Chapitre 16. I.
« 1, 2, 3,
Nous irons au bois.
4, 5, 6,
Combattre des maléfices.
7, 8, 9,
Sur mon poignard neuf,
10, 11, 12,
Coulera le sang rouge. »
Scarlett,
Comptine revisitée.
*
« Attention la branche !
Scarlett se baissa aussitôt pour éviter le retour de la branche que Lowell avait poussé sur son passage et qui revenait vers elle à toute vitesse. En se relevant, elle pencha la tête sur le côté, les lèvres pincées, avant de râler :
— Vous pourriez faire attention aux gens de petites tailles !
Sa protestation arracha un drôle de rire au géant roux à mi-chemin entre le ricanement et le soupire. Malgré l'atmosphère qui se voulait légère, tous savaient que le temps leur était plus compté que jamais. Voilà deux jours qu'ils erraient dans cette forêt et ils n'avaient toujours pas trouvé ce bois aux sorcières. Au fond d'elle, Scarlett craignait que la sorcière leur ait menti. Même si Valentin leur assurait que cela était impossible puisqu'il avait utilisé ses pouvoirs pour la faire parler, et que ces mêmes pouvoirs le guidaient dans la bonne direction, la jeune femme ne pouvait s'empêcher d'y songer.
Parallèlement à ce doute, s'opposait la voix de la Mort sortie tout droit de son rêve qui lui répétait inlassablement de ne pas abandonner, de s'accrocher. Elle glissa un regard vers Lowell qui la précédait. Depuis son réveil, le maudit était étrange. Il maintenait quelque peu ses distances avec la jeune femme. Peut-être était-ce à cause de leur discussion de la nuit passée ? À moins que lui aussi ne doute du bien-fondé des paroles de la sorcière... Après tout, c'était lui qui en paierait le prix s'ils ne trouvaient pas le pacte et ne le détruisaient pas...
Bien que Scarlett rejette cette possibilité, elle savait que l'idée de la défaite flottait dans les esprits de ses compagnons. Ce n'était pas anormal, bien évidemment, mais à force, ils finiraient par la déprimer.
Soudain, Lowell se figea si brusquement que Scarlett le percuta de plein fouet. Elle tituba un instant, perturbée par ce choc imprévu. Elle s'attendit à recevoir une moquerie de la part de Valentin mais le faucheur restait silencieux. Alors, l'immortelle se tourna vers ce qui avait ainsi pétrifié ses compagnons. Son souffle se bloqua dans sa gorge tandis que ses poings se crispèrent.
Ils y étaient enfin. Le bois aux sorcières.
Une faille dans le sol séparait le flanc de la montagne en deux. Du côté où se trouvaient les deux faucheurs et le maudit, la forêt était tout ce qu'il y avait de plus normal. Mais de l'autre... De l'autre, les arbres étaient différents. Leurs troncs étaient noirs, ainsi que leurs branches. Les rares possédants des feuilles s'élevaient si haut qu'ils empêchaient la lumière du jour de pénétrer. Une brume inquiétante s'élevait du sol, dissimulant les pièges qui pouvaient être parsemé sur celui-ci. Certains buissons de ronces étaient si épais qu'ils semblaient infranchissables. Tout en ce lieu était hostile. Même l'atmosphère. Sans y avoir encore pénétré, Scarlett sentit un frisson glacé dévaler son échine et ses tripes se nouer. Ce n'était pas de la peur. C'était simplement la mauvaise influence dû à la malveillance de ce lieu.
À ses côtés, Lowell était si crispé qu'il ressemblait à une statue de cire. Il serrait tant les poings autour des bords du chaperon rouge qu'il portait que ses phalanges blanchissaient à vue d'œil. Un grognement qui n'avait rien d'humain s'échappa de sa gorge et cette fois-ci, la faucheuse vit la bête qui ressortait derrière l'homme. Elle voulut tendre la main vers lui dans l'espoir de l'apaiser quelque peu mais il s'écarta brutalement, instinctivement. Il le regretta aussitôt mais il n'y pu rien. La présence du bois aux sorcières, si près de lui, influençait son comportement.
Scarlett ravala sa déception.
Valentin, témoin silencieux du drôle de manège qui se déroulait entre ses deux compagnons, secoua la tête et soupira.
— Allons-y, ne perdons pas de temps. Je doute que nous trouvions les pactes avant la tombée de la nuit, mais l'espoir fait vivre... selon certain.
Disant cela, il coula un regard empli de sous-entendu à la blonde qui esquissa un rictus. Venait-il de se moquer de son optimisme ? Il ne lui laissa pas le temps de répliquer et enjamba les un mètre de distance qui séparaient les deux bords de la faille d'un pas agile. Sitôt mit-il pieds dans le bois aux sorcières qu'il sentit le changement opérer. La magie de la Lune était partout. Elle le guettait et attendait patiemment qu'il tombe dans un de ses pièges. Ses poings se crispèrent tandis qu'il puisait en lui pour conserver son masque d'impassibilité. Le fils du Patron se tourna en direction de ses deux compagnons et leur fit signe de le suivre.
Scarlett grimaça.
— Quand faut y aller...
— Faut y aller ! compléta dans un grondement sourd le géant roux à ses côtés.
Ils échangèrent un regard avant de traverser à leur tour la frontière entre le monde mortel et la partie maudite de la forêt.
Le contraste entre la luminosité de la forêt de Cauterets et la pénombre du lieu les força à battre des paupières afin d'habituer leur vue. Le froid les saisit jusqu'à l'os. L'immortelle poussa un profond soupire.
— Si on m'avait dit que cette chasse devait me mener dans un lieu pareil...
— Qu'aurais-tu fait ? la coupa Valentin. Aurais-tu refusé la mission ?
— Bien sûr que non, s'offusqu'a-t-elle. Mais j'aurais pu prendre un manteau plus chaud. On est censé être au printemps pas en plein hiver !
— Pleins-toi auprès de Lowell, dis-lui qu'il aurait pu passer son fichu pacte avec la Lune en plein mois d'Aout !
Le principale concerné leva les yeux au ciel, luttant contre la tension qui gagnait le moindre de ses membres pour marmonner :
— Comme si j'avais choisi...
Pour une fois, le brun se passa de toute réplique. S'éterniser dans ce débat était stérile, d'autant plus qu'à présent, ils se trouvaient en terre ennemie. Il valait mieux avancer.
Malgré la brume qui recouvrait le sol et ralentissait leur route puisqu'ils ne pouvaient voir où ils mettaient les pieds, les trois compagnons s'enfoncèrent dans le bois aux sorcières, sur leur garde. Le sentiment d'être observé ne quittait pas Scarlett qui utilisait ses sens développés à la recherche de la moindre menace.
— Tout ceci n'est que folie, nous ne savons même pas quelle direction prendre... pesta-t-elle.
— Il faut suivre la logique de ces bois... Plus nous nous y enfonçons, plus nous avons de change de trouver ce que nous cherchons. C'est au cœur de ses terres que la Lune dissimule la plus noire de ses magies.
L'explication de Valentin tempéra légèrement l'impatience de sa comparse. Cette dernière voulait bien le croire, il devait avoir plus du triple de son âge. Malheureusement, son instinct lui soufflait parallèlement qu'ils n'arriveraient à rien ainsi.
— Qu'y-a-t-il Scar ? Ton légendaire optimisme se serait-il fait la malle ? ricana le faucheur.
— Il a probablement eu marre de ta sale tête ! rétorqua-t-elle aussitôt.
— Oh non, mon pauvre petit cœur est brisé...
— Surprenant que tu en aies un...
— Le bois aux sorcières te rend méchante ma chère. Tu devrais faire attention à ce que la Lune n'en profite pas...
Scarlett ne répondit rien, se contentant de soupirer. Malheureusement, le regard en coin que lui lança le fils du Patron ne lui échappa pas. Il était inquiet. S'il la taquinait ainsi, c'était pour s'assurer qu'elle aille bien. Qu'elle tienne le coup.
Elle saluait l'intention.
— Il tient à toi, lui glissa Lowell en s'avançant à son niveau.
— Je crois bien que oui.
— Ça n'est pas étonnant...
Le géant roux avait murmuré cela sur un ton qui aurait pu passer pour de la nostalgie... Mais ça n'en était pas. La faucheuse se dévissa le coup pour l'observer, tout en éviter, une racine qui entravait son chemin et qui avait très certainement pour but de la faire chuter.
— Et toi, tiens-tu à moi ?
Surpris par l'audace de cette femme qui semblait ne rien craindre, Lowell ne put empêcher son sourire ni la vague de tendresse qui le parcourut, chassant automatiquement toute sa crispation.
— Qui ne le pourrait pas ?
Cette fois un petit rire échappa à la tueuse de monstre. Elle en oublia presque où elle se trouvait, faisant pour la première fois de sa vie l'erreur de baisser sa garde.
— Ça n'est pas vraiment une réponse tu sais ? »
Le jeune homme esquissa une moue amusée. Mais celle-ci s'évanouit aussitôt alors qu'il fronça soudain des sourcils.
Avant que Scarlett ne comprenne ce qu'il se passait, Lowell bondit brutalement sur elle le projetant au sol, et la plaquant sous lui. Surprise, la faucheuse n'eut pas le temps de réagir sentant le corps du géant roux l'écraser de tout son long et son souffle se couper sous le choc de leur chute. Elle sentit dans son dos le sol dur du bois aux sorcières trembler sous le poids d'un nouveau venu. Lorsque son compagnon roula au sol pour la libérer elle comprit enfin son geste.
À l'endroit même où se tenait la tueuse de monstre il y a quelques secondes, se dressait une créature des plus hideuses. Semblable à l'apparence que prenait Lowell lorsqu'il se métamorphosait en bête, cette créature-là était ours là où Lowell était loup. Scarlett l'assimila aussitôt à la malebête – aussi appelée bête des Angles, cette créature semblable à un ours qui dévorait les enfants dans les légendes – tant elle lui ressemblait.
Mais elle n'eut pas le temps d'approfondir plus sa réflexion.
Le monstre attaqua.
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