Chapitre 18. II.

« Lowell arrêtez-vous ! ordonna Valentin.

Le principal concerné se retourna, surpris. Son regard était hagards et ses traits émaciés. Il semblait ne pas se rendre compte du rythme effréné qu'il avait emprunté depuis ce matin et qu'il imposait à ses compagnons. Il marchait depuis des heures, sans s'arrêter, pas même une petite minute. Il n'était pas immortel et il ne tiendrait pas plus longtemps ainsi. Le faucheur soupira.

— Je sais que nous sommes pressés mais vous êtes le seul capable de nous mener au pacte. Alors si vous vous écroulez en chemin, tout cela n'aura servi à rien.

Scarlett acquiesça aux paroles de son ami. Le tueur de sorcière avait raison. Face à l'entente entre les deux immortels, Lowell dû céder.

— Rien qu'une dizaine de minutes, grimaça-t-il cependant.

— Si vous y tenez tant...

Le géant roux s'adossa à un tronc d'arbre, soufflant. Il commençait en effet à ressentir les effets de la fatigue. Mais il ne voulait pas se laisser aller, céder à l'épuisement. Après cette nuit-là, soit il redevenait un homme libre, soit il mourrait. L'homme en lui mourrait. Et dans ce cas, il préférait que la bête suive.

Tout à ses pensées morbides, il sursauta lorsqu'une main apparu dans son champs de vision, lui présentant un bout de pain. Il releva la tête, tombant nez à nez avec Scarlett qui attendait qu'il prenne le pain, impassible. Lowell hésita à s'en saisir si bien qu'elle grimaça :

— Promis, il n'est pas empoisonné. Comme l'a dit notre cher Valentin, se serait contre-productif de te tuer alors même que tu es le seul à pouvoir nous guider ici.

Si la plaisanterie ne parvint pas à arracher un sourire à l'homme cela eu le mérite de le détendre quelque peu. Il s'empara du bout de pain et en découpa un petit morceau. Ce geste ramena tout de suite la bonne humeur de Scarlett qui releva le menton, le regard pétillant. Lowell se mordit la langue. Avait-elle seulement conscience qu'elle rayonnait dans l'univers hostile et froid du bois aux sorcières ? Comment pouvait-elle ainsi déborder d'enthousiasme quand la situation était si catastrophique ? Comment faisait-elle pour autant dissimuler ses émotions au profit d'un optimisme délirant ?

Il n'en avait pas les réponses, mais il brûlait de les connaître, de connaître la jeune femme et surtout de pouvoir profiter des rayons de sa lumière et de sa force chaque jour encore.

Sans même se douter des pensés de celui qui lui faisait face, l'immortelle soupira :

— C'est fou, j'ai l'impression que nous ne faisons que cela... Marcher...

— C'est un peu le cas.

Son ton était neutre mais l'homme la couvait d'un regard attentif. Elle pencha la tête sur le côté.

— Je crois que c'est ma plus longue traque. D'ordinaire, en moins de temps, j'ai déjà débusqué ma proie, et je l'ai mise hors d'état de nuire...

— En combien de temps m'as-tu trouvé ?

Scarlett esquissa un de ces sourires espiègles dont elle avait le secret. Un peu tordu mais adorable aux yeux de Lowell.

— Honnêtement ? En une journée. Mais tu n'as pas de honte à avoir, je suis la chasseuse de monstres la plus talentueuse qui soit.

Elle lui lança un clin d'œil. Sa vanité, qui lui parut bien fausse, tira un rire au maudit qui plissa des yeux avant de susurrer :

— Je crois que le caractère orgueilleux de Valentin déteint sur toi.

La blonde se mordit la lèvre inférieure pour se retenir de rire.

— C'est bien possible...

— Je suis bien heureux que la chasseuse de monstres la plus talentueuse qui soit m'ait épargné dans ce cas.

— Je suis presque certaine qu'elle aussi.

Elle plongea son regard dans celui de son interlocuteur. Son sourire disparu pour laisser place à une expression sérieuse, grave. Mais elle ne dit rien, conservant le silence. Ils restèrent ainsi, l'espace de quelques instants, muets, à se dévisager l'un l'autre.

L'esprit de la jeune femme s'envola vers un ailleurs, un lieu où la Lune et la Mort ne se livreraient pas à cette guerre sans merci. À quoi ressemblerait ce monde sans magie ? Quelle vie aurait-elle vécu ? Quelle aurait été la vie de tous ceux qu'elle connaissait ? Aurore, Philipe, Valentin... Lowell. Jamais elle ne l'aurait rencontré. Mais jamais il n'aurait été victime du cruel sortilège de la Lune. Cela n'aurait-il pas mieux valu ? La faucheuse était partagée, elle ne savait qu'en penser.

Et plus elle se perdait dans le bleu des yeux du maudit, plus elle était certaine que cela aurait manqué à sa vie. Les chasses, ses amis, Valentin et puis Lowell.

Soudain, un mouvement dans un fourré attira son regard. Scarlett se figea imperceptiblement et fronça des sourcils. Son geste ne passa pas inaperçu auprès de Valentin qui s'approcha d'eux et s'enquit, sombrement :

— Qu'y-a-t-il ?

L'immortelle observa un instant le buisson de ronces qu'il lui semblait avoir vu bouger. Mais il demeurait aussi immobile que se devait de l'être un buisson. Elle secoua la tête.

— J'ai cru voir... Mais, ce n'est rien...

Le fils du Patron hocha de la tête sans vraiment trop y croire. Malheureusement, si la pause avait été nécessaire pour la santé de leur guide, ce dernier avait raison sur un point : ils étaient vraiment pressés. Lowell comprit qu'il était temps et se redressa. Finissant d'avaler le maigre déjeuner que lui avait donné la jeune femme, il ferma un instant les yeux.

Le pacte était toujours là. Et de la même manière qu'une sirène chanterait pour envoûter les marins et les attirer dans ses filets, l'incarnation physique de l'accord qu'il avait passé avec la déesse l'appelait.

Alors il répondit à l'appel, suivant la piste qui se dessinait sous ses paupières, animé d'une nouvelle détermination. Reprenant la marche, Scarlett ne pouvait s'empêcher de surveiller les taillis et autres buissons. Elle n'était pas folle et elle était presque certaine de ce qu'elle avait vu.

Ils arrivèrent à une partie du bois où la végétation était plus danse. Les arbres arboraient des branches noueuses et épaisses, de nombreuses ronces grimpaient le long de troncs ou formaient des buissons infranchissables et les racines s'entremêlaient au sol, formant un tapis truffé de pièges pour les chevilles. Scarlett grimaça. Il était difficile d'évoluer dans un tel environnement. Le moindre pas pouvait les faire chuter et les différents chemins pour fuir en cas de danger diminuaient considérablement. Ils étaient en quelque sorte piégés par la nature qui leur avait coupé toute voie de retraite.

Le bruissement d'un feuillage titilla l'intuition de l'immortelle qui fronça des sourcils. Instinctivement elle sa baissa, évitant la branche que venait de lui balancer un arbre en pleine figure. Intentionnellement ! L'arbre venait de prendre vie et de lui balancer son branchage avec la force d'un boulet !
Se relevant, la faucheuse bondit en arrière, évitant de justesse une nouvelle attaque. Elle se tourna vers ses compagnons, stupéfaits.

La forêt les attaquait !

Elle n'eut pas le temps de prendre conscience de ce que cela impliquait réellement. Il fallait qu'ils sortent de là. Et vite.

— Courrez !

Ils obéirent sur le champ. Évitant les branches que les arbres leurs balançaient à la figure et les racines qui s'éveillaient pour tenter de les faire trébucher, ils courraient à en perdre haleine.

Soudain une racine s'enroula autour de la cheville de Valentin le faisant chuter à même le sol. Le choc fut brutal. Scarlett se retourna, prête à prêter main forte à son ami mais un mur de ronce se dressa devant elle. Un rictus étira ses lèvres alors qu'elle pencha la tête sur le côté. Là, elle était vraiment énervée. Sans pouvoir, il allait lui être difficile de se débarrasser de cet adversaire coriace, épineux et surtout, véritablement déterminé à l'empêcher de passer.

Saleté de Lune !

Et encore, elle restait polie !

Armée de sa hache, elle entreprit de tailler le buisson, esquissant des gestes furieux. Si la plante recula un instant, blessée, elle sembla s'enhardir à nouveau et la ronce doubla de taille, ses épines grossissant elles-aussi. Un juron bien plus laid que le précédent échappa à la blonde. Cette fois, elle était dans de beaux draps.

Une des tiges s'enroula autour de son bras. Un grognement de douleur lui échappa tandis que les épines s'enfonçaient dans sa chair. La souffrance lui fit lâcher sa hache. D'autres tiges entreprirent de l'entraver à leur tour. Il en était hors de question !

D'un geste brusque du bras, Scarlett se débarrassa de la ronce qui l'étreignait sans se soucier des épines qui lacérèrent sa peau et sa chair. Elle recula de plusieurs pas, s'éloignant de la vicieuse plante. Ramassant sa hache elle s'attaqua cette fois-ci aux racines de la plante. Sans se soucier des tiges qui tentaient de l'en empêcher, la griffant et la blessant, elle y mit dans de hargne qu'elle parvint à déraciner la ronce qui perdit soudain toute vie. Enfin libérée de son assaillante, elle put se tourner vers Valentin.

Ce dernier s'attaquait aux racines qui l'entravaient avec un poignard, tentant de les découper pour s'en libérer. Mais peine perdu, les tiges étaient solides et continuaient leur ascension. Le faucheur poussa un grognement de rage. Lâchant son coutelas, il laissa ses mains s'embraser, brûlant les lianes qui s'enroulaient autour de ses bras et de ses jambes. Les plantes partirent en cendre et celles ayant survécu se retirèrent.

— Une bonne chose de faite ! marmonna-t-il en se relevant.

Au pas de courses ils rejoignirent Lowell qui cherchait une voie de sortie, quelque chose qui leur permettrait d'échapper à cette nature vendue aux services de la Lune. Ses yeux s'écarquillèrent.

— Par-là !

Sans attendre il s'engouffra sur un sentier, au pas de course et les deux immortels n'eurent d'autres choix que de le suivre. Les ronces et les arbres tentaient de les arrêter et d'immenses racines les talonnaient. À bout de souffle, Scarlett courrait pratiquement à l'aveugle, évitant les branches et autres obstacles. L'adrénaline coulait avec la puissance d'un torrent dans ses veines, anesthésiant toutes douleurs. Son cœur battait à rompre dans sa poitrine. Elle ne savait même plus si elle respirait encore où si elle retenait son souffle depuis plusieurs minutes déjà.

Ils déboulèrent dans une espèce de clairière, un large cercle de terre dénué de toutes végétations. Les plantes à leur poursuite s'arrêtèrent à la lisière du bois avant de se retirer lentement. La limite du piège était là.

Scarlett souffla, soulagée. Ils l'avaient échappé belle... Se penchant en avant, elle reprit une respiration normale. Lowell s'était laissé tomber au sol, à deux pas d'elle. Pendant plusieurs minutes, aucun d'eux ne put rompre le silence tant ils essayaient de se remettre de cette étrange course poursuite.

Soudain un gloussement nerveux échappa à la faucheuse. Ses deux compagnons la dévisagèrent comme si elle avait perdu la tête. Elle tenta de se justifier, entre deux éclats de rire :

— Si on m'avait dit qu'un jour je me ferais poursuivre par des plantes, je n'y aurais jamais cru...

L'espace d'un instant, on aurait pu entendre les mouches voler. Puis, brusquement, Lowell et Valentin explosèrent de rire à leur tour, évacuant la tension qui s'était accumulée. Les éclats du maudit étaient chauds, entrecoupés par sa respiration sifflante. Scarlett se calma, savourant la mélodie de l'hilarité de ses compagnons.

Elle passa la main sur son bras, là où la ronce s'était enroulée. La veste en cuir était déchirée, de même que sa chemise et elle saignait. Elle grimaça. La plaie piquait mais n'était pas si douloureuse que cela. Lowell remarqua la blessure de la jeune femme et fronça des sourcils, inquiets. Elle le rassura aussitôt.

— Ce n'est rien, je cicatrise déjà !

Le calme était revenu. Mais ils ne perdirent pas de vue leur objectif. La journée était bien avancée. Et il fallait encore trouver les pactes. Valentin se redressa correctement, et récupérant tout son sérieux, il grogna :

— Très bien, assez rit, en route ! »

Lowell soupira tandis qu'ils s'engagèrent sur un petit sentier et qu'il prenait la tête du trio. Il ne savait si c'était parce que la Lune serait pleine ce soir ou si c'était dû à son dernier jour de sursit, mais plus ils s'enfonçaient dans les bois, suivant la piste des pactes, plus il sentait son cœur se serrer dans sa poitrine, et ses sensations humaines être remplacées petit à petit par les instincts bestiaux. Il parvenait à la réfréner. Mais il craignait de ne pas pouvoir s'exprimer avant que tout ne soit trop tard.

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