Chapitre 5. I.

« La Lune peut maudire des êtres humains, bons de nature et sujets de la Mort. Dès lors, ils deviennent ses serviteurs, ses créatures... Le sortilège et la transformation en monstre sont considérés comme irrémédiables... »

Extrait du Répertoire de la sorcellerie depuis le commencement à nos jours, par Valentinus, premier du nom et fondateur de l'ordre des faucheurs,
Chapitre X. Ruses et maléfices de la Lune.

*

Se faufiler dans le manoir des faucheurs discrètement s'était révélé être très difficile dans la mesure où la demeure était surveillée et protégée par hommes et sortilèges. Scarlett voulait éviter le plus possible d'avoir à s'expliquer et à parler de cette traque, ce qu'elle aurait à faire obligatoirement. Entre mentir et dire la vérité – pour se retrouver accusée de trahison dans les deux cas si jamais ses mensonges étaient découverts – son cœur balançait.

Le danger était réelle, elle s'en rendait compte chaque fois un peu plus et se maudissait pour avoir cédé et voulu aider Lowell. N'importe quel autre Faucheur aurait abattu le monstre sur le champ.

Mais elle n'était pas n'importe quel faucheur. Elle avait été élevée et entraînée par le Bûcheron... Et ce dernier lui avait inculqué des valeurs parfois différentes de celles de l'Ordre.

Scarlett ne pensait pas que ne pas faire preuve de scrupule faisait d'elle quelqu'un de mauvais. Tout comme elle ne pensait pas qu'en faire preuve faisait d'elle quelqu'un de faible. Aider les autres ne devrait pas être considéré comme un fardeau. C'est parce qu'on l'avait aidé qu'elle avait survécu. Elle ne remercierait jamais assez, au fond de son cœur le bucheron.

À la tombée de la nuit, la faucheuse sortie du bois qui entourait la demeure de l'Ordre. Pour plus de discrétion, la jeune femme avait contourné le manoir jusqu'à la porte de la cuisine. Scarlett en connaissait tous les recoins puisqu'elle avait arpenté cette même cuisine des milliers de fois. Touchée d'insomnie elle s'y rendait la nuit pour cuisiner ou manger.

La porte s'ouvrit dans un grincement abominable. Heureusement, il n'y avait personne. À croire que hormis elle, aucun faucheur n'avait de fringale nocturne dans l'Ordre. Ce soir, cela l'arrangeait. Mais la cuisine n'était pas sa destination finale.

Elle se faufila entre les plans de travail, les casseroles et les fours. Sur la pointe des pieds, elle rejoignit le couloir principal. Bien que l'heure soit tardive, elle craignit de croiser quelques faucheurs. Il y en avait toujours un ou deux à vadrouiller dans les corridors. Cependant nul ne fit attention à elle et elle put rejoindre la porte d'accès au sous-sol. Ses doigts se refermèrent sur la poignée tandis qu'elle rassemblait son courage. Puis elle la tourna et poussa la paroi de bois qu'elle referma aussitôt sur son passage. Elle ne laissa pas son étonnement de trouver la porte ouverte prendre le pas sur le reste.

L'adrénaline se déversait dans ses veines tandis qu'elle descendait sous Terre, empruntant un escalier obscure, éclairé par une simple bougie qui s'était allumée par magie.

Elle enfreignait un bon nombre de règles rien qu'en pénétrant dans cette partie du manoir sans l'autorisation du Patron. Si elle se faisait prendre, l'accusation de trahison la poussait vers une mort certaine. Non content d'épargner un monstre, voilà qu'elle s'introduisait dans les sous terrains dans le but de l'aider. Mais elle avait fait des recherches durant le trajet du retour. Elle avait trouvé la preuve que Lowell Ayres existait réellement et qu'il avait bel et bien disparu depuis plus de six ans.

La blonde arriva dans un sous-sol aux murs de bétons. Lorsqu'elle appuya sur l'interrupteur, la lumière des néons grésilla. Scarlett prit une profonde inspiration. Ce lieu suscitait de nombreuses rumeurs. Certains prétendaient qu'il était gardé par un dragon. La faucheuse n'y croyait pas. Un dragon dans les sous-sols du manoir, cela ne passerait pas inaperçu.

Pour preuve, il n'y avait nulle trace d'une quelconque créature ailée et cracheuse de feu. Finalement, la meilleure protection pour ce lieu était la crainte qu'il provoquait et son mystère. Personne n'osait y descendre.

Une porte au fond du couloir attira son attention. Un coffre-fort : Mais ce n'était pas ce qu'elle cherchait. Sur sa gauche, une autre porte en acier l'attendait. La salle des archives ! Un boitier digicode accroché au mur attira son attention. Normalement, seul le Patron avait les codes d'accès. Scarlett sourit.

Malheureusement pour l'homme à la tête de l'ordre, Valentin était parvenu à les obtenir sans que la jeune femme ne sache comme il s'y était pris. Heureusement pour elle, elle avait entendu le jeune homme le dire une fois. Elle ne l'avait pas espionné intentionnellement, ça avait été un véritable hasard.

Les secrets étaient une chose complexe. Ils n'étaient bien gardés que lorsqu'ils l'étaient par une seule personne. Une fois que le Patron n'était plus le seul à en avoir connaissance, le code d'accès n'était plus un secret.

Elle tapa le code sur le boitier, fébrile.

1004.

Son sang pulsait contre ses tempes tandis qu'elle trépignait sur place. C'est alors que dans un grand bip, le loquet se débloqua et la porte s'ouvrit.

Scarlett exulta. Elle y était parvenue ! Avec méfiance, elle se glissa dans la salle de l'archive. L'obscurité régnait dans la pièce. Les grandes étagères se levaient jusqu'au plafond, couverts de livres, de parchemins, de classeurs et d'autres documents. Elle déambula entre les étagères, gagnée par la fascination. Ce lieu était rempli d'une connaissance infinie. Jamais elle n'avait vu tant de documents sur tant de sujets surnaturels dans un seul et même endroit. Il y avait là des textes sur tout ce qu'il pouvait y avoir de magique en ce monde. La faucheuse déchiffrait les titres et les inscriptions à la recherche d'un ouvrage qui pourrait lui présenter une solution. Son regard se baladait dans la pièce sans savoir où se poser. Avant qu'elle ne se fige.

Des livres étaient empilés sur une haute étagère dans un désordre qui tranchait avec le rangement sur les autres planches de bois. Un livre épais à la couverture en cuire qui semblait assez vieux attira son attention. Elle se hissa sur la pointe des pieds pour s'en saisir. Il pesait lourd et dégageait l'odeur des vieux parchemins.

Elle s'étouffa en silence en reconnaissant le livre qu'elle tenait entre ses mains. Le Répertoire de la sorcellerie depuis le commencement à nos jours... Ecrit par le premier de tous les faucheurs et fondateur de l'Ordre... Valentinus l'ancien.

Un ouvrage centenaire contenant tous les savoirs que le premier élu de la Mort avait écrit pour répertorier toutes ses connaissances.

Elle se précipita dans un coin de la bibliothèque, balayant les livres qui en recouvraient la surface et allumant la bougie. La flamme projetait une lumière rougeoyante autour d'elle, donnant à la jeune femme l'aspect d'une fée échappée des feux flamboyants. Elle portait aujourd'hui bien son nom.

Scarlett se rendit au dixième chapitre, intitulé ruse et maléfice de la Lune. C'était ce qu'il lui fallait. Elle dévala les premières pages qui parlaient des pièges que pouvait représenter l'amour ou des sortilèges des sorcières. Elle s'arrêta lorsqu'en bas d'une des feuilles elle arriva sur les malédictions que pouvait jeter la déesse mortelle concernant les créatures. Les trois dernières lignes étaient les plus intéressantes.

La Lune peut maudire des êtres humains, bons de natures et sujets de la Mort. Dès lors, ils deviennent ses serviteurs, ses créatures... Le sortilège et la transformation en monstre sont considérés comme irrémédiables...

La page s'arrêtait ici. À la lecture de cette phrase, son sang se glaça dans ses veines.

Pourtant, alors qu'elle relisait ces phrases, au bord de la résignation, un mot lui sauta à la figure. « Considéré ». Lorsqu'une chose était considérée c'est qu'il pouvait y avoir une autre version. Une solution.

À la hâte, elle tourna la page, à la recherche de la suite du texte et du moindre indice. Mais rien. Aucune information. Un nouveau chapitre commençait. Agacée, Scarlett feuilleta toutes les autres pages du livre, ses mains tremblant presque sous la précipitation. Mais toujours rien.

Un frisson la parcourut tandis qu'elle sentit la résignation la gagner. Pourquoi prendre tant de risque pour lui...

Elle ferma les yeux. L'image de Lowell sous sa forme lupine s'imprima derrière ses paupières. Sa poitrine se gonfla d'air lorsqu'elle reprit ses esprits. Elle ne savait pas pourquoi mais son instinct la poussait à se battre pour cet homme, cet inconnu. À se battre jusqu'au bout. Et en trois siècles, son instinct ne l'avait jamais trompée.

La Faucheuse retourna sur la page sur le maléfice. Songeuse, elle caressa le bord en parchemin de la feuille brune. Là, elle se rendit compte que le coin se décollait. Une double page ! Les feuilles étaient collées l'une à l'autre. L'espoir naquit à nouveau en elle tandis qu'elle s'empressa de décoller les pages, révélant la fin du dixième chapitre.

Elle avait trouvé ! L'écriture était hâtive, l'encre avait bavé, mais l'explication était là. À la lueur des chandelles, Scarlett déchiffra les mots.

Selon certains, la créature ne devient pas mauvaise tout de suite.

Malgré la joie qu'elle éprouvait à la lecture de cette phrase, elle sauta les lignes qui expliquaient comme Valentinus l'ancien avait pu arriver à cette conclusion pour aller à l'essentiel.

Le maudit possède un sursis de sept années. Sept années avant de sombrer pour de bon dans les voix obscures de la Lune.

Sept années !

Scarlett bondit sur sa chaise, stupéfaite face à cette nouvelle. Son cœur battait à rompre dans sa poitrine tandis qu'elle peinait à en revenir. Son optimisme revenait en flèche. Lowell disait être sous cette forme depuis six ans, presque sept. Autrement dit, il lui restait une dernière chance. 

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