Chapitre 5. II.
Le temps passait d'une étrange façon. Tantôt rapidement, tantôt lentement, l'immortalité ne changeait rien à ce fait. Il restait insaisissable, immuable. Une longue histoire à écrire.
Scarlett ne l'avait pas vu passer tant elle était absorbée par sa lecture. Le Répertoire de la sorcellerie était empli de secrets que la jeune femme avait dévorés avidement. Elle avait découvert que les hommes devenus monstres suite à une malédiction avaient un sursis de sept années. Celles de Lowell étaient sur le point de s'écouler. Maintenant qu'elle savait qu'on pouvait inverser le maléfice, elle se devait de découvrir comment.
Selon le livre, seule une sorcière pourrait savoir comment inverser le sortilège. Cela n'avançait pas vraiment la jeune femme. Pour faire parler une sorcière, il fallait en capturer une. Et pour en capturer une, il fallait la trouver. Or, Scarlett n'était pas une chasseuse de sorcière. Elle n'était pas la plus douée lorsqu'il s'agissait de les combattre ou de les traquer. Ce serait bien trop compliqué. Pourtant, elle n'avait pas le choix. Elle ne voulait pas abandonner.
La faucheuse soupira, levant le regard des pages qu'elle lisait et relisait depuis plusieurs bonnes minutes. Elle sursauta violemment lorsque ses yeux se posèrent sur une silhouette masculine dressée face à elle, les poings sur les hanches et l'air sévère. Deux yeux bleus la fusillaient sur place tandis qu'elle s'exclama, bondissant de son siège :
« Valentin ?
Le jeune homme la toisait, sans bouger d'un pouce. Sa voix basse résonna dans la salle des archives lorsqu'il cracha :
— Qu'est-ce que tu fais là ? Tu n'es pas censé être ici...
— Toi non plus, se risqua-t-elle à répondre refermant le livre sèchement.
— J'ai une bonne raison de venir. Quelle est la tienne ?
Scarlett grimaça. Voilà ce qu'elle désirait éviter. Les questions. Malheureusement, elle avait échoué et elle ne se trouvait pas devant n'importe qui. C'était le fils du Patron. Quelles étaient ses chances, ou plutôt ses malchances, pour que cela n'arrive ?
— Une très bonne raison également, je t'assure.
Son grand sourire innocent était des plus faux. Valentin ne tomba pas dans le piège, trop habitué aux faux semblants.
— Toute raison peut paraître bonne. La Lune pense agir pour une bonne raison. Les meurtriers et les traîtres aussi.
— Tu sous-entends que je suis une traîtresse ? s'indigna aussitôt Scarlett.
Il secoue négativement la tête avant de s'adoucir quelque peu. Après tout, ils étaient tous deux en infraction.
— Bien sûr que non, Scar. Cependant, tu comprends que te trouver ici soulève des questions. Comment as-tu eu les codes ?
— Comment toi les as-tu eu ?
— On ne répond pas à une question par une autre question.
— Je viens pourtant de le faire.
— Peste !
— Vaniteux !
Ils se fusillèrent du regard. La jeune femme tentait de garder la façade. Avec un peu de chance, elle parviendrait à s'en aller sans avoir à parler du sujet qui fâche...
— Comme s'est passée ta mission ?
Décidément, la chance n'était pas de son côté. Avec prudence, elle lui raconta le début de sa traque, éludant certains passages sans importances. Puis vint le combat. Elle décrit brièvement la bête, insistant plus sur la ressemblance à Fenrir qu'au combat lui-même. Malheureusement, le fils du Patron n'était pas facilement distrait.
— Comment as-tu fait pour te débarrasser d'une telle bête ?
La blonde grimaça. Voilà le moment fatidique. Soit elle mentait, prétendant avec tuer le monstre. Soit elle se montrait honnête. Le dilemme était cruelle pour elle qui détestait mentir. De plus, le regard amical de son interlocuteur ne l'aidait en rien. Valentin avait beau se traîner une réputation peu sympathique, il dégageait un charme naturel qui mettait rapidement en confiance. Son regard qui pouvait se faire glacé et cruel, comme celui de son père, brillait à présent d'une flamme d'intérêt bienveillante. Tout ceci mettait Scarlett en confiance. De plus, la tension et l'inquiétude qu'elle avait accumulées ces dernières heures étaient telles qu'elle se sentait dans le besoin de se confier, de libérer son cœur d'un poids lourd. Elle ferma les yeux, prenant une grande inspiration. D'une petite voix, à toute vitesse, elle lâcha :
— Je n'ai pas pu le faire. Il m'a parlée.
Elle se sentit à la fois plus légère et plus stupide. Elle cherchait à tout prix la discrétion et voilà qu'elle révélait au fils de l'homme qui dirigeait l'Ordre des faucheurs avoir épargné un monstre. Valentin s'étouffa, n'en revenant pas.
— Pardon ?
— Son esprit m'a parlée. Il m'a raconté être un humain maudit par la Lune suite à un pacte non respecté et a supplié mon aide pour l'en libérer.
Sans laisser le temps au jeune homme de l'interrompre, elle lui raconta absolument toute la discussion, ses actions suivantes et ses découvertes dans le Répertoire de la sorcellerie qu'elle brandissait comme s'il s'agissait du Saint Graal. Lorsqu'elle eut fini son récit, un silence s'installa entre les deux faucheurs. Le brun la fixait, plongé dans une profonde réflexion. D'un ton mesuré, froid, il murmura :
— Ce doit être des mensonges ! Nous le saurions si une telle chose était possible.
— Elle l'est. Si ton grand père ou arrière-grand-père l'a écrit, ce ne peut qu'être la vérité. Et je compte bien m'employer à lever ce maléfice.
La bienveillance dans le regard de Valentin s'envola aussitôt. Il venait de plisser des yeux et de se raidir brusquement. Difficilement, il éructa :
— Tu plaisantes n'est-ce pas ?
Face à la soudaine tension qu'il dégageait, Scarlett hésita à répondre. Cependant, elle était lancée. Elle ne pouvait plus reculer. Levant le menton dans une attitude digne malgré sa petite taille, elle rétorqua avec aplomb :
— Absolument pas.
Le faucheur écarquilla des yeux et la dévisagea comme si elle avait perdu la raison. Un mélange de colère et d'appréhension tiraient ses traits.
— Mais dans quelle folie t'es-tu encore fourrée, Scar ?
L'exaspération était perceptible dans la voix du jeune homme ce qui agaça encore plus la faucheuse. Sur la défensive, elle recula d'un pas, serrant le livre contre sa poitrine.
— Tu vas me dénoncer ? murmura-t-elle, les poings serrés.
Valentin fronça des sourcils, l'air de juger la jeune femme. Ses yeux bleus ne laissaient rien deviner de ses émotions et Scarlett était tendue. Elle détestait le fait de ne pas pouvoir deviner les intentions de ceux qui lui faisaient face. On la disait naïve. Elle était seulement peu habile dans l'art de la manipulation et de la tromperie. Voilà pourquoi elle préférait les monstres et les créatures aux sorcières. Au moins ne mentaient-ils pas... Finalement, le brun finit par prendre la parole pour soupirer :
— Crois-tu que je ferais une telle chose ? C'est la mort assurée pour toi petite idiote. Mon père ne pardonne pas.
La blonde battit des paupières. Elle restait méfiante. Une petite moue tordit son visage. Plongée dans l'obscurité, faiblement éclairée par une bougie, elle n'avait plus rien de mignon. Elle était semblable à un prédateur acculé qui se préparait à attaquer en cas de besoin.
— En tant que fils du Patron, tu te devrais de le faire pourtant.
— Mon allégeance va à la Mort, pas à mon père, rétorqua Valentin. Et j'ai déjà commis pire crime que toi. Je serais plus hypocrite qu'une sorcière si je le faisais.
Il avait éveillé la curiosité de son interlocutrice qui interrogea :
— Qu'as-tu fait de si répréhensible ?
— Rien qui ne te regarde Scar'.
Elle roula des yeux. Ça ne la regardait peut-être pas mais il venait de se rendre complice de son secret. Et si elle le pensait capable de beaucoup, elle s'imaginait mal le beau faucheur rejoindre sa quête pour sauver un humain maudit pour avoir passé un pacte avec l'astre malfaisant. Ils étaient tous deux coincés.
— Que comptes-tu faire alors ?
— Le mieux serait que tu retournes dans cette forêt et que tu achèves cette créature. répondit-il d'un ton neutre.
Elle secoua vivement la tête de gauche à droite.
— Hors de question !
Valentin soupira. Evidemment. Pourquoi fallait-il que les femmes dans cet ordre soient aussi têtues ? Scarlett devinait que la patience de son interlocuteur s'évanouissait petit à petit. Mais elle se refusait à abdiquer. Pas maintenant qu'elle avait trouvé une piste. Face à l'obstination de sa comparse, le fils du patron soupira et lâcha :
— On doit au moins quitter cet endroit. Aucun de nous n'a rien à faire ici.
Il n'avait pas tort. S'ils étaient pris tous les deux à fureter au sous-sol, les choses pourraient empirer. Scarlett souffla la flamme de la bougie avant de reposer le livre sur l'étagère. Elle savait déjà ce qu'il y avait à savoir.
Ils montèrent les marches en silence. Le cœur de la jeune femme se serrait sous l'appréhension. Elle ne savait pas ce que son compagnon comptait faire. Il pourrait très bien l'arrêter, l'empêcher de repartir. Mais quelque chose en elle la poussait à vouloir absolument aider Lowell sans qu'elle ne sache pourquoi.
« Fis toi toujours à ton instinct, gamine ! Il n'y a que lui que le mal ne pourra corrompre. » Répétait toujours le bûcheron.
C'était ce que Scarlett avait fait. Et ça lui avait réussi jusque-là.
Ils étaient enfin parvenus à la porte du rez-de-chaussée. Mais alors qu'elle s'apprêtait à tourner la poignée, un bruit de pas fit réagir Valentin qui attrapa la jeune femme pour la dissimuler dans l'ombre. Ils restèrent immobile, blottis l'un contre l'autre.
Le silence revint à nouveau et Scarlett se dégagea vivement. Ils purent rejoindre les espaces communs du manoir. Sans un mot, ils grimpèrent rapidement les escaliers jusqu'à l'étage des chambres. Si quelqu'un les surprenant à cette heure ensemble, nul doute que les rumeurs circuleraient au lendemain. Et aucun des deux ne voulaient d'une telle chose. Surtout pas la blonde.
À la croisée des couloirs, alors qu'était venu le moment de se séparer, la Faucheuse cru pouvoir s'éclipser sans soucis. Mais Valentin lui saisit soudain le poignet avec force pour l'empêcher de s'en aller. Ses doigts étaient froids autour des fins poignets de la jeune. Elle fronça des sourcils tandis qu'il souffla, à voix-basse, d'un ton presque menaçant :
— Je vais chercher une solution, un mensonge crédible pour expliquer ton retour. En attendant ne sors pas de ta chambre.
Scarlett haussa des épaules, peu impressionnée par la froideur du jeune homme.
— Il n'y a aucune excuse crédible.
— Je trouverai. Et demain tu achèveras ta mission ou je le ferais moi-même.
Ses prunelles s'étaient obscurcies et son ton assombrit. Mais cela n'intimida pas la faucheuse.
— C'est ce que nous verrons.
— Ne fais rien d'insensé. » gronda-t-il.
Elle se contenta de le toiser, silencieuse. L'obscurité de la pièce dissimulait son visage mais le feu de la détermination brûlait dans ses yeux vairons. C'était le même regard que celui qu'elle abordait avant de faire couler le sang, avant de tâcher ses vêtements déjà rouge de cette teinte, avant d'ôter la vie à une créature malfaisante.
S'il croyait pouvoir la retenir, il se trompait. Scarlett n'était pas un soldat de plomb que l'on maniait à sa guise. Lorsqu'elle pouvait agir, elle agissait. Elle était une faucheuse, elle était une bûcheronne mais plus que tout, elle était le petit chaperon rouge. Elle ne craignait ni les bois, ni les loups. Et Valentin faisait bien moins peur que ces deux-là.
Pourtant, la jeune femme finit par acquiescer avec raideur avant de faire volte-face pour se diriger vers sa chambre. Tandis qu'elle s'éloignait, elle sentait le regard d'aigle perçant du fils du Patron sur son dos.
Ils jouaient à un jeu de dupe. Et aucun des deux ne l'étaient réellement.
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