Chapitre 13. II.

Ils avaient marché toute la matinée dans un silence presque religieux, troublé par les bruits naturels de la forêt. Scarlett avait pris la tête de la troupe, guidée par l'esprit de son totem et les instincts de louve qui la gagnaient lorsqu'elle le désirait.

La pente était ardue, difficile à grimper même pour les sportifs qu'étaient les faucheurs. De plus, la montagne pouvait se montrer imprévisible, et ils avaient déjà dû faire plusieurs détours à cause de failles. Si les villes de la vallée de Cauterets ne se trouvaient pas loin à vol d'oiseau, il était tout de même aisé de s'égarer entre ces gorges, ces sommets et ces bois profonds. Le bois aux sorcières semblait se dissimuler toujours plus profondément dans la nature sauvage et très vite, cela était devenu aussi difficile que de chercher une aiguille dans une botte de foin.

Lorsque le soleil fut à son zénith et que la chaleur de ses rayons luttait avec la fraîcheur de l'ombre des arbres, le trio décida de faire une courte halte, près d'un ruisseau. La blonde se pencha par-dessus le court d'eau pour s'abreuver. Le liquide était gelé, rafraîchissant et elle ferma un instant les yeux. Lorsqu'elle se redressa, récupérant dans son sac du pain et de la terrine, elle alla s'asseoir près de Lowell qui s'était réfugié dans son coin, sur une souche, perdu dans ses pensées.

La jeune femme respecta le silence du géant roux qui ne fit pas mine de vouloir s'éloigner d'elle. Puisque sa présence ne paraissait pas déranger, elle se contentant de sustenter son estomac à ses côtés sans ne rien faire ou ne rien dire. Jusqu'à ce qu'il ne prenne la parole, rompant le silence le premier.

« Je suis désolé pour hier soir... marmonna-t-il, d'un ton obscure.

Scarlett chassa ses excuses d'un geste vague de la main avant de rétorquer une phrase qu'elle avait l'impression de répéter ces derniers temps.

— Ce n'était de ta faute.

Il tressaillit. Une ombre voilà son regard et une certaine tension s'empara de ses membres. Physiquement, il maintenant la distance avec la jeune femme, mais mentalement, elle avait l'impression qu'il se trouvait très près d'elle, à la lisière de son esprit, et qu'il communiquait avec son cœur comme lorsqu'il était sous forme bestiale.

— Si, ça l'était. Il faudra que tu arrêtes de me déculpabiliser à tort et à travers, Scarlett.

La faucheuse se tourna brutalement vers lui, piquée au vif. Elle chercha son regard avant de souffler, vexée :

— C'est ce que tu penses ? Que je cherche à effacer ta faute ?

— Oui.

Elle ouvrit la bouche, prête à protester mais il la coupa, l'air grave :

— J'ai passé ce pacte avec la Lune. Je me suis engagé tout seul dans ce merdier. Le loup est moi et je suis le loup. Ce qui signifie que ses torts sont aussi les miens.

— Je ne suis pas d'accord ! contesta-t-elle, indignée.

Lowell sourit, légèrement désabusé, avant de secouer la tête de gauche à droite, lentement. Une certaine tendresse le gagna lorsqu'il répliqua :

— Ça, Scarlett, c'est parce que tu es trop optimiste.

— C'est mon optimisme qui va te sauver, imbécile !

La jeune femme avait rugit ces dernières paroles avec agacement. L'homme haussa des sourcils devant l'insulte qui lui semblait bien désuète. Avant de sourire. Il se surprit lui-même pour ce geste mais il ne put le retenir. Il avait toujours envie de sourire en compagnie de la jeune femme. Si elle n'avait pas été une faucheuse chargée de combattre la magie noire, il aurait pris cela pour de la sorcellerie.

Scarlett perdit ses moyens face au regard qu'il lui lançait. Encore une fois, ses yeux d'un bleu saisissant étaient déstabilisants par leur pureté, par le contraste qu'ils formaient avec ses airs d'ours, mais surtout par la douceur qu'ils contenaient. La faucheuse aurait juré qu'il la dévorait du regard. Troublée, elle cracha :

— Ne me regarde pas comme ça.

Il sembla surpris.

— Comment ?

— Comme tu me regardes maintenant.

— Pardon.

Il baissa la tête. Mais l'immortelle eut le temps de discerner le petit sourire en coin qu'il avait esquissé. Elle se mordit la langue pour se retenir. Parfois mieux valait se taire que dire des bêtises. Et des bêtises, elle avait l'impression d'en dire plein en compagnie de Lowell. Elle réfléchit quelques instants, de manière à bien construire sa phrase, avant de se lancer, ayant récupéré tout le sérieux qu'elle possédait :

— Tu sais, on a tous nos torts. J'en ai, tu en as, Valentin en a - oui, oui, je te l'assure, même sous ses airs de beau gosse parfait. Si tu veux assumer et que tu en es capable, c'est tant mieux. Mais si tu laisses les remords t'envahir, jamais tu ne parviendras à dépasser ce maléfice qui t'a été lancé et jamais tu ne parviendras à te défaire du fardeau que t'a légué la Lune.

Le géant roux réfléchit quelques instants aux paroles de la jeune femme tout en la scrutant. Elle avait parlé avec une telle ferveur qu'il n'en douta plus. Elle savait de quoi elle parlait. Elle l'avait vécu. D'une voix basse, avec une douceur qui contrastait avec son apparence brute, il s'enquit :

— Et toi, quel est ton fardeau Scarlett ?

Elle se mordit la lèvre inférieure, son cœur hésitant dans sa poitrine. Elle décida d'opter pour une réponse sibylline qui protégerait encore un peu ses secrets qui n'en étaient pas vraiment et avec lesquels elle vivait depuis longtemps.

— Tu as dû lire mon conte non ? Alors tu sais. »

Lowell la dévisagea quelques instants avant d'hocher de la tête, compréhensif. Elle souhaitait conserver le silence sur ses actes, tout comme lui au sujet de la raison du pacte. Il respectait cela. Et étrangement, il se sentait un peu mieux, un tout petit peu, mais tout de même ! Scarlett avait le don d'apaiser ses plaies internes, celles qui peinaient à guérir et que la culpabilité rongeait. Il n'avait pas besoin de s'entendre dire que c'était de sa faute. Il avait besoin de voir qu'on l'acceptait malgré ses crimes. Qu'il était toujours humain.

Et humain, il le redevenait aux côtés de la caractérielle faucheuse.

À quelques mètres de là, Valentin qui avait pris l'habitude de se tenir à l'écart du duo Scarlett-Lowell, les observait silencieusement. Il était observateur et avait remarqué certaines choses qui avaient de quoi le surprendre et l'amuser. Malheureusement les principaux concernés semblaient avoir plus de mal que lui pour comprendre les choses. Cela promettait pour la suite de cette aventure ! Certes, le beau brun conservait ses réserves par rapport à Lowell et n'était pas enchanté à l'idée de s'être embarqué dans cette histoire mais il le devait bien à Scarlett. Scarlett qui n'avait pas tort la veille lorsqu'elle lui avait lancé ces piques qui lui étaient restées en travers de la gorge malgré ce qu'il laissait voir. S'il se refusait à se laisser trop d'espoir et qu'il craignait d'échouer c'était à cause du passé, à cause de Gretel, de Hansel et de Blanche. Peut-être un jour parviendrait-il à se pardonner sa part d'erreur dans cette sinistre histoire. Mais pour le moment, il en avait une nouvelle à écrire, celle où lui et cette optimiste de Scarlett sauvait un mortel suffisamment idiot pour avoir passé un pacte avec la Lune de son maléfice lunaire.

Soudain, Valentin sentit l'encre noire de son tatouage qui s'étendait sur tout son torse se réchauffer. Il frémit, levant les yeux au ciel. Un corbeau de la couleur des ténèbres croassa avant de se poser sur une branche juste au-dessus de sa tête. Le faucheur sourit à la vue de son totem qui avait rempli la mission qu'il lui avait confiée. La fierté le gagna aussitôt. Attaché à l'une des pattes de l'oiseau par un cordon noire, se trouvait un petit rouleau de papier. Le jeune homme s'en saisit délicatement pour ne pas blesser son totem. Il déplia le petit papier. C'était un message du patron. Il soupira en déchiffrant l'écriture furieuse de son père.

Valentin,

Je ne sais ce que tu fabriques, mais j'ai appris que Scarlett n'était pas rentrée de sa mission. Pourtant, ni elle, ni ce monstre ne sont morts. J'avais espéré que peut-être tu saurais m'éclairer à ce sujet. Mais voilà que j'apprends que mon propre fils a disparu, sans laisser de trace. Je t'ordonne de me dire ce qu'il en retourne. Ne me fais pas regretter d'avoir fermé les yeux trop longtemps sur tes actes. Reviens à la raison, fils.

Ton père, Grand Patron de l'Ordre des faucheurs.

Valentin ferma les yeux un instant, la mâchoire serrée et tous ses muscles crispés. Il imaginait sans mal son père écrire ces mots animés par la colère et la déception que lui inspiraient souvent les actes du faucheur. Il avait toujours voulu avoir un fils aussi digne et respectueux qu'il avait été. Valentin avait certes cultivé l'orgueil des patrons mais son tempérament rebel n'enchantait guère le vieil homme qui ne manquait pas de le faire savoir. Mais Valentin était un adulte, un faucheur et sa loyauté n'allait qu'envers la Mort. Pas envers son père. Un rictus mauvais aux lèvres, il répondit silencieusement au message du Patron.

Désolé, père. Mais je n'ai pas envoyé mon corbeau pour avoir à lire vos remontrances.

Il reporta aussitôt son attention sur la seconde chose que tenait le corbeau entre ses serres recourbée. Un petit journal en cuire, très ancien et en mauvais état. Le totem avait dû s'en emparer discrètement, à l'insu de l'homme à la tête de l'Ordre. Une mission certes difficile. Mais il y était parvenu.

Avec précaution, le jeune homme récupéra le carnet et ouvrit la reliure de cuire, découvrant la première page. Une feuille de papier blanche, très probablement rajoutée des siècles plus tard s'en échappa. Mais Valentin ne s'en soucia pas tout de suite. Son regard fut tout d'abord attiré par l'écriture soignée sur la première page.

Journal d'Aurelius, fils de Valentinus et frère d'Amadeus.

Futur faucheur au service de la Mort.

Le jeune homme soupira. Ainsi, son instinct ne l'avait pas trompé lorsqu'il avait entre-aperçu ce carnet, il y a quelques années. Il en tourna quelques pages avant de reporter son attention sur le bout de papier plus récent qu'il avait trouvé. Et alors qu'il en découvrait le contenu, il écarquilla des yeux. Cette fois, il en était certain. Et ce qui n'avait été qu'une théorie se vérifiait.

Cette révélation allait en surprendre plus d'un.

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