Chapitre 4. I.

« Quand vient la sombre nuit
Le courage seul suffit
À combattre les torts futurs
Que sèment les créatures »

Extrait de l'hymne des faucheurs,
1004.

*

Scarlett était profondément déstabilisée. Elle ne savait plus que faire. Pouvoir communiquer avec l'esprit d'un monstre était inédit. Elle n'avait jamais entendu parler d'un tel fait. La jeune femme avait la curieuse impression qu'il s'agissait d'un esprit humain pris au piège dans cette monstrueuse forme canine. Mais comment en être sûre ? Comment être certaine qu'il ne s'agissait pas d'un piège ?

Pouvait-elle seulement s'y fier ou la créature n'attendait-elle pas le moindre signe de faiblesse ou d'inattention pour lui sauter dessus ?

Cependant, ce genre de ruse ne ressemblait pas aux monstres. Ces derniers pouvaient feindre, mais jamais entrer en contact avec les faucheurs par l'esprit. Il y avait là un véritable mystère.

Sans cesser de menacer la bête de son pistolet, ses doigts prêts à appuyer sur la gâchette, elle éructa à nouveau :

« Qui êtes-vous ?

Elle tremblait, fébrile. Lorsque la réponse lui parvint, elle crut perdre l'équilibre sous le coup du choc. La surprise était telle qu'elle en oublia sa plaie au bras, une plaie purulente et dont le sang dégoulinait. Mais elle ne pouvait plus se focaliser sur la douleur maintenant que cette voix raisonnait dans son crâne.

Je m'appelle Lowell... Pitié aidez-moi !

Scarlett tressailli à l'entente de cette voix grave mais humaine, pétrie d'un désespoir certain. Elle n'avait donc pas imaginé ! Il y avait bel et bien quelqu'un qui tentait de communiquer avec elle. Lowell... C'était un beau prénom. Elle l'aimait bien. Pourtant, la blonde ne se laissa pas distraire et rétorqua, conservant une voix tranchante :

— Comment parvenez-vous à me parler ?

La créature de la lune s'inclina encore plus au ras du sol. Cette fois, la Faucheuse en était certaine. C'était bel et bien une attitude de soumission. Par là, il cherchait à lui montrer qu'il ne tenterait pas de l'attaquer. Encore méfiante, elle se détendit légèrement, attendant la réponse à sa question.

Je n'en sais rien... Personne ne m'entend jamais... Vous êtes la première.

Elle fronça des sourcils en entendant ces mots. De plus en plus curieux... D'ordinaire, les monstres n'essayaient pas de communiquer. La plupart n'étaient même pas doués de paroles. Sa condition de Faucheuse lui indiquait de rester sur ses gardes voire d'abattre sur le champ cette chose tant qu'elle était en position de faiblesse. Mais son instinct de chasseuse lui soufflait qu'elle n'avait plus rien à craindre. Elle était maîtresse de la situation. C'était elle qui avait les cartes en main et non plus la Lune.

— As-tu demandé à une sorcière de te jeter un sort pour pouvoir communiquer avec moi ? demanda-t-elle, encore sur ses gardes.

Une sorcière ? Vous voulez parler de ces femmes qui rodent dans les bois ?

— Oui.

La créature secoua négativement son immense tête velue, un geste trop humain pour une telle bête. Cette vision perturba encore plus Scarlett. Il y avait une véritable raison à tout ceci.

— Pourquoi demandez-vous de l'aide ? À une Faucheuse qui plus est ! Je devrais vous tuer ! Vous êtes un monstre de la Lune.

C'est faux, je suis un homme !

La protestation avait été criée avec la hargne du désespoir. Soit la Lune avait développé de nouveaux stratagèmes pour coincer ses ennemis et Scarlett était d'une trop grande naïveté, soit il ne mentait pas et alors... La blonde ne voulait pas y penser.

— Prouvez-le ! ordonna-t-elle en relevant le menton sur un ton défiant.

Les pattes du prétendu Lowell se mirent à creuses la terre avec fureur, comme s'il était gagné par l'angoisse. De son perchoir, sur sa branche, la Faucheuse observait ce comportement trop différent de ce qu'elle avait pu voir jusque-là. Les yeux laiteux du loup géant plongèrent dans les siens et elle frissonna, glacée par la blancheur de ce regard, dénué de toute violence pourtant habituelle chez de telles créatures, et empreint la ferveur presque folle des désespérés. Lorsque la voix reprit, toujours dans son esprit, c'était d'une façon pressante :

Je m'appelle Lowell Ayres. Je suis né en France, à Paris mais j'ai principalement vécu en Angleterre. J'ai... trente-et-un ans. Ma mère... Ma mère était allemande et mon père anglais.

— Que sont-ils devenus ?

Ils sont morts quand j'étais enfant.

Scarlett soupira. Elle ne savait si elle pouvait le croire. Pour cela, il faudrait qu'elle fasse des recherches. Et pour faire des recherches elle devait quitter le bois aux sorcières. Ce qui nécessitait qu'elle descende de cet arbre. L'adrénaline tombait doucement et la douleur à son bras devenait de plus en plus forte. Elle ne voulait pas regarder la plaie de peur de découvrir son état. La jeune femme déglutit, tentant de garder les idées claires lorsqu'elle interrogea, sa voix tremblant quelque peu :

— Comment expliquez-vous votre apparence actuelle alors ?

C'est la Lune...

Le ton grave employé par le monstre résonna dans tout son être entier et elle serra le poing plus fort encore autour de son arme. Le monde vacillait étrangement autour d'elle tandis qu'elle se forçait à articuler :

— Vous prétendez avoir été envoûté ?

J'ai passé un pacte avec la Lune.

La Faucheuse écarquilla des yeux. Passer un pacte avec la déesse maudite était une terrible erreur. Les hommes ne se doutaient jamais du prix à payer. Son exaspération fut telle qu'elle ne pu s'empêcher de vociférer :

— Pour quelle foutue raison avez-vous pu faire une telle chose ?

Seul le silence lui répondit. L'homme devenu bête refusait de se confier. Lorsqu'il prit à nouveau la parole, le loup géant semblait piteux.

Quelle que soit cette raison, ce fut une erreur, je le sais. Je ne suis pas parvenu à honorer ma part du marché. Alors j'ai fuis jusque dans la forêt d'Abernethy pour lui échapper. Mais je me suis retrouvé piégé dans ce bois. Des monstres m'ont pris en chasse et m'ont acculé. C'est là que la Lune m'a métamorphosée en... En ça !

Il avait craché les deux derniers mots avec dégoût et fureur. Il avait horreur de lui, horreur de sa forme et la Faucheuse le devinait bien.

— Depuis combien de temps êtes-vous maudit ?

Six ans. Bientôt sept.

Scarlett essayait de juger la véracité de ses propos. Le doute était toujours permis avec la Lune. Pourtant, elle ne parvenait plus à se concentrer. Son corps entier irradiait de souffrance. Elle se risqua enfin à jeter un coup d'œil à sa blessure qui aurait dû commencer à cicatriser. Au lieu de ça, trois immenses entailles barraient son biceps, sanguinolentes. Les chairs étaient boursoufflées autour, et son bras baignait de sang. Un sang qui finirait par attirer d'autres créatures. Mais lorsqu'elle tenta de bouger son bras pour le protéger, l'éclair de douleur fut-elle qu'un spasme la parcourut. Elle perdit pieds et chuta de sa branche, les yeux écarquillés en voyant le sol s'approcher dangereusement. Elle pressa les paupières, se préparant au violent impacte. Tout ce que son corps rencontra fut une matière à la fois douce et rêche.

Avec précaution, elle ouvrit les yeux. La bête s'était jetée sous elle pour amortir le choc de son corps. La surprise gagna aussitôt la Faucheuse. Venait-il... Venait-il de lui sauver la vie ?

La jeune femme se remit sur pieds difficilement. La chute avait été brutale. Et elle était à deux doigts de tourner de l'œil. Sa respiration s'était faite sifflante et elle tituba. Ainsi, elle semblait encore plus frêle aux côtés de l'immense créature qui se pencha pour renifler les entailles. Tout ce que Scarlett parvint à murmurer fut :

— Griffures... Empoisonnées ?

Lowell ne répondit pas. Il ouvrit la gueule et laissa sortir une longue langue noire, immense qui faisait probablement la taille du bras de la jeune femme voir plus. Lentement, il lécha la plaie. La Faucheuse se figea. Elle n'avait plus la force de résister. Tout ce qu'elle pouvait faire, c'était observer cette immense langue nettoyer le sang et le pus, recouvrant les griffures d'une salive noirâtre.

Cependant la plaie à son bras semblait déjà aller mieux puisque le processus de cicatrisation s'était mis en place. La douleur diminua jusqu'à presque disparaître. Trop obnubilée par ce phénomène, elle n'entendit que d'une oreille distraite l'esprit humain enfermé dans le monstre murmure :

Pardonnez-moi pour l'attaque. Vous vouliez me tuer.

Scarlett hocha de la tête avec raideur, comme pour lui faire comprendre qu'elle comprenait. Elle hésitait à remercier Lowell. La bête l'avait certes sauvée mais elle n'avait pas été envoyée ici pour rien.

— Pourquoi avoir attaqué les promeneurs qui s'égaraient dans ce bois aux sorcières ? Eux ne cherchaient pas à vous faire du mal ?

Je ne le voulais pas, je le jure ! s'écria-t-il. Parfois, je perds le contrôle et c'est la Lune qui décide... Elle murmure d'horribles mots, prend tout contrôle... Et je ne peux plus lutter ! »

Scarlett le toisa un instant avant de hocher de la tête. Elle le croyait. Aussi fou que cela puisse paraître, elle ne pensait pas qu'il mentait. Elle en était convaincue. Et elle ne pouvait plus le tuer. Plus maintenant.

Une autre certitude s'empara d'elle, une certitude qui gonfla son cœur d'un souffle qu'elle ne lui connaissait pas. C'était loin du désir de vengeance ou du sentiment de devoir. C'était autre chose. Elle devait l'aider. Elle voulait l'aider. Personne ne méritait de finir maudit à vie pour une erreur. S'il y avait une chance de sauver cet homme, une chance de lui rendre son apparence, une chance de le tirer des griffes de la Lune, Scarlett la saisirait et s'y emploierait.

Mais avant cela, son instinct de Faucheuse prit le dessus. Elle ne devait prendre aucun risque. Remarquant que l'épaisse branche sur laquelle elle s'était réfugiée pendait dangereusement dans le vide, au-dessus de la tête du monstre, entraînée par sa chute, elle eut une idée. Une grimace étira ses lèvres tandis qu'elle ramassa son arme échouée à ses pieds.

Avant que le loup géant ne puisse agir elle leva le bras et tira sur la partie de la branche encore attachée à l'arbre. Celle-ci se décrocha et chuta droit sur le crâne de la bête à toute vitesse, l'assommant. La créature de la Lune s'effondra su sol, aux pieds de Scarlett, dans un nuage de poussière.

Maintenant il fallait dissimuler ce corps endormis et quitter ce foutu bois maudit !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top