Chapitre 20. II.
Valentin esquiva comme il put une énième attaque du loup géant. Combattre les sorcières était une bagatelle à côté du fait d'affronter une bête telle que Lowell. Ce dernier semblait furieux, prêt à le déchiqueter. La Lune avait pris le contrôle et le faucheur ne pouvait pas faire grand-chose hormis se défendre. Il se retenait d'envoyer des attaques mortelles contre la créature, sachant pertinemment que s'il la tuait si près du but, jamais Scarlett ne le lui pardonnerait.
Le fils du patron avait usé de tous les dons qu'il possédait pour ralentir son adversaire, que ce soit la télékinésie, la maîtrise des éléments ou bien d'autres de ces capacités qu'il avait récoltées durant sa longue vie de faucheur. Il était parvenu à blesser la bête, preuve en était les nombreuses plaies et blessures qu'elle abordait, sanguinolentes. Cependant, s'il ne pouvait pas la tuer alors qu'elle était au summum de sa puissance, il ne pouvait pas la stopper réellement.
« Pitié Scar', dépêche-toi !
Faisant appel à ses dons de pyrokinésie, il dressa un mur de feu entre lui le monstre qui feula, furieux d'être ainsi retenu. Sa mâchoire, gigantesque, s'ouvrit, telle une promesse menaçante à l'encontre du fils du Patron qui serra les points. Le feu léchait ses paumes et bien qu'il ne le craigne pas, il appréhendait ce pouvoir. Avec le feu, on pouvait tuer n'importe quelle sorcière. Mais pour les créatures de la Lune... Les choses pouvaient se montrer différentes.
Et il en eut la preuve, à son grand dam.
Alors que Valentin ne s'y attendait pas, le loup géant poussa un hurlement à en faire glacer le sang avant de faire un pas dans le brasier qui ne l'atteint pas. Puis un autre. Et encore un autre. Le monstre se dressait au milieu des flammes, sans avoir l'air d'en souffrir réellement. C'est à cet instant que le jeune homme comprit qu'il n'avait aucune chance face à Lowell. Et le temps pressait. Dans quelques minutes à peine, il serait minuit.
— Merde ! jura le faucheur avant de reculer tandis que la bête sortit des flammes, plus furieuse encore qu'elle ne l'était auparavant.
La Lune se nourrissait de cette fureur pour alimenter la férocité destructrice de celui qui était désormais son pantin. La fourrure déjà rouge du loup était des plus terrifiante à présent qu'elle avait été roussie par les flammes. Lowell avait à présent l'air d'une créature échappée des enfers. Alors même que Valentin allait attaquer, la créature se jeta sur lui, le percutant de plein fouet et le plaquant au sol. Le faucheur voulu s'échapper, mais l'immense patte griffue du monstre se posa sur lui, l'empêchant de bouger. Il était coincé. Et il allait très certainement y passer. Il tenta de se saisir de son arme mais la bête l'envoya au loin. Le tueur de sorcière avait beau faire appel à ses pouvoirs, le monstre ne bougea pas d'un poil. Alors, le fils du Patron pu voir avec horreur s'ouvrir devant lui le trou béant de la gueule du loup qui s'apprêtait à l'avaler. C'était fini.
— Lowell, stop !
Le cri venait de fuser derrière eux, résonnant dans toute la clairière. La bête se figea, surprise, alors qu'elle était à deux doigts de refermer ses crocs acérés sur Valentin. Il tourna son immense gueule vers l'origine du son. À l'entrée de la grotte, Scarlett le dévisageait, les traits tordus dans une appréhension dévorante. Les yeux vairons de la jeune femme passaient du monstre au faucheur. Dans sa main, le pacte scintillait, d'un éclat similaire à celui de la Lune.
Un bref instant, le temps paru s'être arrêté. Son regard se perdit dans celui, argenté et féroce, de Lowell. Ils se dévisageaient, bête et faucheuse, créature de la Lune et guerrière de la Mort. Et à cet instant, malgré tout ce qui les séparait, Scarlett comprit. Elle comprit à ses battements de cœur effrénés dans sa poitrine, à la douleur qu'elle ressentait à voir le maudit dans cet état, à la peur sourde d'échouer et au désespoir profond à l'idée de ne pas parvenir à inverser le maléfice, que Valentin avait raison.
Elle était tombée amoureuse de Lowell. Elle l'aimait. Cette tendresse qu'elle ressentait envers lui, ce désir qui grondait en elle, cette envie terrible de ne plus le quitter et surtout, ce lien entre eux, dès le premier jour, qui avait fait qu'ils puissent communiquer, qu'elle ait ressenti le besoin de le sauver... Ils étaient liés par quelque chose de puissant, de surnaturel, de mortel... De mortellement merveilleux. L'amour, comprenait-elle aujourd'hui. Un amour réel, presque un coup de foudre. Elle n'y avait jamais cru mais désormais, elle se rendait à l'évidence et elle comprenait. Elle comprenait enfin !
Et maintenant, voilà qu'elle risquait de le perdre. Il ne lui restait qu'une minute pour détruire le pacte, une minute pour le libérer. Elle avait essayé de le briser dans la grotte, sans succès. Il n'y avait qu'à l'extérieur qu'elle pouvait détruire la petite bille.
Soudain, celle-ci devint brûlante à son tour et la faucheuse fut obligée de le lâcher pour ne pas voir sa paume se couvrir de cloques. Elle tomba sur l'herbe à ses pieds, roulant entre les cailloux. Les yeux de l'immortelle s'arrondirent de stupeur lorsqu'elle comprit ce qu'il lui restait à faire.
Déjà, la créature s'était détournée d'elle et s'apprêtait enfin à achever Valentin. Au-dessus d'eux, la Lune savourait sa victoire imminente et le sang qui allait couler. Le sang du fils du Patron. Le sang de ses ennemis même. Pris aux pièges entre les griffes du loup géant, le faucheur ne pouvait que voir la Mort lui tendre les bras. Il ne pouvait plus rien faire.
Un frisson parcourut la tueuse de monstre. Tout reposait sur elle. La scène sembla se dérouler au ralenti lorsqu'elle leva son pied, mettant en évidence la semelle solide de ses bottes, renforcée de métal.
Scarlett écrasa la bille d'un coup de talon. Le bruit de verre brisé retentit étrangement dans l'air en même temps que le dernier tic tac de la montre de la jeune femme qui indiquait minuit. Le temps paru s'arrêter pour de bon. Plus personne ne bougea, pas même Lowell.
Soudain une immense vague de magie se dégagea du pacte brisé avec une puissance surdimensionnée, projetant tout le monde en arrière et ravageant toute la clairière. Scarlett se roula en boule au sol, fermant les yeux pour ne pas finir aveuglée. Elle sentait l'onde surpuissante passer sur sa peau et la traverser, l'inondant de la magie malveillante de la Lune qui était contenue dans la petite bille. Elle avait envie de vomir. Mais rien n'était plus puissant que la peur qui lui tenaillait le ventre à la pensée de Valentin et surtout de Lowell qu'elle avait vu être également projetés sur le côté.
À travers le chaos ambiant, elle parvint à entendre les hurlements du maudit qui plus loin, se tordait de douleur. Des hurlements mi-bestiaux, mi-humains, qui fendaient le cœur de la faucheuse. Mais elle ne pouvait guère bouger ou se relever, terrassée par la puissance du pacte rompu, malgré toute sa volonté de se lever et de rejoindre le maudit. Elle ressentait le besoin de se tenir à ses côtés... Sans pouvoir rien n'en faire.
L'onde de choc dévastait tout sur son passage, sans la moindre pitié, irradiant de magie. Le souffle de la Mort se mêlait à celui de la Lune tandis que le maléfice se brisait en mille morceaux, en proie aux furies des deux déesses.
Puis tout cessa et le calme s'empara à nouveau de la clairière perdue au beau milieu de nulle part. Dans le ciel, de lourds nuages noirs glissèrent devant la Lune, dissimulant la déesse et plongeant le bois aux sorcières dans l'obscurité.
Difficilement, Scarlett parvint à se relever, chancelant sur ses jambes. Le monde vacillait autour d'elle. Du coin de l'œil, elle put apercevoir Valentin se relever à son tour, certes blessé, mais vivant. Il était sauf ! Cependant son attention à elle était toute focalisée sur la masse informe étendue au cœur de la clairière, là où l'impact de la magie avait été le plus puissant. Elle se précipita vers elle, titubant. Un soulagement fragile et diffus la gagna et ses jambes cédèrent tandis qu'elle tomba juste à ses côtés. Etendu au sol, les yeux fermés, enveloppé dans l'immense cape rouge de Scarlett, l'homme était inconscient mais vivant. Bien que ce soit faiblement, sa poitrine se soulevait et elle entendait ses battements de cœur. Lents, frêles mais bien là ! Il était vivant ! Elle avait réussi.
Toute la tension s'envola brutalement et des larmes coulèrent sur les joues maculées de terre de la jeune femme qui se pencha autour du jeune homme, effleurant du bout de ses doigts son visage encombré par sa barbe rousse. Des ecchymoses, des griffures et du sang tachaient sa peau. Il était mal en point. Scarlett tremblait comme une feuille tandis qu'elle prit dans ses bras le corps de l'ex-monstre.
— Lowell ? s'étouffa-t-elle. Lowell, tu m'entends ?
Aucune réaction. Elle déglutit, luttant contre le maelstrom d'émotion qui prenait possession d'elle. La frayeur qu'elle ressentait n'avait rien à voir avec celle qu'elle avait pu ressentir un peu plus tôt. Elle avait besoin qu'il se réveille
— Réveille-toi espèce d'idiot, on a gagné ! Tu dois goûter à mes confitures tu te rappelles ?
Mais il ne réagissait pas, semblant plongé dans un profond état d'inconscience. La faucheuse grimaça. Elle ne savait plus quoi faire, quoi dire, quoi penser. Une boule obstruait sa gorge, l'empêchant de respirer correctement. Délicatement, elle retraça du bout des doigts les traits de celui qu'elle aimait, ignorant tout ce qui l'entourait, que ce soit le bois aux sorcières, la clairière dévastée ou bien Valentin qui, assis au sol, observait la scène sans dire le moindre mot.
Hésitante, elle déposa un léger baiser sur ses lèvres. Malheureusement, il restait immobile, telle une poupée de chiffon, tandis qu'elle ferma les yeux, sentant dans sa poitrine son cœur exploser. Il n'y avait que dans les contes que l'on pouvait réveiller l'être aimé en l'embrassant. Pourtant Scarlett ne se détacha pas de Lowell. Son baiser était maladroit, naïf, presque enfantin et elle tremblait contre lui, sans pouvoir vraiment contrôler ses sanglots. Rien ne lui semblait pourtant plus réel que la sensation de ses lèvres contre sur les siennes.
Soudain, une main se glissa dans sa chevelure blonde avant de caresser ses pommettes et elle sentit les lèvres du géant roux bouger contre les siennes. Son cœur loupa littéralement un battement alors qu'elle avait l'impression de plonger tête la première dans un lac de lave. Lowell ! La faucheuse ouvrit les yeux et se recula d'un coup. Il était réveillé et malgré une grimace de douleur, il lui souriait tendrement. Et plus que tout, il la dévorait de ses yeux si bleus qu'elle avait l'impression qu'il transperçait son âme.
— Bon sang ! jura-t-elle en se jetant à son cou, le serrant contre elle en une étreinte fiévreuse et maladroite.
Il y répondit, scellant ses bras autour de sa taille pour enfouir son visage contre l'épaule de l'immortelle. Blottis l'un contre l'autre, aucun des deux ne voulait se défaire de ce câlin bien trop réconfortant. Ils étaient bien, ainsi. Elle sentait le cœur du mortel battre, à un rythme endiablé, à l'unisson avec le sien. Et c'était la sensation la plus incroyable qu'elle n'eut jamais éprouvé. D'un ton empreint de gravité, Lowell murmura contre la peau de la jeune femme :
— Merci Scarlett...
— Je t'avais dit que nous réussirions !
Elle ne savait plus si elle pleurait ou si elle riait. Elle se recula légèrement pour faire face au jeune homme. Les larmes qui coulaient sur ses joues étaient désormais des larmes de joies. Cette vision sembla toucher plus que de mesure Lowell qui replaça une des mèches pâle de la jeune femme derrière son oreille avant de murmurer, la voix encore abîmée :
— Seul un idiot aurait pu en douter.
— Ça fait de toi un bel idiot dans ce cas !
Scarlett plongea son regard dans celui du mortel, se mordant la lèvre inférieure. Le sérieux dont elle faisait preuve à l'instant le surprit mais il n'eut pas le temps de dire quoique ce soit. Déjà, la blonde soufflait :
— Tant pis si tu en es un ! Je t'aime.
Les mots lui avaient échappé. Mais elle ne regrettait pas le moins du monde. Peu importe qu'elle fût immortelle et lui humain, ils trouveraient une solution à chaque obstacle qui se dresseraient sur leur route. Lowell sourit. La tendresse dont étaient marqués ses traits était si profonde, si touchante que nul ne pouvait douter de ses sentiments, pas même Scarlett. Pourtant, il lui répondit, posant une main sur la joue de la jeune femme, caressant du pouce la cicatrice qu'elle arborait :
— Je t'aime, aussi. »
Un sourire espiègle et resplendissant, un de ceux dont elle avait le secret, éclaira le visage de la faucheuse. Et pour toute réponse, elle se pencha à nouveau sur son visage pour l'embrasser. Lowell y répondit aussitôt, ses larges paumes glissant dans le dos de la jeune femme pour la presser plus encore contre lui, pour savourer le contact de cet ange gardien. Ce fut un baiser qui devint vite passionné, qui permit d'oublier toutes les plaies, toutes les fureurs, toutes les peines.
Le maléfice lunaire avait été rompu. Il était temps pour un tout nouveau maléfice, bien plus puissant et bien plus agréable, de faire son œuvre : celui de l'amour.
~
On se retrouve pour l'épilogue de toute cette aventure et une grande annonce jeudi 😉🙃
Aerdna.
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