Chapitre 12. II.

Il y avait des situations dans lesquelles s'y retrouver ne présageait réellement rien de bon. Elles promettaient soucis et sang à qui s'y perdait. Et elles pouvaient aussi faire perdre la raison. Actuellement, Scarlett se trouvait dans une situation de ce genre. Et elle avait déjà épuisé sa très longue liste de juron à maudire et insulter la Lune de tous les noms possibles et imaginables.

Déesse de merde, maléfice de merde !

Lowell avait saccagé le camp en un rien de temps alors que les deux faucheurs s'étaient dissimulés pour éviter d'être attaqués. Ils n'avaient pas prévu une telle chose et ignoraient comment calmer la bête. Si Valentin, perché sur une branche épaisse du chêne, semblait avoir une idée bien précise, Scarlett, cachée derrière une grande pierre, l'implora du regard pour qu'il ne sorte pas les armes tout de suite. Elle refusait que le loup soit blessé. Elle tremblait à cette idée sans qu'elle ne sache réellement pourquoi. Pourtant, elle savait que la question ne se poserait bientôt plus. Si les choses ne se calmaient pas, ce serait lui ou eux. La Lune en avait fait son pantin. Elle le dirigeait comme bon lui semblait et ce n'était plus l'homme qui était là.

« Lowell, calmez-vous ! gronda Valentin en bondissant de son perchoir.

Mais peine perdue. D'un coup de patte la bête tenta d'attaque le faucheur qui esquiva l'attaque en roulant au sol et en lâchant un juron terrible. Si le Patron avait pu entendre son fils dire de telles obscénités, il n'en serait pas revenu. À cette pensée incongrue et malvenue dans une telle situation, la blonde secoua la tête. Face à l'agressivité de la créature envers le faucheur, elle n'avait pas vraiment pas le choix. Il fallait qu'elle agisse elle aussi. Prenant une grande inspiration, elle ferma les yeux et fit appel à ses dons de faucheuse et de Bûcheronne.

Maintenant.

Elle jaillit hors de sa cachette et se dressa face à Lowell. Celui-ci feula, retroussant les babines, dans une posture purement menaçante.

— Lowell écoute-moi...

Sa phrase fut coupée par une attaque du loup géant qu'elle évita en se faufilant entre les griffes empoisonnées qui la visaient. Bon sang ! Il cherchait réellement à la tuer.

— Ça n'est vraiment pas une façon de traiter ceux qui viennent apporter leur aide ! marmonna-t-elle.

— Ce n'est pas le moment de faire de l'humour ! éructa Valentin.

Il n'avait pas tort. Pour toute réponse à la pique de la jeune femme, le monstre lui asséna un coup de patte qui la frappa de plein fouet. Heureusement, elle ne fut pas atteinte par les griffes. Scarlett se cogna contre un rocher saillant et eut le réflexe de se rouler en boule pour éviter le choc crânien. La douleur résonna dans toute sa colonne vertébrale et elle resta sonnée un instant. Cependant, elle dut lutter pour recouvrer ses esprits car Lowell se dressait maintenant au-dessus d'elle, prêt à refermer ses crocs sur elle. La jeune femme roula au sol vivement, dévalant la légère pente, esquivant de justesse un coup mortel. Un sifflement terrible résonnait dans ses oreilles et elle sentait du sang coulé d'une plaie à son omoplate qui se refermait déjà.

Derrière le loup rouge, Valentin bondit sur ses pieds, dégainant un sabre, prêt à combattre la créature de la Lune par sa lame et à la stopper pour de bon. Il était également couvert de poussière mais il semblait cependant bien décidé à se défendre. Au diable la méthode douce ! Voyant cela, la tueuse de monstre secoua vivement la tête.

— Laisse-moi gérer ! ordonna-t-elle en se relevant difficilement.

Une griffure et c'était la fin. Elle préférait que le fils du Patron ne finisse pas empoisonné par le monstre. Le jeune homme la toisa avant de décider de lui laisser sa chance. Se campant sur ses deux pieds, Scarlett se redressa, droite et fière, les poings serrés, faisant face au loup géant, échappé des enfers nocturnes et qui feula de plaisir face à l'idée de refermer sa mâchoire sur elle.

La bête se tenait à deux pas d'elle, ouvrant grand sa gueule avant de renifler celle qu'elle considérait comme sa future proie. Immobile, la faucheuse la laissa flairer son corps entier. La tension crispait ses muscles entier pourtant elle ne fuit pas. Malheureusement cela ne suffit pas. Car Lowell était en train de coller son immense tête contre elle, l'air d'apprécier sa future pitance.

Alors, Scarlett fit la première chose qui lui passa à l'esprit, écoutant son instinct qui lui parut bien suicidaire à l'instant. Elle enroula ses bras autour de l'immense encolure du loup pour plaquer plus fermement encore son immense gueule contre elle, le serrant contre sa poitrine en une étreinte dangereuse.

Elle sentait ses grognements féroces vibrer contre sa cage thoracique et se répercuter dans tout son être. Mais elle ne trembla pas. La détermination brûlait en elle, avec la violence d'un brasier, la ferveur de la conviction qu'elle faisait ce qu'il fallait. Et enfin, un murmure humain désemparé traversa le brouillard qui encombrait son esprit.

— Scarlett ?

Elle se contenta d'hocher de la tête affirmativement, toujours blottie contre la fourrure rousse du monstre lunaire. Elle y était parvenue ! Elle l'avait calmé, elle l'avait aidé à récupérer le contrôle. Le soulagement la gagna avec la puissance d'un raz de marée. Elle sentait le cœur géant de la créature battre à la chamade, en écho au sien. Au plus profond d'elle, elle ne voulait plus jamais le lâcher. Elle avait ainsi l'impression d'être en contact direct avec l'homme, que le lien entre leurs deux esprits était à ce moment précis plus tangible que jamais et qu'il reposait entièrement sur elle. Qu'elle était ce qui le raccrochait à sa part d'humanité, aussi fou que cela puisse paraître.

Pourtant, il lui fallut bien s'éloigner quelque peu sans pour autant se détacher de Lowell qui tomba couché, enfouissant son museau entre ses pattes, replié sur lui-même.

Le regard vairon de la jeune femme glissa vers Valentin qui lui adressa un signe de la tête, lui indiquant qu'il prenait la garde du campement cette nuit, les laissant seuls. Silencieusement, il s'éloigna à nouveau, bien décidé à ne pas interférer dans cet étrange lien qui se tissait entre la bête et la faucheuse.

— Ai-je causé du tort ? s'enquit lentement et craintivement Lowell.

Elle déglutit, saisissant l'ampleur de la culpabilité qui rongeait l'homme maudit. S'il était ainsi chaque fois que la Lune prenait le contrôle, il devait être rongé par les remords chaque fois qu'il reprenait ses esprits, face au sang de ses victimes. Scarlett secoua la tête de gauche à droite avec de sourire maladroitement.

— Plus de peur que de mal.

Elle s'assit au sol, contre le flanc géant du monstre qui frémit sans pourtant se décaler. Elle était bien ainsi. Sa main se perdit dans l'immense fourrure du loup tandis qu'il s'apaisait peu à peu sous ses caresses lentes et légères. Il ne la repoussait plus.

— C'est parce que ma sixième année touche à sa fin... Je peux de moins en moins lutter contre Elle.

— Elle ne l'emportera pas, je te le jure.

— Comment peux-tu en être aussi sûre ?

Son ton cynique n'intimida pas l'immortelle. Fermant les yeux, elle se lova plus encore contre Lowell qui, même s'il ne le montra pas, appréciait cette proximité.

— Parce que j'ai foi en ma propre déesse. Qu'elle est là pour moi.

— La Mort ne me paraît pas être plus juste que la Lune.

— Pourtant, elle l'est.

Il ne répondit pas, guère rassuré. Les Hommes, les mortels, croyaient en leurs propres dieux avec une ferveur presque aliénée. Ils étaient persuadés que les leurs étaient les justes, les bons, qu'ils valaient tous les sacrifices. Cela avait mené à des actes terribles, des morts, des siècles de terreur et de massacre.

— Il existe un chant chez les faucheurs. Notre hymne. Je peux te le chanter si tu veux.

Lowell acquiesça. Non pas parce qu'il désirait tant que cela découvrir cette déesse qui s'affrontait avec celle qui l'avait maudit. Mais bien parce que l'idée d'entendre cet ange blond qui l'avait sauvé surpassait dans son esprit mi-humain mi-bestial tous les plaisirs du monde. Scarlett se mit alors à fredonner l'hymne des faucheurs, à voix basse, pas tout à fait justement, mais avec un tel ton qu'on ne pouvait s'empêcher de ressentir des émotions. Et tandis qu'elle chantait, elle implorait silencieusement la déesse de lui venir en aide.

Quand vient la sombre nuit,
La lune des maux s'élève,
Son éclat sur nos lames bénies
Maudit son règne qui s'achève.

Ô, toi fille de la mort,
Combats le mal, l'horreur...

La déesse dansera ce soir,
Ses flammes brûleront, nues,
Purifieront un monde perdu
Dans les mains des cauchemars.

Ô toi fils du mauvais sort,
Rejoins nous, deviens faucheurs.

Et la cruelle lune se complaît
À bénir ses sorcières,
Elles nous promettent l'enfer,
Des souffrances, des méfaits.

Brûle le mal, brûle le mauvais,
Débarrasse nous des sorcières.

Quand vient la sombre nuit,
Le courage seul suffit
À combattre les torts futurs
Que sèment les créatures.

Brasier ardant, brasier parfait
Exauce toutes nos prières... »

Sa voix s'éteignit sur la dernière note et ses paupières, lourdes se fermèrent d'elle-même. La fatigue et l'angoisse l'emportèrent sur son énergie d'immortelle. Tout ce qu'elle désirait c'était un peu de paix et de réconfort, un réconfort qu'elle avait trouvé alors même qu'elle était blottie contre la bête qui s'était enroulé sur le côté pour lui offrir un écrin des plus confortables, bercée par la voix douce de la blonde. Ils finirent par s'endormir ainsi, perdus dans une bulle de tendresse et de douceur.

P. S. Avec l'annonce de ce nouveau confinement, je vous souhaite à tous beaucoup de courage 🖤 Scarlett vous dirait qu'il faut absolument rester positif ^^ et même si c'est dur, je crois qu'elle n'a pas tort. Prenez soin de vous !

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