Chapitre 10. II.
Il existait une multitude de raisons de passer un pacte avec la Lune. Cela revenait à vendre son âme au diable. La déesse s'en emparait alors sans pitié pour l'avilir, la noircir, la pourrir. Rien de ce qui venait d'elle ou s'était retrouvé entre ses mains ne pouvait en sortir de bon.
Les sorcières proféraient mensonge sur mensonge, trompant les âmes crédules et naïves des mortels et parfois même des faucheurs. Scarlett n'était peut-être pas accoutumée à la chasse aux sorcières mais elle se méfia tout de même aussitôt :
« Qu'entends-tu par briser ?
— J'entends briser. De la façon dont je rêverai de briser vos petits os ou vos cous si fragiles. D'un geste. Crac !
— Ne prends pas tes rêves pour la réalité, sorcière, rétorqua Valentin.
La faucheuse n'avait que faire des divagations de la servante de la Lune. Glissant brièvement un coup d'œil à Lowell, toujours à l'extérieur, elle interrogea :
— Comment briser un pacte ?
— Il suffit de le trouver et de le détruire.
— Pour cela, il faut qu'il ait une présence physique.
— Mais il en a une !
Cette nouvelle instaura un silence surpris. Aucun des deux faucheurs ne s'attendait à cela. Nérissa profita de l'effet de son annonce pour ricaner :
— Tous les pactes sont réunis dans un seul et même endroit. Mais vous mourrez avant même d'y avoir mis les pieds.
Malgré sa situation, la sordide femme rayonnait d'une assurance profonde. Elle avançait sans aucun doute ses dires, certaine de voir échouer ses adversaires. Mais elle avait face à elle une faucheuse déterminée à aider, et dont la volonté pouvait lui faire oublier tout danger.
— Quel est cet endroit ?
— Un bois aux sorcières dans les Pyrénées. Un des plus dangereux au monde.
Le sourire qu'elle abordait débordait de suffisance. Elle pensait sincèrement qu'en y envoyant les faucheurs ils y resteraient et mourraient. Scarlett s'en rendait compte mais elle n'en avait que faire. Déjà elle se projetait vers la suite, vers l'avenir.
— Où précisément dans les Pyrénées ?
La zone était grande, partagée entre deux pays, s'étendant de l'Atlantique à la Méditerranée. Cela leur prendrait des jours s'ils devaient tout explorer. Et ils n'avaient pas autant de temps. Ce dernier leur était compté. La sorcière se montra plutôt coopérante puisqu'elle répondit en haussant des épaules.
— Vous trouverez ce bois dans la vallée de Cauterets. Tentez votre chance si c'est ce que vous désirez !
La jeune femme n'attendit pas plus. Elle se tourna vers le fils du Patron, plongeant son regard dans le sien, et s'exclama :
— Il faut y aller. Tout de suite !
— Nous ne ferons jamais l'aller-retour à temps...
— Alors emmenons Lowell avec nous.
— Nous ne pourrons jamais voyager jusqu'en France avec un loup géant Scar. Et nous ne pouvons pas non plus lui rendre forme humaine... tempéra Valentin, songeur.
Il n'avait certes, pas tort. Mais Scarlett n'était pas à court d'arguments. Elle se tourna en direction de la sorcière, le menton relevé, et lâcha :
— Elle, elle peut !
Le jeune homme grimaça.
— Tu veux lui demander de l'aide ?
— Vous pouvez toujours courir ! ajouta Nérissa, dévisageant la blonde comme si elle était folle.
— Oh que si, vous nous aiderez. En échange, nous vous libèrerons.
La jeune femme semblait bien décidée à mettre à exécution ses projets. En elle, son sang brûlait dans ses veines, insufflant à tout son être une énergie nouvelle. Elle était sûre d'elle et qu'importe que la vipère qui lui faisait face s'en aille. Un jour, le sort s'abattrait sur la sorcière. Aujourd'hui, la tueuse de monstres avait besoin de ses pouvoirs pour accomplir sa mission.
— C'est non. Ton ami ne me laissera jamais partir.
Valentin intervint, à la grande surprise de Scarlett et soupira, résigné :
— Je promets de te libérer si tu nous aides. Je le jure.
Il avait promis d'aider la blonde. Il le ferait.
La sorcière les toisa, réfléchissant. Mais elle tenait là une opportunité. Scarlett était certaine qu'elle accepterait. L'occasion de retrouver la liberté était trop belle. Pour preuve, Nérissa se fendit d'un sourire satisfait lorsqu'elle ricana :
— Marché conclu, faucheurs. Votre ami aura forme humaine jusqu'à que son délais soit écoulé. Les sept années passées, ma magie ne fera plus rien. Mais je vous préviens : le sort ne fonctionnera que le jour. La nuit, ma maîtresse la Lune reprendra ses droits.
— Qu'importe, bientôt, ta maîtresse la Lune aura perdu définitivement une créature.
Le ton de Valentin était revêche, peu rassurée. La jeune femme s'en rendit compte mais ne put s'attarder dessus. Ce n'était pas sa priorité. Elle aurait cependant dû réfléchir à deux fois sur le fait que Valentin cède si vite et ne promette de libérer la sorcière. Le jeune homme se pencha pour libérer la sorcière de ses entraves.
La servante de la Lune se redressa et s'étira avant de se tourner vers Scarlett.
— Avez-vous un objet pouvant servir de réceptacle.
Instinctivement, la faucheuse porta la main à son chaperon rouge. Son cœur rata un battement tandis qu'une boule se logea dans sa gorge. L'objet pouvait absorber la magie. C'était l'idéal... Elle soupira avant de le détacher et de le lancer à la sorcière. Celle-ci l'attrapa et l'observa.
— Cela fera l'affaire.
— Qu'attends-tu dans ce cas ?
— Il faut que vous brisiez le cercle pour que je puisse faire mon rituel.
Le fils du Patron soupira et la blonde roula des yeux. Elle comprenait soudain l'aversion constante de son compagnon. Les sorcières étaient de belles garces.
— Scarlett, ton arme. ordonna Valentin.
Elle obtempéra, tirant le pistolet de son emplacement pour viser la sorcière.
— Si tu tentes quoique ce soit, mon amie tire, et tu meurs, indiqua le faucheur. C'est une excellente tireuse.
— Ne t'en fais pas, beau brun, tu auras le sortilège que tu désires.
Un sourire avide de puissance étirait ses lèvres fines. Elle paraissait se concentrer, toujours sous la menace du canon de Scarlett qui l'observait, soucieuse et curieuse à la fois. L'air se glaça tandis que la servante de la Lune se mit à murmurer des paroles sans queues ni têtes dans une langue qu'aucun des deux ne reconnurent. L'ambiance venait de virer à l'occulte, au surnaturel. La cape se mit à rougeoyer entre les mains de la sorcière qui rejeta la tête en arrière, psalmodiant d'une voix caverneuse. Ses sortilèges étaient absorbés par le tissu écarlate. Un frisson parcouru la chair de la blonde qui ne se sentait pas à l'aise face à toute cette magie.
Puis Nérissa se tut. Son expression sérieuse s'évapora au profit de la malveillance qu'elle affichait constamment.
— Et voilà.
Elle tendit le chaperon à la jeune femme. Le tissu écarlate était brûlant au creux de ses paumes et irradiait de magie. Elle referma aussitôt ses doigts dessus, satisfaite. Mais Valentin semblait suspicieux.
— Cela fonctionnera-t-il ?
— Je le jure sur la Lune.
Lorsqu'une sorcière jurait sur sa déesse, elle ne pouvait que dire la vérité. C'était un engagement trop précieux. Une lueur de satisfaction s'alluma dans le regard du faucheur.
— Bien.
Et soudain, il tira sa lame et l'enfonça profondément dans le cœur de la sorcière. Celle-ci poussa un hurlement de fureur, tenta de lui arracher les yeux mais il la jeta au sol. Elle se tortilla, dévorée par l'incandescentoria, criant et feulant, murmurant des imprécations.
— Tu connaîtras mille malheurs, faucheur. Sois damné !
Ce furent ses dernières paroles. Les hurlements cessèrent, et elle s'évapora dans un nuage de cendre qui tapissa le sol de la tanière. La stupeur qui avait gagné la Faucheuse s'envola aussitôt. Vivement, elle se tourna vers son compagnon et protesta :
— Tu avais promis Valentin...
— Elle comptait nous tuer sitôt qu'on l'aurait relâché. Ou alors, elle aurait prévenu ses sœurs et nous serions tombés dans un piège impossible à éviter.
Scarlett fronça des sourcils. Il était certain que la sorcière ne s'en serait pas allée si facilement mais l'attaque du jeune homme avait été si précise, si rapide qu'elle peinait à se remettre de sa surprise. Il se contenta de rajouter :
— De plus j'ai promis de la libérer. Et la mort est une libération de son existence dans le mal et le crime.
Elle le dévisagea quelques instant encore. Valentin se sentit mal à l'aise face à ce regard vairon qui semblait le juger. Il chassa d'un geste de la main la cendre accroché à ses vêtements avant de lâcher :
— Allez, ne nous attardons pas sur cela. Je te rappelle que tu as un monstre à rendre humain, Scar !
Il avait raison. La faucheuse se détourna de son compagnon pour se précipiter vers le loup géant. Intérieurement, Scarlett bouillonnait d'impatience. Elle rêvait d'enfin savoir à quoi pouvait bien ressembler l'homme derrière la bête. Elle en avait désormais l'occasion.
— Lowell ?
Le monstre redressa son immense tête, tournant ses yeux laiteux en direction de la jeune femme.
— Vous avez réussi à faire parler la sorcière ?
— Oui. Nous savons où aller et que faire. Mais c'est trop loin pour te laisser et revenir. Tu dois venir avec nous.
— Et comment ?
— En te rendant humain le jour.
Elle brandit son chaperon sous les yeux de la bête. La fourrure rousse de celle-ci s'hérissa toute entière, doublant de volume. Sous le coup de la surprise, il lâcha un grognement qui sembla faire trembler la Terre.
— Cela va-t-il marcher ?
— Nous ne saurons pas avant d'avoir essayé. »
Et pour illustrer ses propos elle glissa le morceau de tissu autour de la large encolure du loup. Aussitôt, un courant d'air se leva, secouant les bords de la cape.
Dans un bruit sourd, tout le corps animal de Lowell se mit à craquer. Il se cabra, se cambra, se hissa sur ses deux pattes et se mit à hurler. La faucheuse dû reculer pour ne pas se faire frapper par les coups de pattes qu'il lançait. Instinctivement, Valentin se précipita vers son amie pour l'aider en cas de problème.
Mais le loup géant s'effondra au sol avant qu'ils ne puissent agir. À sa place, ce fut un homme qui se releva.
Nu, n'ayant sur le dos que le tissu rouge de Scarlett. Sa carrure était forte, massive, peu délicate. Presque celle d'un forgeron. Ses cheveux bruns tiraient vers le roux, donnant l'impression que sa chevelure était zébrée d'éclair sanguin. Sa barbe de la même couleur mangeait la moitié de son visage aux traits anguleux. Il n'avait que trente-et-un ans mais le maléfice semblait avoir grignoté sa jeunesse. Il n'était pas forcément ce que l'on pourrait qualifier de beau. D'ailleurs à côté de Valentin, il semblait même laid. Cependant, cela restait à relativiser : tout le monde semblait laid aux côtés du charme intemporel du fils du Patron.
Malgré cette absence de beauté, Scarlett était fascinée par l'homme qui lui faisait face. Il dégageait quelque chose d'enivrant dont elle ne pouvait se détachée, nullement gênée par sa nudité. Et ses yeux... Par tous les dieux ! Ses yeux étaient tout simplement sublimes. Elle n'avait jamais vu de bleu aussi pur, aussi profond... Sauf chez deux personnes. Valentin et son père.
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