonner à son fils mes actes.
Sa détermination finit par exaspérer l'austère homme. Il se laissa tomber dans un fauteuil, son regard amer se perdant dans les flammes.
— Te rends-tu compte que tu t'accuses, Valentin ?
— Que je m'accuse de quoi ? Tu sais que j'ai mentis, certes. Mais tu ne sais pas quand, comment, à quel propos. Tu es aveugle.
— Crois-tu qu'un tel discourt joue en ta faveur ?
Le jeune homme secoua la tête négativement.
— Je crois, père, que tu es parfois aussi perdu que je ne le suis. Que le poids de tes erreurs te bouffe sans que tu n'en laisses rien paraitre. Un jour, il te dévorera tout entier. Et tu n'auras plus rien à quoi te raccrocher.
Le Patron dévisagea son fils, stupéfait par ses paroles. Valentin n'avait pas cillé une seule fois. Son ton était même plutôt las lorsqu'il s'exprimait. Comment avait-il pu ainsi lui échapper ? Comment avait-il pu laisser cela se faire. L'homme ravala l'amertume qui le gagnait, son masque d'indifférence sur le visage et grogna :
— Va-t'en, Valentin. Va-t'en avant de commettre une regrettable erreur. Je ne suis pas si aveugle que tu ne crois. »
Le brun obtempéra sans rien ajouter. Il se contenta de lancer un dernier regard à son père avant de quitter la salle, empruntant le grand escalier. Malgré son assurance, le Patron était désemparé par son fils. Et cela, Valentin le savait.
Il était un excellent menteur et comédien. S'il n'avait pas été un faucheur, il aurait pu faire carrière dans le théâtre ou le cinéma. Derrière ses airs de mauvais garçon taquin, orgueilleux et jadis, insupportable, il cachait ses véritables intentions mieux que personne. Et le Patron pouvait penser ce qu'il désirait, il tenait ça de lui. Tel père, tel fils... Et pourtant, le tueur de sorcière abhorrait l'idée de ressembler à son père, cet homme froid, sans amour, impénétrable.
Valentin voulait aimer, vivre des aventures, savourer chaque instant de son éternité.
Ce qu'il avait fait des siècles plus tôt avant que la Lune ne lui arrache tout ce qu'il avait. Pourtant, il n'avait jamais cessé de mentir, même à ceux qu'il aimait, même à ceux avec qui il vivait des aventures et savourait chaque instant de son éternité. Pour eux, pour lui.
Le mensonge coulait dans ses veines. Mais c'était la Mort qui en était l'instigatrice.
Ses pensées s'envolèrent vers Hansel et Gretel, ses anciens compagnons de chasse que la lutte contre le mal lui avait arraché. Sur les jumeaux, tueurs de sorcières et de créatures, pesaient jadis une terrible malédiction : l'un des deux était destiné à devenir le mal absolu et ils étaient condamnés à se détruire. Alors que tous avaient cru que Gretel, la terrible faucheuse aux cheveux gris était celle chargée d'accueillir le mal en elle, une femme comme les sorcières, responsable du meurtre d'une dizaine d'homme après avoir sombré dans la folie, c'était en réalité Hansel, le jumeau courageux et juste qui avait basculé. À cause des erreurs de l'ordre. Parce que son père s'était montré aveugle. Lors de l'affrontement final, Gretel avait défait son frère, entraînant sa propre perte. Cette erreur fatale commise par le Patron avait entraîné la mort de Blanche, une faucheuse sublime qui avait été l'amante de la jumelle.
Valentin avait lui aussi été amoureux de Gretel. Il l'avait aimée de tout son cœur. Alors, lorsque le moment était venu de mentir pour elle, de la protéger, il l'avait fait. C'était peut-être sa plus grosse trahison. Gretel le lui avait murmuré une nuit : Blanche et lui l'avaient aimé : c'était ce qui avait entraîné la perte de la princesse et faillit coûter la vie du fils du patron.
Mais il avait pris ces risques en âme et conscience.
À présent, Hansel et Gretel étaient loin de tous ces malheurs, loin de Valentin qui tentait de passer à autre chose. Car l'éternité continuait, avec ou sans ses compagnons de jadis. Et la Mort comptait sur lui.
S'adossant contre un mur, le jeune homme ricana.
Les déesses possédaient un drôle d'humour. Tout avait commencé il y a des millénaires avec deux jumeaux, son grand-père et son grand-oncle, et les choses s'étaient répétée avec Hansel et Gretel. Un frère et une sœur, nés un jour d'éclipse, nés pour que l'un soit le bien et l'autre le mal, nés pour que l'un serve la Mort et l'autre la Lune. Son père y avait échappé par un curieux hasard.
La notion d'équilibre représentée dans toute sa splendeur. C'était un principe essentiel dans ce monde, ce fragile équilibre qui permettait que rien ne sombre dans le chaos. Et quoi de mieux que des jumeaux, des âmes sœurs, pour porter le lourd fardeau de cette horreur ?
Dans la situation dans laquelle il se trouvait, Valentin ne pouvait s'empêcher de repenser à tout cela, de réfléchir à ses trahisons, de se demander s'il devait en commettre une de plus pour Scarlett, cette faucheuse toujours joyeuse qu'il avait appris à apprécier. Il ne l'aimait pas et ne l'aimerait jamais comme il avait aimé ses anciens compagnons cependant il était perturbé. Ses idées s'étaient embrouillées et il ne voyait plus clair.
« Que la Mort me vienne en aide... » marmonna-t-il en reprenant la route de sa chambre.
Il se devait de prendre une décision. Il avait besoin de conseil.
Et il ne connaissait qu'une seule personne capable d'apaiser la tourmente dans laquelle les derniers faits l'avaient plongé.
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